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Chapitre 1 : La lecture

1. Généralités sur la psychomotricité

La psychomotricité peut être entendue comme un domaine d’étude pluridisciplinaire qui met en lien les compétences motrices et la structure psychologique de l’individu, entendue au sens large du terme, autrement dit son développement psychoaffectif, cognitif et psychosocial. Le concept de psychomotricité, qui se base donc sur le principe de l’unité entre le corps et l’esprit, se fonde sur des éléments théoriques empruntés aux neurosciences, à la psychologie génétique ou encore à la psychanalyse. Elle inclut une sémiologie spécifique aux troubles psychomoteurs et un vaste champ de pratiques, techniques et d’interventions (Rigal, 2009).

L’organisation psychomotrice de l’individu dépendrait ainsi du bon développement d’un certain nombre de compétences (la tonicité, la latéralité, le schéma corporel, la structuration spatio-temporelle, et les compétences motrices) qui théoriquement sont en interaction les unes avec les autres.

En premier lieu, l’un des éléments de base de l’organisation et du développement psychomoteur est le tonus musculaire, défini comme l’état de contraction des muscles du corps, en fonction du comportement à atteindre. Le tonus est particulièrement en lien avec l’état émotionnel de l’individu, tout comme il est le point de départ de l’activité motrice. La régulation tonique est donc une compétence particulièrement importante en psychomotricité car elle met en lien les états psychoaffectifs et la motricité. En outre, le tonus interagirait avec la construction du schéma corporel par la sensibilité proprioceptive et le processus de latéralisation (Da Fonseca, 2007; De Lièvre & Staes, 2012; Vaivre-Douret, 2006b).

En second lieu, la dominance latérale se définit comme l’utilisation fonctionnelle préférentielle d’une partie du corps, c’est-à-dire, plus communément être droitier ou gaucher. La latéralisation est en lien avec la spécialisation hémisphérique cérébrale qui permet alors le développement des compétences neuropsychologiques. De plus, elle permet l’organisation de la motricité de l’individu par l’établissement d’un hémicorps plus tonique, préparé préférentiellement pour l’action (Da Fonseca, 2007).

Un autre facteur central dans l’organisation psychomotrice, mais plus généralement du développement de l’individu, est le schéma corporel. Il s’agit d’une manière générale de la connaissance que l’on a de son propre corps, qui serait en fait indispensable à la réalisation des gestes. En effet, le schéma corporel, référentiel spatial du corps, permet l’ajustement de la motricité et la construction de l’espace environnant. Un bon schéma corporel semble donc indispensable à l’interaction adaptée entre le sujet et son milieu.

La structuration spatiale concerne l’ensemble des capacités à s’organiser, se repérer et se situer dans l’espace environnant, incluant l’orientation de l’espace du corps (droite-gauche). Cette compétence dépendrait étroitement de l’intégration du schéma corporel et du processus de latéralisation. En complémentarité avec la structuration dans l’espace, la structuration temporelle est la capacité à s’organiser, se repérer et se situer dans le temps, et inclut par extension les compétences rythmiques. Indissociable de l’espace, la structuration temporelle est également importante pour la réalisation de l’action motrice qui doit être temporellement planifiée et exécutée (Da Fonseca, 2007; De Lièvre & Staes, 2012; Vaivre-Douret, 2006b). Finalement, la psychomotricité s’intéresse au développement moteur (équilibre statique et dynamique, coordinations et dissociations motrices globales et manuelles) et à l’activité praxique, c’est-à-dire à la réalisation de gestes intentionnels dirigés vers un but, et toujours encadré dans un référentiel spatial et temporel. Elle prend également en compte les fonctions

cognitives et exécutives indispensables à l’activité praxique comme l’inhibition, l’attention et la mémoire.

Il est admis dans la pensée des psychomotriciens que les différentes compétences décrites en amont sont en interaction. Seule l’intégration de celles-ci, sous couvert d’une maturation neurologique normale et du bon développement psychoaffectif, pourrait permettre un développement global et harmonieux (Da Fonseca, 2007).

1.2. Pratiques et techniques d’intervention en psychomotricité

1.2.1 Rééducation, thérapie et éducation psychomotrice

En France, le psychomotricien est, de prime abord, un professionnel paramédical. Il pratique les actes définis par le décret n°88-659 du 6 mai 1988, à savoir l’examen psychomoteur, l’éducation et la stimulation précoce, la rééducation de retards du développement psychomoteur et des troubles du schéma corporel, de la dominance latérale, de l’organisation spatio-temporelle, de la régulation tonico-émotionelle, des troubles de la motricité (troubles des coordination, troubles de l’écriture, instabilité motrice…).

Les psychomotriciens sont également habilités à intervenir auprès de patients présentant une instabilité ou une inhibition psychomotrice, ou encore d’aider au traitement des retards cognitifs. Finalement, par les techniques d’approches corporelles, les psychomotriciens peuvent également soutenir le traitement des troubles du comportement, de la personnalité ou de la représentation du corps d’origine psychique.

En ce sens, les psychomotriciens pourront, en fonction d’une orientation théorique choisie ou plus généralement des besoins d’intervention spécifique, orienter leur prise en charge sur une pratique :

• rééducative, pour rétablir une fonction, une compétence dans le cadre d’un handicap, d’un trouble instrumental ou encore fonctionnel, ou

• thérapeutique, pour traiter les troubles du comportement et de la personnalité, ou finalement

• éducative, pour garantir l’intégrité du développement des enfants tant sur les aspects de son développement psychomoteur que dans le cadre des apprentissages scolaires.

La triple qualification de la technique psychomotrice (rééducative, éducative et thérapeutique) correspond aux différents courants théoriques qui ont traversé son développement. Ainsi, l’aspect rééducatif renvoie aux premières formes de psychomotricité. Il s’agissait des gymnastiques qualifiées de « médico-psychologiques » qui sont apparues dès les années 1900, influencées par les avancées scientifiques de la neurologie et de la psychiatrie de l’époque, et qui avaient pour objectif principal la correction des réalisations motrices par le développement de la volonté et de l’attention des sujets (Corraze, 2010; Da Fonseca, 2001; Fauché, 1994). Aujourd’hui, la qualification de rééducateur semble s’appliquer aux psychomotriciens s’inspirant des théories cognitivo-comportementales, dont l’objectif est la réduction des symptômes perceptivo-moteurs. D’une manière générale, la rééducation psychomotrice se base traditionnellement sur le corps et l’expérience motrice pour restaurer les compétences altérées, chez l’enfant, l’adulte ou la personne âgée. Traditionnellement, un examen psychomoteur préalable vient définir les compétences psychomotrices déficitaires responsables des difficultés observées. Le psychomotricien établit alors les objectifs et les méthodes de rééducation. L’avancée de la prise en charge est réévaluée jusqu’à la fin du traitement (Da Fonseca, 2001).

Par opposition au courant rééducatif, l’aspect thérapeutique de la discipline s’est développé sous l’influence de la psychanalyse. La rééducation est devenue au cours des dernières décennies une thérapie à médiation corporelle. La réduction des symptômes perceptivo- moteurs est passée au second plan. L’important devient le travail de relation et d’expression, qui permettrait, selon les praticiens influencés par ce courant, la libération du sujet (Fauché, 1994 ; Rigal, 2009).

Finalement, les pratiques en éducation psychomotrice sont nées, à partir des années 1950, de l’intérêt de la psychomotricité pour la rééducation des troubles des apprentissages de l’enfant, mais également dans une optique de rébellion face au système éducatif de l’époque. Rejetant le dualisme corps-esprit, c’est la globalité de l’enfant qui est pris en compte, en faisant de son corps et de son expérience sensori-motrice une médiation pour l’accès aux savoirs (Fauché, 1994; Le Roux, 2005).

1.2.2 Techniques et médiation en psychomotricité

Afin de compléter cette présentation générale de la psychomotricité, les différentes techniques et médiations utilisées par les psychomotriciens dans leur pratique, qu’elles soient éducatives ou rééducatives, seront présentées succinctement. Le décret de compétences des psychomotriciens signale explicitement l’utilisation de méthodes telle que les techniques de relaxation, d’éducation gestuelle, d’expression corporelle et plastique, d’activités rythmiques, mais également de jeu, d’activités d’équilibration ou de coordination.

Plus récemment, les techniques et médiations psychomotrices, qui peuvent être qualifiées de techniques corporelles, soit d’inspiration cognitivo-comportementale soit d’inspiration analytique, ont été regroupées, par Giromini, Albaret, et Scialom (2015) en :

• méthodes de relaxation (thérapeutique, analytique, dynamique, cognitivo- comportemental…) permettant, en plus de la régulation du tonus musculaire, la détente psychique de l’individu et la gestion de ses émotions ;

• méthodes à médiation sensorielle (le toucher thérapeutique ou la stimulation sensorielle par exemple) ;

• méthodes perceptivo-motrices ou à dominance cognitive (comme par exemple la technique graphique d’extension, la méthode CO-OP ou la gestion mentale), utilisées notamment dans le cadre de rééducations psychomotrices instrumentales pour les enfants souffrants de troubles spécifiques des apprentissages (notamment la dyspraxie, ou la dysgraphie).

• la ludothérapie, les techniques à médiation corporelles et les méthodes à médiation artistique (expression musicale et rythmique, chant, danse, jeu dramatique), utilisées plus généralement à des fins thérapeutiques mais également à des fins rééducatives. En effet, Giromini et al. (2015) recommandent le travail musical et rythmique pour les enfants souffrant par exemple de troubles instrumentaux tels que les troubles spécifiques des apprentissages scolaires, sans pour autant étayer leur propos.

Les psychomotriciens pourraient également, après la réalisation de formations complémentaires, introduire dans leur pratique des activités liées à la rééducation logico- mathématique, ou encore à l’activité physique adaptée (Giromini et al., 2015).

La psychomotricité est donc un vaste champ disciplinaire, dont les influences théoriques, les pratiques et les méthodes utilisées sont diverses. La suite de cette thèse se centrera sur le courant de l’éducation psychomotrice avec son histoire, ses pratiques historiques et ses fondements théoriques. Par la suite, les éléments empiriques en faveur d’une approche psychomotrice de la pédagogie de la lecture seront discutés.