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La coopérativité de liaison de LFY-C à l’ADN a-t-elle une réalité biologique?

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III. Caractérisation fonctionnelle de la protéine LFY FL

2. La coopérativité de liaison de LFY-C à l’ADN a-t-elle une réalité biologique?

La coopérativité de liaison de LFY-C à l’ADN a été mise en évidence par technique d’EMSA réalisée avec des oligonucléotides AP1 et une gamme croissante de LFY-C faisant apparaître un complexe de deux protéines LFY par ADN toujours majoritaire par rapport à un plus petit complexe composé d’une seule protéine par ADN. De façon générale, cette coopérativité peut résulter de deux mécanismes distincts augmentant l’affinité de liaison du deuxième monomère à l’ADN, l’un mettant en jeu un changement conformationnel de l’ADN induit par la liaison du premier monomère, l’autre une dimérisation de la protéine sur l’ADN. Les données cristallographiques que nous avons obtenues ont montré que le mécanisme s’appliquant au cas de LFY-C était essentiellement une dimérisation de la protéine sur l’ADN impliquant deux résidus, l’His387 et l’Arg390. Ces données ouvrent une intéressante perspective d’étude car la coopérativité peut aider la mise en place de transitions développementales brutales et pourrait expliquer dans le cas présent la capacité de LFY à déclencher la transition florale. Il a été montré qu’une transition brutale demande de combiner coopérativité à une boucle d’autorégulation. La boucle d’autorégulation via l’activation d’AP1 qui réactive LFY est connue (Liljegren et al., 1999). La combinaison de ces deux propriétés est sans doute importante pour expliquer comment LFY, dont l’expression croit de façon progressive, arrive à induire de façon brutale l’induction d’AP1 et la transition florale. La question est désormais de valider si ce modèle a une réalité biologique, question qui s’applique à deux niveaux: i) la coopérativité s’observe-t-elle chez la protéine pleine longueur et ii) influe-t-elle sur la transition florale in planta ?

a) La coopérativité de liaison de LFY-C est elle valable dans le contexte LFY FL ?

Des expériences préliminaires d’EMSA réalisées avec des oligonucléotides AP1 et une concentration croissante en LFY-GST suggèrent que LFY FL serait capable de lier l’ADN de façon coopérative. En effet, de la même manière qu’il avait été observé avec la protéine LFY-C, la liaison de LFY-GST à AP1 WT met en évidence un petit complexe C1 de très faible intensité devant un complexe d’ordre supérieur C2. La proportion de complexe C1 augmente fortement suite à la mutation d’un demi-

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site d’AP1 (oligonucléotides AP1 m1 ou AP1 m2). Ces résultats bien qu’encourageants exigent confirmation car ils ont été obtenus à partir d’une protéine couplée à la GST, étiquette capable de se dimériser et qui de ce fait pourrait biaiser le comportement de liaison de LFY FL. Il serait donc nécessaire de réitérer l’expérience avec une protéine LFY FL privée de l’étiquette GST ou avec une protéine mutée dans les résidus responsables de cette coopérativité potentielle His387 et Arg390.

b) La coopérativité intervient-elle dans l’activité de LFY FL in vivo?

Les résultats obtenus par BiFC in planta et par complémentation fonctionnelle avec le duo lfy5- VP16/LFY chez la levure et in planta montrent que LFY est capable de s’oligomériser in vivo et dans le noyau. En revanche, ces résultats ne donnent pas accès au nombre de protéines LFY par séquence cible d’ADN, et ne permettent pas de visualiser la protéine monomérique.

L’effet de la double mutation H387A/R390A sur la capacité de LFY FL à activer l’expression de ses gènes cibles in vivo a été étudié dans un second temps. Il est intéressant de noter que ces deux résidus His387 et Arg390 sont extrêmement bien conservés chez tous les Angiospermes dont l’ADNc de LFY a été cloné, pouvant constituer un indice en faveur d’un rôle lui-même conservé dans la dimérisation et par extension dans la coopérativité. En accord avec cette observation, nos résultats montrent aussi bien chez la levure qu’en expression transitoire dans des feuilles de tabac que cette double mutation occasionne une baisse d’efficacité de LFY-VP16 à activer AG, apportant un argument fort en faveur d’une importance de la dimérisation dans le contexte LFY FL in vivo.

Pour compléter cette caractérisation de la dimérisation de LFY à court terme, nous allons désormais étudier l’état d’oligomérisation de la protéine LFY FL libre par SEC ou MALLS-SEC. L’interface entre les deux monomères LFY-C est petite (420Å2), inférieure à de nombreux exemples

décrits dans la littérature décrivant des valeurs d’interface de l’ordre de 1000Å2 en moyenne (ex. de

références bibliographiques avec des valeurs comprises entre 550 et 5400Å2; Baker et al., 2004;

Bourne et al., 1996; Brown et al., 2007; Gouaux, 2004; Schrag et al., 2008; Yokoyama et al., 2008; Zimmer et al., 2006). Nous pourrions donc envisager que d’autres domaines de la protéine entière, comme le domaine conservé N-terminal, puissent augmenter cette interface et ainsi stabiliser la formation du dimère même en absence d’ADN. Nous allons aussi étudier l’effet de la double mutation H387A/R390A sur la capacité de LFY à s’oligomériser au niveau du noyau par BiFC chez le tabac.

A moyen terme, l’effet de la double mutation H387A/R390A sur la transition florale va être analysé à partir de plantes A. thaliana surexprimant une construction LFY H387A/R390A sous contrôle du promoteur constitutif fort 35S. Rappelons que les plantes 35S::LFY affichent un phénotype dominant de floraison extrêmement précoce (Weigel and Nilsson, 1995).

A plus long terme, nous allons réaliser des transformations stables de plantes où le gène LFY possédant la double mutation H387A/R390A est placé sous contrôle du promoteur natif LFY. Ces

135 dernières permettront une analyse plus fine et rigoureuse de l’effet de cette double mutation sur la transition florale.

L’étude de la dimérisation (et par extension de la coopérativité) in vivo s’avère une tâche délicate. En effet, la coopérativité conditionne fortement l’affinité de liaison de LFY à l’ADN. En mutant les deux acides aminés essentiels à cette coopérativité, nous allons affecter à la fois le mode de liaison de LFY mais aussi faire baisser son affinité. Ces deux caractéristiques sont difficiles à découpler.

Il serait possible d’annuler la supposée coopérativité en étudiant l’effet d’une dimérisation obligatoire de LFY (par création de liaison covalente entre les deux monomères), ce qui imposerait à LFY de lier l’ADN selon la voie dimérique (Fig.43). Cependant, comme je l’ai déjà mentionné précédemment, si dans l’absolu l’affinité de liaison est ainsi la même que celle d’une protéine utilisant la voie monomérique, cette situation ne se vérifie pas dans le contexte cellulaire. En effet, la voie dimérique en ralentissant la vitesse de prospection de l’ADN et en augmentant la probabilité de séquestrer le dimère au sein de complexes non spécifiques in vivo peut perturber indirectement l’affinité de liaison de LFY pour l’ADN. L’analyse est une nouvelle fois difficile: les observations obtenues seront- elles le résultat d’une perte de coopérativité ou d’une compétition trop forte par le reste du génome?

Un autre point important est à aborder ici. La coopérativité exige que LFY se dimérise sur l’ADN. Mais LFY agit-il systématiquement en dimère pour réguler l’expression de ses gènes cibles ? Nous verrons dans la partie traitant des corégulateurs qu’il serait possible que LFY et WUS s’hétérodimérisent au niveau des séquences régulatrices d’AG, hétérodimérisation inhibant la formation de l’homodimère LFY-LFY.

c) Quelle est la signification des complexes LFY/ADN d’ordre supérieur ?

Les expériences d’EMSA réalisées avec des oligonuléotides AP1 et une gamme de concentrations en LFY FL suggèrent que LFY FL serait capable de lier l’ADN sous forme de monomère et dimère, mais serait également capable de former trois complexes d’ordre supérieur. Des complexes de taille plus élevée que le dimère ont également été observés avec LFY-C aux plus fortes concentrations utilisées. La question évidente qui s’impose ici est d’identifier la nature de ces complexes. Pour cela, il sera nécessaire en premier lieu de s’assurer que ces complexes ne résultent pas d’une oligomérisation non spécifique de LFY impliquant l’étiquette GST ou la GFP. Nous essaierons ensuite de déterminer la masse et par conséquent la nature de ces complexes par expériences GEMSA ou MALLS-SEC.

Ces complexes d’ordre supérieur alimentent des interrogations à deux niveaux: quelle(s) région(s) de LFY est/sont impliquée(s) dans la formation de ces complexes ? Quel est le rôle de ces complexes ?

Nous avons vu dans le cas de LFY-C qu’un de ces complexes d’ordre supérieur pouvait apparaître mais uniquement à très forte concentration protéique (de l’ordre de 5000nM contre 50nM

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seulement dans le cas de LFY FL, fig.39 et 44). Pourquoi dans le cas de LFY FL voit-on apparaître ces différents complexes à si faible concentration? Est ce qu’une région de la protéine entière telle la région conservée N-terminale aux fonctions non établies pourrait intervenir dans la mise en place de ces complexes ? Des cas de tétramérisations mettant en jeu des dimérisations via la partie C-terminale et

via la partie N-terminale ont d’ores et déjà été décrits dans la littérature (Leonard et al., 2004; Schreiter

et al., 2003). Pour savoir si tel est le cas pour LFY, il serait intéressant de parvenir à produire le domaine N-terminal seul et à étudier s’il est capable de s’oligomériser.

Quelle pourrait être la signification biologique de ces complexes d’ordre supérieur ? Pourraient-ils permettrent à LFY d’interagir avec des partenaires protéiques ? Ou pourraient-ils permettre à LFY d’occasionner un changement d’organisation de la structure secondaire de l’ADN ? Rappelons que LFY possède quatre sites de liaison au niveau des régions cis-régulatrices d’AG (AG-I, AG-II, AG-III et AG-

IV). Nous pourrions imaginer que LFY par son oligomérisation ou par des liaisons avec des partenaires

protéiques entraîne un repliement de l’ADN qui rapproche ces différents sites (Fig.55; Lamber et al., 2008; Yasmin et al., 2004). Cette éventualité pourrait s’appliquer également au cas d’AP1. Effectivement, nous avons mis en évidence que le promoteur d’AP1 contenait lui aussi trois séquences putatives de liaison de LFY (AP1 bs1, bs2 et bs3), les deux dernières étant des sites de plus faible affinité. Nous pourrions en effet concevoir que l’affinité de LFY pour les sites bs2 et bs3 augmente selon un comportement coopératif grâce à la présence à une distance déterminée d’un site de meilleure affinité comme bs1, possibilité déjà évoquée pour d’autres facteurs de transcription tels que la protéine TorR (Ansaldi et al., 2000). De plus, nous pouvons nous demander si la présence de plusieurs sites de liaison de LFY au niveau des séquences cis-régulatrices d’un même gène s’applique à d’autres gènes cibles de LFY, i.e. s’il s’agit d’un mécanisme d’action général de LFY ?

137 Il serait intéressant de savoir si les gènes cibles de LFY possèdent systématiquement plusieurs sites de liaison. Afin d’identifier facilement ces sites sur la base de leur séquence, Edwige Moyroud, étudiante en thèse dans notre équipe, a élaboré une technique de sélection de sites de liaison (‘selex’) permettant de générer une matrice de liaison à l’ADN reconnue par LFY (Xue, 2005). A partir de ses résultats, il suffira de cribler les régions cis-régulatrices des gènes cibles de LFY afin d’identifier des sites potentiels de liaison et d’évaluer leur validité par approche biochimique classique.

Dans un second temps, nous comptons tester par technique de TPM (Tethered Particle Motion) si LFY peut effectivement modifier fortement la conformation de l’ADN au niveau de ces régions régulatrices (Nelson et al., 2006).