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Nous faisons l’hypothèse que les enfants placés ayant subi la défaillance parentale lors de leur prime enfance présentent à l’adolescence des faillites dans leur construction narcissique et objectale et qu’elles viennent faire obstacle au processus adolescent.

En effet, J. André met l’accent sur l’atteinte narcissique éprouvée par les enfants qui vivent la défaillance parentale lorsqu’ils sont immatures : « Le trauma précoce appelle une réflexion originale sur la forme du moi. Les « atteintes » faites à celui-ci alors qu’il n’est encore qu’un « être de frontières » en voie de tracé, ces atteintes sont des narzisstische Kränkungen, des blessures narcissiques. Pour s’aimer soi-même, comme l’indique la forme réfléchie du verbe ou le poème d’Ovide, il faut être deux ; or ce chiffre-là n’est jamais parfaitement assuré » (2009, p. 1325).

Nous supposons qu’à l’adolescence ces blessures narcissiques restent vives et que l’effraction du sexuel pubertaire et celle du trauma confrontent à nouveau l’adolescent à une désorganisation interne, sans qu’il ait les ressources psychiques pour y faire face. Nous supposons ainsi que les adolescents font face à un séisme d’une magnitude pulsionnelle exceptionnelle sans avoir une structure narcissique suffisamment solide pour y résister.

Nous présumons que le processus adolescent, qui, normalement, bouscule le jeune vers un investissement objectal et un remaniement de l’internalisation des objets primaires, se trouve, pour ces adolescents, entravé. Ils se trouvent engagés sur deux fronts: l’un lié à l’effraction traumatique, l’autre à l’effraction du sexuel, sans savoir engager une solution diplomatique.

Notre deuxième hypothèse suppose ainsi que le processus adolescent achoppe, pour les adolescents placés depuis leur enfance, du fait de de la pauvreté des capacités d’investissement narcissique et objectal. Nous présumons que les adolescents déploient des défenses psychiques massives pour préserver leur narcissisme et qu’ils ne peuvent donc investir d’autres objets. Alors qu’ils vivent des mouvements d’ambivalence entre un

besoin de préservation narcissique et une « appétence objectale » (Ph. Jeammet, 2005, p. 706), leurs ressources psychiques sont utilisées pour faire face aux effractions traumatiques et

113 sexuelles. Nous supposons que les effets négatifs du traumatisme précoce entravent les activités élaboratives et remémoratives inhérentes au processus adolescent.

Afin de vérifier cette hypothèse, nous allons observer : - La qualité de l’investissement narcissique

L’adolescence est marquée par l’investissement massif du narcissisme au vu de l’importance des remaniements du moi et de l’Idéal du moi qui sont en jeu. Nous allons l’observer au travers des entretiens et des tests.

Les entretiens nous offrent la possibilité d’évaluer la qualité du narcissisme des adolescents via l’étude de leur posture, de leur voix, de leur allure, de leur habillement. Ce sont des indices qui nous éclairent sur la manière dont ils investissent leur corps et donc leur moi car, comme le dit Freud : « Le moi est avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement un être de surface, mais lui-même la projection d’une surface » (OCF XVI, p. 270).

L’analyse du discours nous permet d’être attentive à la présence ou à l’absence des forces pulsionnelles à l’œuvre chez nos participants. F. Dargent (2011) rend compte, pour l’un de ses patients adolescents dont l’unité du moi a été fragilisée par des traumas précoces, d’un discours marqué par la fermeture, par la résistance au changement, par la rigidité sur la parole vraie. Ainsi, elle rend compte du fait que pour certains adolescents : « le scandale se déplace du sexuel infantile à la tendance à la destructivité au cœur du moi et engage, en théorie comme en pratique, toute la complexité du destin narcissique des pulsions et des tensions qui animent des forces antagonistes de la vie psychique » (2011, p. 25). Nous serons donc attentive aux caractéristiques du discours et tenterons d’observer la part qu’y prend le moi.

La qualité du narcissisme est également observable aux épreuves projectives. Au Rorschach, la manière dont les représentations sont perçues traduit les possibilités d’intériorisation, de contenance, de protection du moi. Nous sommes également soucieux de la qualité de l’identité et des identifications données, de leur intégrité, de leur charge libidinale et agressive. La planche V est révélatrice de la représentation de soi, nous y sommes donc sensibles.

Le TAT nous donne des indices sur les mécanismes de défenses privilégiés par nos participants et sur la manière dont ils protègent leur narcissisme. Il révèle également les conflits intrapsychiques prévalents, ce qui nous permettra de mettre en relief les angoisses spécifiques de nos sujets.

114 - La qualité de l’investissement objectal

Le processus adolescent engendre une appétence objectale car l’adolescent, nouvellement nanti de ressources intellectuelles et physiques, se voit contraint de trouver une issue à ses pulsions sexuelles sur des objets autres que familiaux. L’issue du processus adolescent est donc l’investissement et l’insertion dans le monde social. Pourtant, nous supposons que chez les adolescents ayant vécu des traumatismes précoces, l’investissement objectal est entravé. Pour objectiver cette hypothèse, nous observons la qualité de l’investissement objectal au travers de l’étude du transfert, des entretiens et des épreuves projectives.

Lors des entretiens, les adolescents nous font part de leur contexte de vie. Nous sommes attentifs à écouter et analyser les propos rendant compte de leurs investissements relationnels. Nous demandons aux participants de nous raconter comment ils évoluent dans leurs sphères scolaire, extra-scolaire, amoureuse et familiale, afin de pouvoir nous représenter leurs modalités relationnelles. La manière dont ils nous investissent nous donne des indices sur leur capacité à entrer en relation et sur ce qu’ils attendent du lien objectal. Nous observons s’ils développent des relations dans un objectif d’étayage, de sexualité ou si l’objet représente une menace. Le test du Rorschach apporte également un support d’analyse des possibilités d’investissement objectal ainsi que des capacités d’imprégnation du sujet par l’environnement. Il confronte le sujet à des planches globales ou bilatérales qui peuvent engendrer des mouvements projectifs relationnels. De même, nous observons les registres symboliques et syntaxiques utilisés par les participants lorsqu’ils projettent des représentations relationnelles. Ces facteurs nous permettent d’observer la capacité du sujet à se laisser affecter ou/et stimuler par l’environnement.

Le test du TAT nous permet d’observer la capacité des sujets à fantasmer et à faire face aux conflits intrapsychiques. Il prend appui sur des images mettant en scène des relations. Ainsi, les projections de nos sujets nous permettront de mieux comprendre la manière dont ils s’organisent par rapport au pubertaire et au traumatique. Le test du TAT rend également explicites les défenses mises en place par le sujet ce qui nous permet d’observer le retentissement de la poussée objectale sur l’organisation psychique des participants.

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