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Chapitre 4 : Vers une rééducation psychomotrice de la

2. Psychomotricité et dyslexie

2.2. Les théories non phonologiques pour expliquer la dyslexie

2.2.2. Théorie du déficit auditif de perception de l’ordre temporel

2.2.2.1. Le déficit de perception de l’ordre temporel

Cette théorie explicative de la dyslexie a été élaborée à la suite des travaux de Tallal, qui après avoir démontré que les enfants dysphasiques souffraient de difficultés dans la perception temporelle des stimuli auditifs rapides, a mis en avant que les enfants dyslexiques avaient des difficultés similaires (Tallal, 1980). Cette difficulté empêcherait la réalisation des processus phonologiques requis durant la lecture et pourrait expliquer le trouble phonologique des enfants dyslexiques.

En 1980, Tallal présente une étude où 20 enfants dyslexiques se sont vus administrer une batterie de tests de perception auditive. Les résultats obtenus montrent que les enfants dyslexiques ont des difficultés de perception de l’ordre temporel lorsque les stimuli sont présentés rapidement. En effet, l’intervalle entre deux stimuli auditifs est égal à 428 millisecondes, les deux groupes (enfants dyslexiques vs enfants contrôles) ne présentent pas de différence significative quant à leur performance. Toutefois, si l’intervalle interstimuli est diminué (de 305 à 8 millisecondes), les enfants dyslexiques se retrouvent en difficultés pour ce type de tâche. La différence intergroupe est alors statistiquement significative. De la même manière, s’il s’agit de juger si deux stimuli sont identiques ou non, les enfants dyslexiques se retrouvent en difficulté si l’intervalle qui les sépare est trop court. Tallal (1980) relève également des corrélations entre les performances entre les épreuves de perception auditive et différentes épreuves de lecture, dont une épreuve de lecture de logatomes. D’après les résultats obtenus, les difficultés de certaines dyslexies seraient dues à une incapacité de traitement temporel des perceptions auditives qui affecteraient les compétences phonologiques, comme l’explique la figure 17 ci-dessous.

Figure 17 : Cadre général de la théorie du déficit temporel (Ecalle et al, 2007).

Reste que la théorie de Tallal fait encore débat, comme le montre la synthèse des connaissances sur les troubles des apprentissages de Barrouillet et al., (2007) ou la synthèse faite par Sprenger-Charolles et Colé (2013). A titre d’exemple, l’étude de Nittrouer, (1999) vient largement la contester. L’auteur propose des épreuves de métaphonologie et de traitement temporel auditif à des enfants répartis en fonction de leur niveau de lecture. Les mauvais lecteurs sont, de fait, moins performants dans les tâches de conscience phonologique, mais leurs compétences en traitement temporel, dans la modalité auditivo verbale, restent préservées. De la même manière, les enfants en difficultés de lecture ne sont pas en échec dans une tâche de perception rapide de la parole, comme l’ont montré Wood et Terrell (1998). Ces deux études viennent ébranler l’hypothèse du déficit temporel. Sprenger-Charolles et Colé (2013), insistent, en plus, sur le fait que, même dans l’étude princeps de Tallal, une partie de l’effectif des dyslexiques (11 % environ) avait obtenu des résultats normaux à l’épreuve de jugement d’ordre temporel.

Pourtant, certaines études relativement récentes, comme celle de Rey, De Martino, Espesser, et Habib (2002) vont encore dans le sens de l’hypothèse d’un déficit dans la perception temporelle. La confirmation de déficit dans des tâches de jugement d’ordre temporel a été mise en évidence chez les enfants présentant des troubles dans l’accès au langage écrit. Les

auteurs ont testé les compétences en perception auditive d’enfants dyslexiques et ces derniers sont en difficultés lors des tâches sollicitées, et ce, quel que soit l’enchaînement entre les consonnes et les voyelles (syllabes de type CCV ou CVC). On n’observe pas de différence significative quant aux résultats en fonction du type de syllabe. Cependant, si on allonge la durée des consonnes, les résultats aux épreuves sont meilleurs et les dyslexiques deviennent capables de percevoir l’ordre des stimuli auditifs De plus, dans cette étude, des corrélations significatives sont retrouvées entre les tâches de jugement d’ordre temporel et les tâches de conscience phonologique.

La théorie du déficit d’ordre temporel de Tallal serait donc loin de pouvoir expliquer les difficultés des enfants dyslexiques. Cependant, l’expertise collective de l’INSERM (Barrouillet et al., 2007) admet la possibilité, qu’un déficit précoce dans la perception temporelle auditive, éventuellement récupérer par la suite, pourrait engendrer des difficultés au moment de l’apprentissage de la lecture. Les recherches dans ce domaine doivent se poursuivre.

Si la théorie du déficit temporel fait débat quant à pouvoir expliquer l’origine des troubles chez les dyslexiques, elle a tout de même abouti à des programmes de rééducation spécifiques.

2.2.2.2. Traitements associés à la théorie temporelle

Les tenants de la théorie d’un déficit perceptif temporel proposent une méthode de rééducation de la dyslexie par stimulation du traitement de la parole. Il s’agit de faire écouter aux dyslexiques des extraits auditifs de paroles ralentis. Cette méthode permettrait d’augmenter significativement les performances dans les tâches phonologiques. En France, l’équipe de Habib (Habib, 2002) s’est fortement intéressée à cette perspective thérapeutique. A titre d’exemple, en 1999, Habib et son équipe ont proposé à 6 enfants dyslexiques phonologiques un entraînement à la conscience phonologique utilisant des exercices enregistrés sur disque audio. Les paramètres acoustiques et temporels des exercices ont été modifiés. En parallèle, un groupe contrôle de 6 autres enfants dyslexiques phonologiques a reçu le même entraînement phonologique mais sans modification temporelle des exercices. L’entraînement s’est déroulé une fois par jour, cinq jours par semaine, pendant cinq semaines. Les résultats obtenus montrent une amélioration plus importante, et statistiquement

significative, des capacités en conscience phonologique chez les dyslexiques du groupe expérimental. Leur série d’études semble confirmer l’efficacité d’un entraînement temporo- phonologique sur les compétences en conscience phonologique, sur le traitement du langage oral et dans l’accès au langage écrit, tout en précisant que ce type de rééducation développerait également d’autres facteurs (attention, mémoire auditivo-verbale) qui pourraient également jouer un rôle dans l’amélioration des symptômes des dyslexiques (Habib, 2002). Inspirés de la même théorie étiologique de la dyslexie, des chercheurs finlandais ont entraîné des enfants dyslexiques avec des stimuli sonores associés à des formes visuelles. L’évolution significative du groupe expérimental a également été constatée (Ecalle et Magnan, 2002).