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La théorie de l’attachement énoncée par Bowlby a tout d’abord été très critiquée car elle se démarquait des théories freudiennes. Ainsi P. Fonagy (2004, p. 24) explique que « on reproche à Bowlby de ne pas avoir su prendre en compte l’impact du stade développemental du Moi sur la capacité de l’enfant à créer des liens d’attachement et à réagir à la perte. Il est également accusé d’avoir ignoré la possibilité d’un attachement négatif coexistant avec la peur de la mère et d’un traumatisme autre que celui de la séparation physique ». Cependant, Bowlby et ses disciples ont ouvert de nouvelles perspectives apportant des outils de compréhension de la construction psychique de l’enfant en lien avec son environnement ; il nous parait important de mentionner ces outils au vu de notre investigation des processus en jeu dans la relation parent-enfant. Par ailleurs, les disciples de Bowlby ont mis en exergue l’impact des situations extrêmes sur la construction psychique de l’enfant.

Un besoin vital d’attachement

En 1944, Bowlby développe des travaux mettant en évidence le lien entre des comportements de vols de certains adolescents et une carence affective précoce. Il a l’intuition que des perturbations précoces du lien mère-enfant peuvent être la cause de troubles mentaux chez les adultes.

En 1969, Bowlby insiste sur l'existence d’un besoin vital d’attachement de l’enfant à une figure de référence pour s’assurer d’une sécurité réelle et psychique. Il utilise le terme d’« attachement » pour refléter un besoin psychique social primaire. Bowlby envisage l’attachement non pas comme le résultat d’un étayage, d’un apprentissage, mais comme l’effet d’un besoin primaire au même niveau que la faim. Selon lui, l’attachement à une figure de référence apportant de l’attention et un investissement, même si celui-ci est empreint de violence, est nécessaire au bébé. Pour que la relation d’attachement s’établisse, il faut que l’enfant ait la certitude que sa mère (ou figure de référence) lui soit disponible et accessible. C’est principalement au début de la vie, quand l’enfant est particulièrement vulnérable, qu’il a le plus besoin de la figure d’attachement. Selon Bowlby, lorsque l’enfant se sent en sécurité, il peut développer un système de sociabilité ou d’affection.

52 N. L. Collins et S. J. Read (1990) considèrent la sécurité de l’attachement comme un facteur de protection psychopathologique contribuant au développement d’une personnalité saine et moins anxieuse. R. Kobak et A. Sceery (1998) observent qu’elle permet une plus grande résilience du Moi et moins d’hostilité.

Ainsworth (1974), psychologue canadienne et proche collaboratrice de Bowlby, décrit le concept de « base de sécurité ». Pour elle, l'enfant doit pouvoir investir sa confiance dans une figure de soutien. Il faut qu’il puisse s’appuyer et compter sur une figure disponible quel que soit son âge, à proximité physique, vitale en début de vie, devenant progressivement un concept mentalisé et émotionnel. Fort de cette confiance en cette figure de référence, l’enfant peut explorer le monde qui l’entoure en s’éloignant ou se rapprochant de cette base de sécurité. Ainsworth met en évidence que l’absence de la figure d’attachement peut engendrer une peur chez l’enfant qui ne comprend pas cette absence : il est alors exposé au risque d'un danger, il n'a plus de protection.

Par ailleurs, Ainsworth, par son test de la situation étrange (1978), catégorise plusieurs types de relations développées par l'enfant envers sa figure de référence. Son observation et son analyse rendent compte de l’impact d’un environnement inadapté sur le comportement de l’enfant :

- « l'attachement sécure » reflète une sécurité interne de l'enfant satisfaisante, dans la mesure où l'enfant se permet d'aller explorer son environnement lorsqu'il sait la figure de référence proche de lui. Par ailleurs, il retourne vers elle lorsqu'il se trouve en situation inconnue, potentiellement dangereuse ;

- « l'attachement insécure évitant » est observé chez les enfants qui montrent, lors du test, un éloignement et une absence d'interaction avec la figure de référence et la même interaction avec une figure nouvelle. Lors des retrouvailles avec la figure de référence, l'enfant ne manifeste pas de joie et évite la relation ;

- « l'attachement résistant » est observé chez des enfants témoignant d’une insécurité envers la figure de référence s’exprimant par de l’angoisse et des pleurs. L'exploration est pauvre.

- « l'attachement désorienté » est repéré chez des enfants effrayés par leurs figures parentales. L'enfant montre alors des comportements contradictoires, des expressions et attitudes interrompues, des postures asymétriques ou des stéréotypies.

53 Les enfants développant un comportement d’attachement désorganisé/désorienté lors de la « Situation étrange » montrent, selon M. Mail et J. Solomon (1986), des affects de peur, de gel et de désorientation. Selon, D. Cicchetti et D. Barnett, en 1991, ce comportement est lié à la maltraitance vécue. Pour L. Main et E. Hesse, en 1990, ce comportement est lié à un traumatisme non résolu dans l’histoire du parent. D’autre part, G. C. Armsden et M. T. Greeberg, (1987, a) ont expérimenté que l’attachement insécure est un facteur de risque fréquemment associé à des affects dépressifs.

Un attachement à conséquences

Bowlby parle de « modèle interne opérant (MIO) » pour rendre compte du fait que le pattern d'attachement est intériorisé par l'enfant. Les MIOs sont représentatifs de la qualité de la disponibilité de la figure d’attachement. P. Fonagy (2008, p. 34) explique que Bowlby imagine un modèle interne complémentaire du soi construit par « le sentiment qu’a l’enfant d’être acceptable ou non aux yeux de la figure d’attachement ». P. Fonagy note que selon Bowlby « on peut s’attendre à ce qu’un enfant dont le donneur de soins a un modèle opérant orienté vers le rejet développe un modèle opérant complémentaire de soi basé sur le fait qu’il ne mérite d’être aimé, qu’il est indigne et plein d’imperfections », (2008, p. 35). Bowlby a mis en évidence l’impact des menaces externes sur le développement du bébé. Les menaces verbales d’un abandon proférées par la mère engendrent des troubles du développement importants car l’enfant anticipe l’indisponibilité de sa figure de protection.

L’ensemble des travaux sur le modèle d’attachement a montré que la sécurité de l’attachement ressentie par l’enfant avait un lien avec la qualité et la permanence des interactions avec les figures d’attachement. La qualité de l’attachement que l’enfant construit dans ses premières années devient son modèle de relation à l’autre pour les années qui suivent. N. Guédeney (2013) dit que « toute atteinte du processus de développement de l’attachement de l’enfant pourra engendrer une cascade de perturbations tout au long de la vie » (p. 227).

De nombreux auteurs mettent en évidence l’impact de la sollicitude maternelle auprès du bébé sur sa capacité, une fois adulte, à être en relation de manière satisfaisante. Ainsi, A. Slade et ses collaborateurs (1999) ont démontré que les mères vivant un attachement sécure évoquaient des relations avec leur enfant d’une façon plus cohérente, plus joyeuse et avec plus de plaisir que ne le faisaient les mères dont l’attachement semblait détaché ou préoccupé. Par ailleurs, la

54 sensibilité maternelle à l’égard du bébé dans la première année est corrélativement reliée à la ce que disent les bébés devenus adultes concernant leur relation avec leur conjoint à l’âge de 22 ans. De même, les adultes présentant un attachement préoccupé développent une ambivalence comportementale relationnelle : ils sont partagés entre un besoin de se sentir lié aux autres et celui d’être autonome.

Les études de J. R. Ogawa et coll. et M. Carlson en 1998 n’ont pas permis de mettre en évidence l’existence d’un lien entre un attachement insécure ( ?), évitant et résistant et des comportements ultérieurs inadaptés ou désorganisés. Pour autant, l’attachement infantile désorganisé/désorienté, où l’enfant recherche la proximité maternelle de manière étrange et désorientée, semble prédire des troubles psychologiques ultérieurs.

Ces recherches ont conduit P. Fonagy (2008, p. 49) à dire que « la capacité parentale d’adopter une position intentionnelle envers un nourrisson qui n’a pas encore d’intentions – c’est-à-dire de lui attribuer des pensées, des émotions et des désirs en relation avec ses propres états mentaux à son égard – constitue le médiateur clé de la transmission de l’attachement et rend compte des observations classiques concernant l’influence de sa sensibilité parentale ». Fonagy a ainsi pu constater que les mères ayant un niveau de stress élevé mais une bonne fonction réflexive avaient plus de chance d’avoir des enfants attachés de façon sécure (Fonagy et coll., 1994). Il établit un parallèle entre la théorie de l’attachement et la compréhension des troubles psychiatriques : « la pathologie anaclitique (un besoin exagéré d’être en relation- préoccupation/dépendance) se retrouve chez les personnalités dépendantes, histrioniques, ou dans les troubles de la personnalité borderline. La pathologie introjective (une quête identitaire exagérée – une pathologie détachée ou évitante) est supposée caractériser les individus schizoïdes, schizotypiques, narcissiques, antisociaux ou évitants » (2008, p. 57).

L. Main et E. Hesse (1990) ont lié le comportement d’attachement désorganisé/désorienté à des soins parentaux « effrayés ou effrayants ». Les bébés ont peur de leur parent et ont pourtant besoin de leur réconfort lors de moments de détresse. Les études de M. Carlson et coll. (1995) et J. Hart et coll. (1995) mettent en évidence que les situations de stress chez l’enfant engendrent une sécrétion excessive du cortisol provoquant des lésions de l’hypothalamus. Les enfants développant ce type d’attachement sur une durée prolongée présentent un retard mental ainsi qu’une hypo ou hyperactivité du système nerveux.

55 Selon L. A. Sroufe (1996) les enfants agressifs et rejetés présentent de l’immaturité, de la colère, une affectivité négative, une faible tolérance à la frustration, de l’irritabilité, de l’incompétence sociale, de l’inattention à autrui et exprime fréquemment une détresse personnelle. Cela indique un défaut dans leur capacité à réguler leurs affects négatifs lorsqu’ils sont dans un contexte de relations interpersonnelles.

E. Hesse et L. Main en 1990 ont démontré que les sujets ayant vécu des traumatismes ou des expériences de perte non résolues sont plus susceptibles de développer des épisodes dissociatifs. J. R. Ogawa et coll. (1997) ont mis en évidence que les dissociations étaient plus importantes chez les personnes ayant souffert d’un traumatisme important tel que le décès d’une figure d’attachement ou une séparation prolongée d’avec leur mère avant l’âge de 54 mois (4 ans et demi).

P. Fonagy explique que « d’une façon générale, un lien étroit est prouvé entre le caractère désorganisé des relations d’attachement et les pathologies sévères de la relation » (p. 67, 2008). Il reste cependant prudent en rappelant qu’« à travers une série d’études, on est frappé de constater qu’il est difficile de repérer des conséquences univoques de l’attachement sécure sur la personnalité. Chacun des facteurs examinés est probablement influencé par une série de déterminants donc aucun ne peut être contrôlé dans ces investigations longitudinales. Les arguments suggérant que l’attachement constitue la fondation de l’adaptation ultérieure ne sont ni fiables ni constants » (2004, p. 53).

Les théoriciens de l’attachement mettent l’accent sur l’importance des premières interactions de l’enfant avec ses parents et son environnement en utilisant des outils d’investigation et d’observation développés. Ils observent la dialectique entre réalité concrète et réalité psychique et leurs mécanismes internes. Comme le dit G. Faza Viziello (2004), les théoriciens de l’attachement ont mis en évidence « la corrélation entre l’interaction parents- enfants, la formation des représentations de différents niveaux et la qualité de l’internalisation qui sous-tendent la formation de la fonction réflexive ». Ainsi, les enfants victimes de violence infantiles intègrent des représentations et des objets issus des modèles relationnels auxquels ils ont été confrontés. Ces enfants s’autorégulent et développent alors des comportements particuliers. Ils s’adaptent et s’accordent aux humeurs perçues dans leur environnement.

56 L’impact du pulsionnel et du symbolique dans la construction identitaire est mis de côté par les théoriciens de l’attachement. Or, comme le dit M. Corcos (2009), « l’attachement, c’est la masse, imposante en soi, du tronc d’un arbre. La pulsionnalité, c’est la coulée de sève qui nourrit et anime l’arbre, le rend vivant et en vitalise les ramifications des racines jusqu’aux branches et aux feuilles» (p. 126). Il nous semble nécessaire, dans une troisième partie, de revenir à la théorie psychanalytique pour saisir les déterminants inconscients et sexuels qui participent à la construction psychique.

Nous proposons de mettre en lumière les processus psychiques inhérents à la création des imagos parentaux. En effet, nous supposons que la défaillance de l'objet parental a engendré paradoxalement une quête insatiable de l'objet parental. À l'adolescence, période où l'enfant va vers la subjectivation et l'investissement de nouveaux objets d'amour, il semble que les jeunes confiés à l'ASE ne parviennent pas à désinvestir les imagos parentaux et restent sous l’emprise de ceux-ci.

Le poids de l’idéalisation (négative ou positive) des objets parentaux semble faire obstacle au travail de subjectivation. L'adolescent est enfermé dans les projections parentales qu'il a reçues lors de sa prime enfance.

Que sont ces imagos ? Comment se constituent-ils ?

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