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Chapitre 4 : Vers une rééducation psychomotrice de la

3. Structuration temporelle et dyslexie

3.2. Compétences rythmiques et dyslexie

A l’instar des différentes études ayant mis en lien les compétences phonologiques et les performances en lecture des enfants normolecteurs, d’autres auteurs se sont intéressés aux relations entre ces différentes compétences chez les enfants dyslexiques. Ainsi, Huss, Verney, Fosker, Mead, et Goswami, (2011) ont étudié les liens entre les compétences musicales, la perception des temps forts et la lecture chez des enfants dyslexiques et normolecteurs. D’après leur analyse statistique, les enfants dyslexiques ont plus de difficultés dans la perception des temps forts, dans la comparaison et la reconnaissance de mélodies variant en termes de tempo. Des liens corrélatifs sont également marqués entre les épreuves de perceptions métriques musicales, les habilités phonologiques et la lecture.

Concernant plus spécifiquement les compétences rythmiques, Thomson, Fryer, Maltby, et Goswami, (2006) ont proposé une étude concernant 19 adultes dyslexiques appariés à un groupe contrôle de 20 adultes normolecteurs. Les auteurs ont évalué la conscience phonologique (épreuve de suppression phonémique), la dénomination rapide et automatique, et l’empan de chiffres. Ils ont également pris en compte des mesures auditives (discrimination d’intensité et de durée), des mesures rythmiques (discrimination du tempo, synchronisation de rythme avec un métronome) et évalué la motricité manuelle. En comparant les deux groupes, les auteurs ont pu mettre en avant des différences significatives dans les tâches de conscience phonologique et dans les mesures auditives. En revanche, les capacités de discrimination du tempo ne diffèrent pas significativement d’un groupe à l’autre. Au test de motricité manuelle, les adultes dyslexiques présentent des résultats inférieurs pour l’épreuve utilisant la main

dominante. L’étude de corrélations partielles, en contrôlant le quotient intellectuel, montre des relations statistiquement significatives entre les épreuves rythmiques motrices et la lecture, l’empan de chiffres et les mesures auditives. Mais l’étude de régression hiérarchique montre que seules des mesures auditives (incluant la perception des durées et des accents du langage oral) expliquent significativement les résultats obtenus en lecture.

Suite à cette étude, Thomson et Goswami (2008) proposent alors à 48 enfants, dont 25 dyslexiques, âgés de 10 ans en moyenne, différentes épreuves afin de déterminer les liens possibles entre les compétences en lecture et les processus rythmiques, dans les versants perceptifs (auditifs) et en production (versant moteur). Les auteurs ont évalué la lecture, la conscience phonologique (épreuve de conscience de rimes), la mémoire à court terme phonologique (répétition de non mots) et la dénomination rapide. Des mesures auditives, incluant des épreuves de perception de rythme, ont été réalisées : test de discrimination de temps fort, d’intensité, de fréquence et de durée. Les épreuves rythmiques consistaient en une épreuve de discrimination de tempo et de synchronisation au métronome. La dextérité manuelle a, elle aussi, été évaluée. L’analyse des résultats met en évidence des performances significativement inférieures pour les enfants dyslexiques dans les trois épreuves phonologiques. En ce qui concerne les mesures auditives, seule l’épreuve de discrimination d’intensité n’est pas significativement plus difficile pour les enfants dyslexiques. D’une manière générale, les enfants normo-lecteurs sont plus sensibles, dans le traitement auditif que les enfants dyslexiques. L’analyse statistique ne révèle pas de différence significative entre les résultats obtenus par les normolecteurs et les enfants dyslexiques dans l’épreuve de discrimination de tempo. Quant à l’épreuve de synchronisation de frappes avec un métronome, les enfants dyslexiques montrent une plus grande variabilité dans les intervalles inter-frappes, ce qui indique des difficultés dans la synchronisation rythmique motrice. Cette difficulté ne s’explique pas par une difficulté dans la motricité manuelle, puisque les résultats à cette épreuve ne diffèrent pas entre les deux groupes d’enfants. De plus, les mesures rythmiques auditives corrèlent avec les épreuves de lecture. Après contrôle du quotient intellectuel, la perception des durées et laperception du temps fort continuent à être liées à la lecture. La discrimination des durées est également en lien avec l’épreuve de conscience des rimes et de dénomination rapide. La discrimination du tempo est corrélée avec la lecture, même après contrôle du QI. Les épreuves rythmiques auditives et motrices sont corrélées entre elles. Le score composite de l’épreuve de synchronisation est corrélé à la lecture et à la conscience phonologique. Les auteurs concluent alors à l’existence d’un lien, qu’il faut encore

éclaircir, entre les compétences rythmiques et les compétences en lecture. Ils émettent l’hypothèse de bénéfices possibles d’une intervention rythmique sur les compétences en lecture (Thomson et Goswani, 2008).

L’hypothèse d’un déficit dans la perception temporelle chez les enfants dyslexiques a voulu être expliquée par certains auteurs par les troubles de l’attention, fréquemment rencontrés en comorbidité avec le trouble spécifique de l’apprentissage de la lecture. Mais les résultats rencontrés dans les études semblent diverger.

Tiffin-Richards, Hasselhorn, Richards, Banaschewski, et Rothenberger, (2004) comparent les performances obtenues lors de plusieurs épreuves de rythmes frappés (tempo spontané, frappes synchronisées à intervalle fixe, synchronisation de frappes sur une structure rythmique) chez des enfants dyslexiques, TDAH, dyslexiques et TDAH, et un groupe contrôle. Les auteurs concluent de leur analyse statistique que les enfants dyslexiques et les enfants TDAH ont des scores significativement inférieurs aux enfants du groupe contrôle. Néanmoins, aucun des groupes d’enfants ne semble en difficulté si les stimuli sont séparés par un intervalle d’une seconde. Dans cette étude, le groupe d’enfants souffrant d’une comorbidité entre TDAH et dyslexique ne présentent pas de résultats significativement inférieurs aux enfants dyslexiques ou aux enfants TDAH.

Pourtant, Gooch, Snowling, et Hulme (2011) ont voulu tester l’hypothèse selon laquelle, en réalité, seul les enfants dyslexiques ayant en comorbidité un trouble de l’attention (TDAH) ont des difficultés dans la perception du temps. Pour démontrer ce fait, les auteurs ont soumis quatre groupes d’enfants (contrôle (n = 59) ; dyslexiques (n = 17) ; présentant un déficit d’attention, (n = 17) ; dyslexiques + déficit d’attention, (n = 25)) à des épreuves d’estimation et de production de durée. Les auteurs ont également estimé le seuil de discrimination des durées pour chaque groupe. Des épreuves phonologiques (mémoire à court terme phonologique, conscience phonémique), une épreuve de décodage (lecture de pseudo-mot) et des épreuves d’inhibition et d’attention soutenue et de mémoire de travail phonologique et visuo-spatiale ont également été administrée. D’après les résultats obtenus, les enfants dyslexiques présentent un niveau significativement inférieur dans l’ensemble des épreuves phonologiques (suppression de phonèmes, répétition de pseudo-mots, mémoire des chiffres…). En ce qui concerne les mesures des fonctions exécutives, les enfants présentant un déficit d’attention ou un déficit de l’attention accompagné d’une dyslexie obtiennent des

résultats significativement plus faibles que les autres groupes. En comparant les résultats obtenus à l’épreuve de discrimination de durée, les auteurs mettent en avant que les enfants dyslexiques et ceux présentant un trouble de l’attention obtiennent respectivement des résultats similaires et plus faibles que les enfants du groupe contrôle. Les enfants présentant une dyslexie en comorbidité avec un déficit de l’attention ont des résultats statistiquement non divergeant à cette épreuve par rapport aux enfants avec déficit attentionnel. De plus, ces enfants dyslexiques et TDAH présentent un seuil de discrimination des durées significativement plus élevé que ceux obtenus par le groupe d’enfants dyslexiques, ce qui indique qu’ils sont moins sensibles aux variations temporelles Finalement, d’après l’analyse statistique, dans cette étude, les compétences en discrimination des durées sont reliées aux compétences attentionnelles et non aux compétences en lecture. En ce qui concerne l’épreuve de reproduction de durée, ce sont les enfants présentant un déficit de l’attention, avec ou sans dyslexie, qui obtiennent les résultats les plus faibles. En ce sens, les auteurs concluent que les difficultés phonologiques des enfants dyslexiques ne sont pas en lien avec les difficultés dans le traitement temporel, qui serait un trouble associé au déficit de l’attention.

Finalement, certaines études se sont intéressées aux effets d’un entrainement musical sur les compétences en lecture. Ainsi, Flaugnacco et al. (2015) ont voulu tester l’hypothèse selon laquelle, un entrainement musical, en développant les processus temporels et rythmiques améliorerait les compétences phonologiques et en lecture chez les enfants dyslexiques. Les auteurs ont donc soumis 48 enfants dyslexiques à une série d’évaluations, mesurant notamment le niveau de lecture, la conscience phonologique (fusion et segmentation phonémique), les compétences en répétition de pseudo-mots, les capacités de production de rythmes et de synchronisation sensorimotrice. La mémoire de travail a également été évaluée. Les enfants ont été divisés en deux groupes. Le groupe musique, composé de 24 enfants, a reçu un entrainement musical,axé sur les compétences rythmiques (utilisation d’instruments à percussion, danse, activités de synchronisation, …). Le groupe témoins a reçu quant à lui un entrainement aux activités plastiques (groupe peinture) stimulant les compétences visuo- spatiales et manuelles. Les deux entrainements ont été réalisés en petits groupes (5/6 enfants) par des intervenants spécialisés dans le domaine, deux fois par semaine, durant 30 semaines. Chaque séance avait une durée d’une heure. Après la phase d’entrainement, les deux groupes ont amélioré leurs performances. Toutefois, l’analyse statistique révèle que les progrès des enfants du groupe ayant reçu l’entrainement musical dépassent statistiquement ceux obtenus

par le groupe peinture, notamment pour les épreuves de lecture (à l’exception de la vitesse) ou les épreuves mettant en jeu le traitement phonologique (répétition de pseudo-mots, épreuve de conscience phonémique). D’après les résultats obtenus, le groupe expérimental obtient également des meilleurs résultats pour l’épreuve de mémoire de travail. Ainsi, les auteurs concluent qu’un entrainement musical permet d’améliorer les compétences en lecture d’enfants dyslexiques.

En France, Habib et al. (2013) ont proposé une rééducation, dite cognitivo-musicale, à des enfants et adolescents dyslexiques. Dans les études proposées, les auteurs ont tout d’abord voulu vérifier qu’un traitement musical pouvait améliorer les compétences perceptivo- auditives de la parole. Ils ont ainsi soumis 12 enfants dyslexiques à un entrainement de 18 heures, réparti sur trois jours consécutifs, en effectuant des mesures auditives de perception catégorielle (identification et discrimination du phonème /b/ de la syllabe « ba » dans un continuum entre « ba » et « pa »), de perception des durées (les enfants devaient déterminer si la durée de la syllabe centrale d’un mot était congruente ou non), et de hauteur (épreuve de jugement à partir d’extraits musicaux connus). Les résultats mettent en avant une amélioration significative des compétences des enfants dyslexiques dans les tâches d’identification de perception catégorielle, tout comme dans les tâches de perception des durées syllabiques. Les auteurs concluent alors que l’entrainement musical a permis de développer les composantes temporelles du traitement de la parole.

Dans une seconde étude, Habib et al. (2013) ont soumis 12 nouveaux enfants dyslexiques à un protocole de remédiation musicale. Le protocole (voir figure 18) est étalé sur 3 périodes consécutives de 6 semaines, ponctuées par 4 évaluations (T1 à T4).

Figure 18: Protocole de la seconde étude d'Habib et al (2014).

L’évolution des compétences des enfants dyslexiques, à travers la comparaison des résultats aux différentes évaluations met en évidence qu’après l’entrainement musical :

• l’épreuve de reproduction de structures rythmiques, et l’épreuve de perception auditive de durée de syllabes (même épreuve que l’étude précédente) ne sont pas mieux

réussies ;

• l’épreuve de perception catégorielle (même épreuve que l’étude précédente) est, quant à elle, significativement mieux réussie ;

• les épreuves d’attention auditive et de répétition de pseudo-mots (mesurant l’empan mnésique sur un matériel auditif non signifiant) utilisées sont significativement mieux réussies ;

• le nombre de mot correctement lus en une minute (épreuve de lecture), tout comme le nombre de bonnes réponses à l’épreuve de fusion phonémique est significativement plus important ;

• cependant, aucun bénéfice n’est observé pour les épreuves de mémoire de travail, d’attention visuelle, de discrimination visuelle, ou pour l’écriture.

Ainsi, cette étude et celles présentées plus haut ont mis en évidence le bénéfice d’un entrainement musical sur les compétences en lecture et la conscience phonologique (Flaugnacco et al, 2015 ; Habib et al. 2013). Toutefois, les compétences en lecture ne sont pas les seules à avoir été développées, puisque Flaugnacco et al (2015) observent une amélioration de la mémoire de travail, non repérée dans l’étude d’Habib et al. (2013). Ces derniers observent une amélioration significative des compétences attentionnelles dans la modalité auditive.