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IV. LFY, un acteur central de l’apparition des fleurs ?

3. Théories sur l’apparition des fleurs

La grande difficulté de l’évo-dévo est de parvenir à émettre des théories simples, explicites, et testables. Je ne présenterai ici que les deux théories qui répondent au mieux à ces critères.

a) Mostly Male

La théorie ‘Mostly Male’ part du constat que LFY d’Angiospermes possède deux paralogues chez les Gymnospermes, LFY et NEEDLY (NLY; Frohlich, 2000).

L’étude de l’expression des deux copies du pin (NLY et PRFLL; Mellerowicz et al., 1998; Mouradov et al., 1998) a laissé émerger l’idée que chez les Gymnospermes, LFY et NLY aient deux rôles distincts. PRFLL, orthologue de LFY, exprimé dans les territoires spécifiques des organes reproducteurs mâles, serait responsable de leur identité, alors qu’inversement, NLY, exprimé dans les territoires spécifiques des organes reproducteurs femelles, contrôlerait leur développement.

Les études ultérieures du profil d’expression de LFY et NLY, notamment chez les conifères

Picea, Podocarpus et Taxus, n’ont pas confirmé cette observation d’expression spécifique du sexe des

deux paralogues chez le pin (Vazquez-Lobo et al., 2007). Chez ces espèces, les orthologues de PRFLL et NLY sont exprimés aussi bien au niveau du développement précoce du cône femelle qu’au niveau du développement précoce des structures mâles. Néanmoins, ces profils d’expression ne s’opposent pas nécessairement à l’idée initiale, à savoir que LFY est impliqué dans l’identité des organes reproducteurs mâles, et NLY est impliqué dans l’identité des organes reproducteurs femelles. La distinction pourrait se

51 faire au niveau des gènes cibles de chacun. LFY pourrait réguler les gènes ‘B’, alors que NLY régulerait les gènes ‘C’. D’après les connaissances sur le modèle ABC, le territoire mâle résulterait alors de l’activation des gènes ‘B’ et ‘C’ par les deux paralogues et le territoire femelle de l’activation des gènes ‘C’ par NLY.

La théorie Mostly Male prédit que la structure bisexuée s’est formée à partir du cône male d’où elle tire son nom (‘principalement mâle’). LFY serait donc devenu capable de réguler à la fois les gènes ‘B’ et ‘C’ en des territoires parfois chevauchant (identité mâle) parfois distinct (identité femelle) convertissant le cône male en en structure florale primaire. NLY, devenu inutile aurait été alors perdu.

Cette théorie est étayée par d’autres observations: le fait que le mutant nul lfy ne soit plus capable de produire d’étamines alors qu’il parvient toujours à produire des carpelles supporte l’idée que

LFY est absolument requis au bon développement des organes reproducteurs mâles mais que des

mécanismes indépendants de LFY sont redondants dans l’identité femelle (Weigel et al., 1992). De plus, la formation ectopique d’ovules au niveau de feuilles de Ginkgo biloba notamment suggère que les ovules ectopiques sont relativement faciles à produire, en accord avec l’idée qu’il est plus probable que la fleur dérive d’une structure mâle originelle à laquelle se serait ajoutée la structure reproductrice femelle qu’inversement (Frohlich, 2000). Enfin, cette théorie est cohérente avec la conservation supposée entre Gymnospermes et Angiospermes de l’activité ‘B’ dans l’identité mâle.

b) Out of Male/Out of Female

La théorie ‘Out of Male/Out of Female’ se focalise sur le caractère bisexué des fleurs. Theissen et collaborateurs ont observé que des conifères modernes produisaient parfois des cônes bisexués. Une perte d’expression des gènes ‘B’ à la pointe des cônes mâles gymnospermes pourrait occasionner une invasion de l’identité femelle à ce niveau, ou inversement, l’expression ectopique des gènes ‘B’ à la base des cônes femelles pourrait induire la présence de l’identité mâle à ce niveau. Le caractère bisexué des fleurs pourrait alors aussi bien venir de structures ancestrales mâles que femelles (Theissen and Melzer, 2007).

Baum et Hileman (2006) apportent d’autres éléments sur le mécanisme de la théorie ‘Out of Male’ (Baum and Hileman, 2006). Ils suggèrent qu’une très forte expression des protéines responsables de l’activité ‘C’ dans la partie centrale des cônes mâles peut être perturbée par les gènes ‘E’. Les produits de l’activité ‘E’ interagiraient avec les produits de l’activité ‘C’, et neutraliseraient par conséquent l’interaction entre les produits de l’activité ‘B’ et ‘C’: l’identité femelle l’emporterait.

c) Premières caractérisations évolutives de la protéine LFY

Pour valider ces théories, une étude méticuleuse du réseau de régulation reliant LFY aux gènes MADS sera donc nécessaire. Même si l’analyse de l’expression de ces gènes chez des espèces très

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éloignées d’un point de vue évolutif est un pré-requis indispensable, étudier l’évolution de la fonction des protéines elles-même sera l’outil incontournable à la compréhension de ces mécanismes.

Dans cette optique, Maizel et collaborateurs (2005) ont proposé une étude évolutive de LFY. Ils ont pour cela effectué une série de complémentations fonctionnelles d’un mutant lfy d’A. thaliana avec des homologues de différentes espèces. La complémentation se révèle d’autant moins bonne que les espèces sont éloignées d’A. thaliana d’un point de vue évolutif. En effet, si les gènes provenant des Gymnospermes PRFLL (pin) et WelNDLY (Welwitschia mirabilis) parviennent à restaurer partiellement le phénotype sauvage des fleurs d’A. thaliana, les gènes provenant des Fougères CrLFY2 (Ceratopteris

richardii) et AlLFY4 (Angiopteris lygodiifolia) sont encore moins efficaces. Finalement, les homologues

les plus basaux, ceux de la Mousse P. patens (PpLFY1 et PpLFY2), sont totalement inactifs chez A.

thaliana.

Ces auteurs ont ensuite étudié par microarray la capacité de ces différents orthologues de LFY à induire l’expression de gènes cibles chez A. thaliana. Là encore, sur les 16 gènes les plus induits suite à l’activation du gène de référence LFY, plus on s’éloigne d’un point de vue évolutif des Angiospermes supérieurs, plus le nombre de gènes induits par les gènes homologues de LFY est faible, jusqu’à être nul chez la Mousse. Il est intéressant de noter que dans ce dernier cas, l’analyse plus exhaustive des résultats de microarray, sans se limiter à ces 16 gènes, ne révèle aucune activation de gènes suite à l’activation du gène LFY de Mousse, suggérant que la protéine qu’il code pourrait ne pas être capable de lier l’ADN.

Pour essayer d’identifier les modifications évolutives de la protéine LFY à l’origine de ces modifications fonctionnelles, les auteurs ont eu recours à l’étude fonctionnelle de protéines chimériques entre LFY et des orthologues d’autres espèces.

Dans un premier temps, ils ont réalisé différentes fusions traductionnelles entre régions conservées et non conservées de LFY et de CrLFY2 de Fougère. Leurs résultats révèlent que les modifications évolutives sont essentiellement contrôlées par les régions conservées, et que la région C- terminale impliquée dans la liaison à l’ADN jouerait un rôle prépondérant dans la divergence de fonction entre LFY et CrLFY2.

Ils ont ensuite observé que deux résidus hautement conservés varient dans la région conservée C-terminale entre LFY et son homologue PpLFY1 chez la Mousse P. patens (chez PpLFY1, H312D et C345R, correspondant respectivement à H394D et C427R de la numérotation de Maizel et al.; fig.15A). Ils ont donc voulu savoir si une mutation de chacun de ces deux résidus chez PpLFY1 en leur équivalent chez LFY pouvait modifier leur activité. Si la mutation R345C ne modifie pas les propriétés fonctionnelles de PpLFY1, la mutation D312H lui permet d’activer partiellement la transcription d’un gène cible connu de LFY (AP1) et de complémenter partiellement le phénotype lfy

53 chez A. thaliana. Leurs résultats suggèrent donc que ce résidu His312 puisse jouer un rôle crucial dans la fonctionnalité de LFY.

Ces données préliminaires constituent une bonne base de travail en apportant une cartographie grossière des régions clés impliquées dans l’évolution fonctionnelle de LFY. Cependant, en l’absence de données structurales, il est difficile d’affiner ces résultats par l’étude ‘à l’aveugle’ des déterminants clés, les acides aminés. En effet, même si plusieurs acides aminés divergents d’un groupe végétal à l’autre sont révélés par alignement de séquence, leur analyse systématique sans idée de leur rôle potentiel deviendrait très rapidement laborieuse.