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À partir des années 1880, la complexité des tableaux cliniques présentés par les patients victimes de choc cérébraux a engendré une série de questionnements scientifiques autour de la réalité ou pas des symptômes présentés. En effet, à côté des troubles physiologiques présentés par les patients, d’autres troubles plus obscurs, sans aucune logique organique, laissaient interrogatifs les neurologistes. Ainsi, en 1889, Janet met en exergue la disparition de symptômes, chez des patients ayant eu des expériences traumatiques, par l’induction d’issues heureuses lors de séances d’hypnose. Dans Les Médications psychologiques, Janet met l’accent sur le phénomène de la dissociation de la conscience dans les névroses traumatiques : le sujet traumatisé ne peut se détacher du souvenir de son trauma, qui reste « à la manière d’un parasite » dans un pan de la conscience.

À cette époque, la question est de savoir si la névrose traumatique est une névrose déjà existante et réveillée par un choc ou, au contraire, si le choc engendre une névrose traumatique nouvelle chez le sujet. Encore aujourd’hui, deux thèses s’opposent quant à l’explication des pathologies traumatiques. Charcot (1890) et ses contemporains font l’hypothèse de l’existence d’une névrose préexistante au choc traumatique. Dans ses leçons du mardi à la Salpêtrière, Charcot

89 rend compte d’un trouble d’« hystéro-neurasthénie traumatique » et fait l’hypothèse d’un lien entre trauma et hystérie. Il prend position en considérant une prédisposition à une névrose chez le patient, en l’occurrence hystérique. Selon lui, la névrose traumatique est liée à une frayeur réveillant une pathologie antérieure.

Par contre, Oppenheim (1889) et ses successeurs laissent la causalité prédominante des symptômes au choc organique.

Freud et Ferenczi ont exposé des théories au cœur de ce débat, permettant ainsi une avancée dans la compréhension du traumatisme. Ils nous éclairent sur les processus psychiques en jeu lors du vécu de violences et sur la manière dont ce vécu résonne avec l’histoire du sujet. Les adolescents de l’ASE ont tous été soumis à la violence parentale mais y réagissent de manière individuelle. Certains développent des symptômes manifestes alors que d’autres semblent réussir à oublier les éléments violents. Les théories de Freud et Ferenczi apportent des pistes de réflexion qu’il nous semble important d’évoquer.

Freud et Breuer (1892) confèrent sa dimension psychique à la notion de traumatisme. C’est par l’étude de l’hystérie que Freud comprend d’abord le traumatisme comme la représentation psychique d’un évènement vécu par le sujet comme un « « corps étranger interne », source d’excitation » (2013, p. 1858).

Freud fera l’hypothèse, dans Études sur l’hystérie en 1895, qu’il existe chez les patientes présentant une névrose traumatique une prédisposition au trauma. En construisant la théorie de la séduction, Freud fournit la notion de la temporalité en après-coup du traumatisme. Il considère tout d’abord que le trauma est toujours sexuel et qu’il se constitue en deux temps : le premier confronte un enfant à un adulte séducteur. Ce moment n’est pas compris par l’enfant et son sens n’émerge qu’à la puberté et fait alors traumatisme.

Puis, lorsque Freud se confronte à de nombreuses patientes faisant état de traumatisme, il envisage la réalité de la première scène comme pouvant être fantasmatique.

Nous retiendrons de cette première théorisation le fait que, pour Freud, ce qui fait traumatisme n’est pas l’événement en tant que tel mais la mobilisation particulière des affects, des représentations et des fantasmes qui sont directement bouleversés.

90 Freud et Breuer reprennent les travaux de Janet dans Communication préliminaire en 1893 et proposent les concepts de réminiscences et de catharsis afin de décrire les mécanismes psychologiques qui permettent aux souvenirs du fait traumatique de passer d’un état non élaboré à une élaboration. Ils décrivent les mécanismes en jeu dans la névrose traumatique comme une impossibilité de faire le lien entre « l’état pathologique et l’état conscient ». Le sujet traumatisé ne peut se décharger des affects encombrants.

La thérapie consiste alors à établir chez le sujet un phénomène de catharsis lui permettant d’élaborer l’événement source de la pathologie. Cette méthode cathartique fait revivre l’événement dans le but de libérer la charge d’affect lui étant associée et engendrant les troubles actuels.

Dans un second temps, Freud abandonne l’hypnose pour favoriser l’association libre lors de laquelle le patient redonne du sens à son psychisme. Bien que Freud par la suite s’intéresse moins à la névrose traumatique, sa modélisation de la nécessité de la catharsis pour permettre l’élaboration reste une avancée fondamentale dans le traitement des névroses.

En 1916, dans Au-delà du principe de plaisir, Freud revient sur l’impact économique du traumatisme et définit le traumatisme psychique en tant qu’ « effraction étendue » de l’appareil psychique. Face aux évènements, les capacités du pare-excitation sont débordées. Le psychisme met alors en place des stratégies défensives et adaptatives telles que la répétition de la scène. Freud (1916) introduit la notion de réalité psychique et met en avant l’importance du « terrain » psychique dans la résonnance de l’évènement traumatogène qui fera ou pas traumatisme en fonction de l’expérience subjective de la personne.

Pour Freud, le refoulé originaire de l’événement traumatique ne peut être retrouvé, le traumatisme se créé du rapport dialectique entre l’événement, sa réalité psychique et les fantasmes qui en sont issus.

Ferenczi (1932), ami, disciple et patient de Freud, échange tout au long de sa vie avec lui et développe, en s’en différenciant, les théories freudiennes. Selon lui, le refoulement originaire de l’événement peut être retrouvé et analysé grâce à la cure. Ferenczi propose une approche mettant en avant l’aspect évènementiel du trauma. Selon Ferenczi, le trauma peut trouver son origine dans une expérience traumatique avec l’objet où celui-ci a effracté la pensée. Il se distingue de la théorie freudienne en concevant l’objet comme responsable du traumatisme infantile.

91 La clinique auprès d’enfants a permis à Ferenczi de développer la question du traumatisme autour de l’endommagement narcissique durant la prime enfance. Notre étude porte sur les adolescents ayant vécu des traumatismes précoces du fait de la défaillance des objets primaires ; ainsi, il nous semble important d’explorer plus particulièrement les théories concernant les traumatismes infantiles afin d’étudier ensuite ses répercussions sur le processus adolescent.