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Le narcissisme des adolescents ayant vécu des atteintes lorsqu’ils étaient petits est particulièrement défaillant. La violence subie est souvent interprétée par l’enfant comme une faute personnelle. L’image de soi est donc détériorée et de nombreux mécanismes de défense sont mis en place par le jeune pour compenser sa défaillance narcissique. Pour dépasser le pubertaire, l’adolescent doit parvenir à « se choisir soi-même en tant qu’objet d’intérêt, de respect et d’estime » (A. Braconnier et D. Marcelli, p. 21). Avant qu’il y parvienne, l’adolescent passe par des mouvements pouvant l’amener à s’identifier de manière pathologique aux objets infantiles et à la recherche d’objets qui représentent le soi infantile. L’adolescent peut aussi conserver un soi grandiose et projeter sur les autres un soi primitif grandiose pathologique. M. Emmanuelli et C. Azoulay (2009) expliquent que « cette remise en jeu intervient dans une organisation psychique déjà structurée par l’intégration de la problématique œdipienne, ou encore marquée par des fragilités antérieures qui ont rendu difficiles ou impossibles cette intégration et ces conséquences » (p. 19).

Alors que, pendant la période de latence, les conflits trouvent des voies d’apaisement, l’adolescence réveille ce qui était enfoui.

Les auteurs en psychanalyse montrent qu’une structuration infantile de bonne qualité permet le travail de liaison et de déliaison, alors que des défaillances dans le développement du psychisme pendant l’enfance la compliquent.

M. Marcelli et A. Braconnier notent que « l’identité renvoie au narcissisme de l’individu et à la qualité des premières relations, en particulier des relations de soins précoces constitutives de ce narcissisme. Plus ces relations précoces ont été satisfaisantes, ont permis un investissement du soi en continuité et équilibré (l’investissement libidinal du soi « neutralisant » en partie les investissements agressifs du soi), plus le sentiment d’identité sera stable et assuré, et à l’inverse, moins l’antagonisme entre le besoin objectal et l’intégrité narcissique se fera sentir : l’objet

84 n’est pas une menace pour le sujet dans la mesure où la relation d’objet précoce a toujours étayé l’investissement narcissique. Dans ce cas, la survenue de l’adolescence marquée par son « besoin d’objet » ne menacera pas l’assise narcissique de l’individu » (2013, p. 25).

C’est bien le phénomène inverse que nous observons chez les adolescents ayant subi des violences lorsqu’ils étaient petits : l’investissement de soi s’est fait sur des modalités agressives ; l’objet est connu comme étant source de douleur, aussi, le besoin d’objet est nié ou rejeté car trop menaçant pour l’assise narcissique de l’individu. L’identité de ces adolescents est donc fragile. Ainsi, A. Braconnier et D. Marcelli écrivent : « le réveil pulsionnel de l’adolescence et son besoin objectal seront ressentis comme un danger pour l’assise narcissique et identitaire contraignant l’adolescent à une attitude d’opposition, de rejet ou de négativisme à cause de l’aspect anti-narcissique que rend l’investissement d’objet. » (ibid.)

Les enfants expérimentant la défaillance parentale entre leur naissance et leurs quatre ans vivent des situations qui engendrent à l’adolescence des conflits de dépendance narcissique. Selon Ph. Jeammet (1990) « toute situation qui conflictualise précocement les relations entre sujet et objet et fait apparaître cet antagonisme entre investissement d’objet et sauvegarde de l’intégrité du sujet, c’est-à-dire qui confère une fonction anti-narcissique importante à l’investissement d’objet, entrave inévitablement les mécanismes d’introjection et la qualité des intériorisations du sujet. » (1990, p193). Ph. Jeammet rend compte alors de « difficultés notables dans les processus d’autonomisation du sujet avec la constitution de zones d’indistinction entre sujet et objet, d’empiètements réciproques et d’incorporations parasitaires d’objets » (1990, p. 193). Selon Jeammet, les adolescents ayant été dans cette situation lorsqu’ils étaient petits trouvent alors un équilibre narcissique dans la dépendance aux relations d’objets qui leur garantissent un rempart contre la désorganisation. « C’est la permanence de relations, en général plus ou moins idéalisées, à un ou plusieurs personnages particulièrement investis, qui assure une continuité du sujet que le seul recours aux objets internes ne suffit pas à garantir » (1990, p. 193). L’adolescent, avec l’émergence de son corps sexué, se découvre une égalité avec l’adulte et renforce ainsi son narcissisme mais, pour autant, il perd l’illusion de son omnipotence infantile, ce qui met en péril sa sauvegarde narcissique. Certains adolescents intègrent la réalité et renoncent à leurs illusions infantiles, d’autres, dont les assises narcissiques sont trop faibles, ne parviennent à ce renoncement.

85 Pour ceux-là, M. Emmanuelli et C. Azoulay précisent que « lorsque la fixation œdipienne est trop intense, qu’elle renvoie l’adolescent à l’effroi devant la gestion de l’agressivité parricide ou des vœux incestueux, sans pour autant mettre à mal l’acceptation de la réalité, la voix de la névrose est ouverte. Lorsque le retour à l’omnipotence est une nécessité pour lutter contre les fantasmes d’engloutissement, de fusion, ou d’éclatement, lorsqu’il sert la lutte identitaire, le renoncement ne pourra s’effectuer, et l’accès à la réalité s’en trouve perturbé » (2009, p. 20). Par ailleurs, C. Chabert (1998) a mis en relief que le sujet ayant un fonctionnement limite ne s’identifie pas à ses parents selon leur identité sexuée. Le défaut d’intériorisation des interdits, qui témoigne de la fragilité du préconscient, rend les réactivations œdipiennes intolérables pour ces adolescents. Des angoisses de séparation, d’intrusion, de morcellement, d’effondrement remettent en cause le narcissisme du sujet.

M. Corcos (2009) suppose que « les conduites agies des adolescents limites stigmatisent un dysfonctionnement dans le processus de séparation-individuation-subjectivation d’avec les objets primaires et de construction corporelle et psychique de l’identité à l’adolescence, processus dans la continuité des lignes de forces de celles qui se sont joués lors des deux premières années de la vie. Ce dysfonctionnement est fondamentalement lié aux discontinuités plus ou moins intenses et longues de présence vivante de l’objet pour le sujet. Chaque discontinuité a constitué une épreuve et un problème à résoudre et il faut apprécier la capacité du sujet à les surmonter ou au contraire sa tendance à régresser et le prix interne payé en termes de mécanismes de défense mis en place » (p. 120).

Pour M. Corcos, les hypothèses étiopathogéniques des pathologies limites chez les adolescents rendent compte de troubles de la relation entre l’adulte de référence et le bébé (emprise, intrusion, effraction) ainsi que de carence affective.

Ainsi, l’enfant ayant vécu la violence parentale perçoit l’objet comme une menace, ce qui engendre à l’adolescence le « besoin d’objet » comme potentiellement dangereux (D. Marcelli et A. Braconnier (2013)). Pour les adolescents fragilisés, l’effroi face aux vœux incestueux et paricidaires peut engendrer une entrée névrotique ou un retour à l’omnipotence infantile au détriment de la réalité (M. Emmanuelli et C. Azoulay (2009)).

86 L’adolescent ayant vécu la défaillance parentale fait-il face des angoisses de séparation, d’intrusion, de morcellement et d’effondrement ? Nous cherchons à comprendre plus précisément l’origine de ces angoisses.

Notre hypothèse de recherche principale est, rappelons-le, que les enfants ayant subi la défaillance parentale lors de leur prime enfance témoignent à l’adolescence de la résurgence des traumatismes infantiles. Nous faisons l’hypothèse que les irruptions pulsionnelles traumatiques entravent le processus adolescent, car les adolescents ne sont pas suffisamment solides narcissiquement.

Nous avons pu rendre compte, dans cette partie sur l’adolescence, de l’effraction du pubertaire. Il nous semble important maintenant de faire part des théories sur le traumatisme pour penser le traumatisme à l’adolescence des jeunes de l’ASE ayant vécu la violence parentale.

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