• Aucun résultat trouvé

Chapitre II : Les topoï dans les théories sémantiques argumentatives (TSA)

2- La théorie des blocs sémantiques (TBS)

Les données sémantiques convoient les relations logiques. Ces relations sont le produit des relations sémantiques. Les structures sémantiques sont des relations logiques enfouies en elles-mêmes : elles existent dès le début, mais elles sont concrétisées par les connecteurs. Dès lors, dans l’enthymème, dans le syllogisme, dans n’importe quelle forme de topos, il y a une relation sémantique qui se dégage entre les propositions juxtaposées.

La théorie des blocs sémantiques est une théorie sémantique des langues naturelles développée par Marion Carel et Oswald Ducrot. Elle est conçue comme une analyse des contenus des énoncés, et elle est complétée par une théorie de l’énonciation. Cette théorie se place à l’intérieur du paradigme de l’argumentation dans la langue, fondée par Anscombre et Ducrot. Elle présente une réponse aux problèmes posés par la théorie des topoï. Selon cette théorie, « le sens linguistique est régulé de manière autonome par le système de la langue et la signification ne fait intervenir que des entités de nature linguistique ». Dès lors, les mots ne renvoient pas à des entités cognitives, mais à des discours argumentatifs virtuels. La théorie de l’argumentation dans la langue et la théorie des blocs sémantiques se complètent l’une l’autre dans leur travail d’analyse. La notion de blocs sémantiques joue un rôle central dans la théorie de Carel.

381 Aristote, Catégories, De l’interprétation, (Organon I et II), éd. Vrin, Coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 2008, trad. et prés. Par J. Tricot.

382 Ibid.

383 Carel, M., «L’entrelacement argumentatif. Lexique, discours, blocs sémantiques », Paris, Champion, 2011, p.p. 478 ;

179

Selon Carel et Ducrot384, « l’argumentation est dans la langue ». Ils s’attachent à présenter la signification lexicale des mots de deux façons différentes, mais qui impliquent toujours deux segments de discours, « X et Y », et un connecteur symbolisé par « CON », soit donc/DC ayant la valeur normative, soit pourtant/PT ayant la valeur transgressive» qui réalise l’enchaînement. Autrement dit, la signification lexicale peut prendre soit la forme de :

L’argumentation interne (AI) qui associe certains énoncés à des enchaînements qui leur sont intérieurs. Il s’agit d’un enchaînement qui ne contient pas le terme décrit. Nous allons évoquer l’exemple de « prudent », employé par Carel385, qui se définit par des enchaînements du type : « quand il y a du danger, il prend des précautions », où « prudent » n’est pas contenu dans l’enchaînement. En effet, l’enchaînement exprime une unité sémantique, un bloc sémantique qui lie « danger » et « précaution » de façon sémantique interdépendante.

L’argumentation externe (AE): c’est un enchaînement qui contient le terme décrit : par exemple « prudent » a pour argumentation externe : « Pierre a été prudent donc il n’a pas eu d’accident ». Nous notons la présence d’une règle sémantique normative qui lie « prudence » et « absence d’accident » et la présence d’une règle transgressive : « il est prudent pourtant il a eu un accident ».386

Anscombre et Ducrot ont associé l’énoncé aux garants, aux topoï des enchaînements en « donc » dont il pouvait être l’argumentation. Citons l’exemple suivant : « prudence donc confiance », « prudence pourtant non-confiance ».

Marion Carel remet en question l’argumentation. Elle a varié les exemples pour montrer que ce qui varie n’est pas en relation avec les connecteurs, mais plutôt avec la sémantique. C’est pourquoi elle parle de « blocs sémantiques » et non pas de blocs argumentatifs comme le fait Ducrot et Anscombre. Par conséquent, la signification dans les deux blocs impose le connecteur et non pas le contraire. Le discours a ainsi un sens en lui-même. Ajoutons que, pour savoir la relation entre le premier bloc et le deuxième bloc, nous devons ramener le bloc à sa base, c'est-à-dire au primitif sémantique. Et c’est dans

384Carel, M. et Ducrot, O., (1999), Le problème du paradoxe dans une sémantique argumentative, Langue Française- volume 123- Numéro 123, p.p.27-40.

385 Ibid.

386 Pescheux, M., Construction de sens et modèle argumentatif de la signification lexicale : une formulation de stéréotypes « lexicaux », Université de Nantes (France).

Troisième partie : Chapitre II : Les Topoï dans les théories sémantiques argumentatives (TSA)

180

ce cadre que les types d’argumentation ont été introduits. Ces types d’argumentation ne sont autres que l’argumentation normative en « donc », transgressive en « pourtant » et négative par l’introduction d’un opérateur négatif NEG (qui correspond à « ne …. que…

et à d’autres formes dont nous citons le morphème « peu + tournures syntaxiques) dans la représentation des enchaînements et dans la formulation des aspects.

Carel attribue une valeur prédicative au discours en « donc/DC » et « pourtant/PT ». Elle inscrit ses idées dans la continuité des analyses d’Anscombre et Ducrot qui considèrent que l’emploi en langue de « donc » ne reflète aucun raisonnement. Carel pousse son analyse plus loin. Elle défend l’idée que la conclusion d’un enchaînement en « donc » n’ajoute rien : la connexion de l’argument et de la conclusion construit un prédicat argumentatif qui a une fonction descriptive, ce qui consent de concevoir l’argumentation comme un acte qui consiste non pas à relier plusieurs jugements, mais à fabriquer des prédicats pour ensuite décrire une situation. Prenons l’exemple des discours en « pourtant » considérés par Anscombre et Ducrot comme des formes secondes d’enchaînement tandis que la théorie des blocs sémantiques les assimile au discours en « donc » et leur attribue une fonction prédicative.

La question qui se pose maintenant est : quels sont les concepts généraux de la théorie des blocs sémantiques ?

« Les principes de cette sémantique autorisent des descriptions lexicales qui permettent de mettre en relief le fait que la théorie permet souvent pour un même mot différentes descriptions. Cette théorie permet aussi de définir des critères qui amènent à choisir parmi ces multiples solutions possibles »387. Décrire sémantiquement un mot, c’est indiquer les aspects qui constituent de façon structurelles ses argumentations internes et externes. Il s’agit donc de faire apparaître les enchaînements argumentatifs que la langue lui attache, ou encore son potentiel argumentatif. Quels sont donc les

principaux concepts ou outils qui seront mis en œuvre ? En fait, nous avons trois sortes d’outils :

1. Les discours argumentatifs : Ils sont considérés par la théorie des blocs

sémantiques comme les « atomes de l’analyse sémantique 388». Ils peuvent être de deux types, normatifs ou transgressifs. Cette notion d’argumentation désigne un enchaînement de deux segments de discours qui sont reliés par un connecteur.

387Ducrot, O., (2001), Critères argumentatifs et analyse lexicale, Langages, volume 35, numéro 142, p.p. 22-40.

181

2. Les aspects argumentatifs : leur définition découle de ce que les diverses unités

signifiantes d’un discours argumentatif n’ont pas toutes le même rôle : certaines sont argumentativement pertinentes, et c’est le cas de « faire beau » et « sortir », d’autres sont argumentativement anecdotiques. « Un aspect argumentatif est d’abord un prédicat », selon Carel. Dès lors, l’argumentation exprime l’aspect qui constitue son propos. Et c’est ce qui nous permet de dire que la théorie des blocs sémantiques se présente comme une approche prédicative de l’argumentation. Les aspects argumentatifs constituent donc les prédicats des jugements argumentatifs réalisés par ces arguments. Mais que veut dire « prédicats » ? Carel précise que cette classe regroupe les noms, les adjectifs ou les verbes.

3. Les blocs sémantiques : un bloc sémantique est une sorte de « conception du

monde en miniature », quelque chose comme une « micro-idéologie » à l’intérieur de laquelle on peut se déplacer, admettant en elle-même des points de vue différents, voire opposés.

D’une part, un bloc argumentatif détermine soit la signification « structurelle », « intrinsèque » d’une unité linguistique, soit sa signification « contextuelle », « extrinsèque ». De ce point de vue, il s’agit de déterminer si l’enchaînement « est structurellement attaché à une entité », apparaissant ainsi dans toutes les occurrences de celle-ci, ou bien s’il est attaché à l’entité seulement de façon contextuelle389. D’autre part, un bloc sémantique se rapporte soit à « l’argumentation interne » de l’entité linguistique, soit à son « argumentation externe ».

La TAL, ainsi que la TBS visent à « restreindre le type de combinaisons discursives à prendre en compte dans la description linguistique », et pour cela, la signification d’une phrase, par exemple, est décrite par l’ensemble des «enchaînements

argumentatifs (…) possibles à partir des énoncés de cette phrase »390 ou, de manière plus générale, les entités linguistiques sont définies « par leur rapport avec les enchaînements argumentatifs du discours 391». Autrement dit, il s’agit d’identifier la « visée argumentative » des entités linguistiques392 (Anscombre et Ducrot, 1983 ; Anscombre, 1995 : 35), et les enchaînements argumentatifs possibles à partir des énoncés où cette entité apparaît.

389 Ducrot, O., 2001 :23, Carel 2001. 390 Ducrot, O., 1993.

391 Carel et Ducrot, 1999.

Troisième partie : Chapitre II : Les Topoï dans les théories sémantiques argumentatives (TSA)

182