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La relation entre implicite, présupposé, sous-entendu et topoï

En parlant de topoï, nous parlons automatiquement, et même sans nous rendre compte, d’implicite et par la suite de présupposé et de sous-entendu. Alors, qu’elle est la différence entre ces trois concepts ? Et quel est le rapport entre ces concepts et les topoï ? En fait, les présupposés sont inscrits dans la langue et ne peuvent faire l’objet d’un doute ou d’un déni total de responsabilité. Ce sont :

« Les données à partir desquelles, on parle, non celles qui interviennent directement dans la parole.323 »

Par contre, les sous-entendus sont entièrement contextuels. Ils dépendent du déchiffrement de l’allocutaire. Ce dernier est responsable du sens construit. La classe des sous-entendus « englobe toutes les informations qui sont susceptibles d’être véhiculés par un énoncé donné, mais dont l’actualisation reste tributaire de certaines particularités du contexte énonciatif. 324»

Ducrot fait la différence entre les deux et le posé en disant :

« […] le posé est ce que j’affirme en tant que locuteur. […] Le présupposé est ce que je présente comme commun aux deux personnages du dialogue […]. Le sous-entendu est ce que je laisse conclure à mon auditeur.325 »

En ce qui concerne l’implicite, il peut figurer soit comme présupposé, soit comme sous-entendu. Prenons comme exemple, la phrase suivante : « Jacques a cessé de fumer. ». Le présupposé est « Jacques fumait auparavant ». Ici, l’interprétation n’est pas contextuelle. Et si nous allons évoquer le même exemple dans une situation où celui à qui nous nous adressons se livre à la tabagie, l’exemple permettra de le conseiller d’arrêter à son tour cette pratique. Mais quel est le rapport entre ces notions et les topoï ?

Nous savons déjà que les topoï ont une fonction qui dépasse le cadre de la phrase. Ils ont une fonction discursive. Et pour les interpréter, nous devons prendre compte d’informations qui n’appartiennent pas à la phrase dans laquelle ils interviennent, dont on cite les connecteurs et l’implicite.

323 Ducrot, O., (1984), « Présupposé et sous-entendu », Le Dire et le Dit, Paris, Minuit. 324Kerbrat-Orecchinoni, Catherine, (1986), L’implicite, Paris, Colin.

Deuxième partie : Chapitre V : La relation entre implicite, présupposé, sous-entendu et Topoï

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Les topoï rhétoriques, en tant que schèmes logiques sous-jacents à l’énoncé, et les topoï pragmatiques en tant que principes d’enchaînement tacites, sont entièrement implicites.

Quelle est donc la fonction de l’implicite ?

L’implicite, ou le non-dit, contribue à la force de l’argumentation. Dès lors, il permet d’engager l’allocutaire à compléter les éléments manquants. Il renforce l’argumentation en présentant les croyances et les opinions qui en constituent les prémisses incontestées, d’une manière indirecte.

A ce propos, Ducrot326 signale que :

« Le problème général de l’implicite est de savoir comment on peut dire quelque chose sans accepter pour autant la responsabilité de l’avoir dit, ce qui revient à bénéficier à la fois de l’efficacité de la parole et de l’innocence du silence. »

C’est le savoir partagé qui permet le déchiffrement de l’implicite. Ajoutons que Ducrot distingue deux types de sous-entendu :

Ceux qui sont liés aux actes illocutoires.

Ceux qui dépendent étroitement du contexte.

Les sous-entendus englobent « toutes les informations qui sont susceptibles d’être véhiculées par un énoncé donné mais dont l’actualisation reste tributaire de certaines particularités du contexte énonciatif 327».

L’implicite de la présupposition fait partie de la signification littérale de l’énoncé :

« Le présupposé, c’est l’élément sémantique commun à un énoncé A et à sa transformation interrogative « Est-ce que A ? » ainsi qu’à sa négation « il est faux que A ». »328

Le présupposé contribue à la cohérence globale du discours, qui doit à la fois assurer une certaine abondance et un apport continue d’informations. Mais à quoi sert l’implicite ? Bien évidemment, il renforce l’argumentation en présentant de manière indirecte les croyances et les opinions qui en constituent les prémisses incontestées. Et c’est le savoir partagé qui permet le déchiffrement de l’implicite. Le présupposé a donc

326Ducrot, O., (1984), « Présupposés et sous-entendus », in Le Dire et le Dit, Paris, Minuit. 327Kerbrat-Orecchinoni, Catherine, (1986),L’implicite, Paris, Colin.

328Ducrot, O., Enonciation et Argumentation, Benoît HABERT, Unité de Recherche, Lexicologie et textes politiques

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une valeur argumentative. Il y a des présupposés qui sont d’ordre doxique, qui se rattachent aux idées reçues de l’époque, et d’autres présupposés qui ne sont pas doxique et qui servent à orienter le discours vers une dénonciation de ceux qui enfreignent les valeurs partagées. Ces présupposés peuvent être dégagés à partir de leur support linguistique ou du contenu qu’ils véhiculent.

A la suite de Ducrot, C. Kerbrat-Orecchioni définit les présupposés comme :

« Toutes les informations qui, sans être ouvertement posées, sont cependant automatiquement entraînées par la formulation de l’énoncé, dans lequel elles se trouvent intrinsèquement inscrites, quelle que soit la spécificité du cadre énonciatif.»329

Nous allons présenter un tableau qui permet de mettre en relief la différence entre posé, présupposé, sous-entendu et implicite :

Tableau 13 : La différence entre posé, présupposé, sous-entendu et implicite

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Le posé Le présupposé Le sous-entendu Limplicite

-Ce qui est affirmé par le locuteur. Il est revendiqué par le « je ».

-Il se présente comme

simultané à l’acte de

communication. -Il apparait pour la première fois dans l’univers du discours

-Le présupposé est présenté comme une

évidence, comme un cadre

incontestable où la conversation doit nécessairement s’inscrire, comme un élément de l’univers du discours. -C’est ce qu’on présente comme commun aux deux personnages du dialogue, comme l’objet d’une complicité fondamentale qui lie entre eux les participants à l’acte de communication.

-Il est présenté comme appartenant au « nous ».

Il se présente comme choisi en même temps que l’énoncé.

La présupposition est une partie intégrante du sens des énoncés.

-Le présupposé est inscrit dans la langue. Il ne peut pas faire l’objet d’un

doute ou d’un déni total de

responsabilité.

-Le sous-entendu permet

d’avancer quelque chose « sans le dire tout en le disant ».

-Le sous-entendu est laissé au « tu ». Il dépend de l’interprétation de l’auditeur

-Il est postérieur à l’acte de communication.

C’est un composant rhétorique. Il se caractérise par le fait qu’il n’est pas marqué dans la phrase. Il est toujours engendré comme réponse à des questions de type : « pourquoi le locuteur a-t-il dit ce qu’il a dit ?

Qu’est ce qui a rendu possible sa parole ? »

-Le sous-entendu est entièrement

contextuel et dépend du

déchiffrement de l’allocutaire auquel la responsabilité du sens construit peut être déléguée.

-L’implicite prend deux formes : la première discursive qui repose sur un

raisonnement du destinataire sur

l’énoncé lui-même et sur les raisons de son énonciation. Cette forme se subdivise à son tour en deux :

-L’implicite fondé sur l’énoncé, sur ce qui est dit.

-Le sous-entendu fondé sur

l’énonciation, sur le fait de dire ce qui est dit.

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Tout énoncé a un posé, c'est-à-dire un contenu propositionnel et un présupposé, c'est-à-dire des éléments sur lesquels s’appuie l’énoncé. Pour Ducrot, « le présupposé est contenu dans l’énoncé ». Par contre, le sous-entendu dépend de l’extralinguistique et de la situation : il s’agit de « ce que je laisse déduire à mon auditeur 330»

La théorie des topoï, ou la théorie de l’argumentation dans la langue sont des théories de l’interprétation des énoncés, du sens. En fait, comment nous obtenons le sens ? Et qu’est-ce que le sens d’un énoncé ?

Le sens d’un énoncé n’est pas déterminable directement à partir de la structure de surface qui le manifeste. Il sera calculé à partir de valeurs sémantiques profondes.

Nous constatons que le topos fonctionne comme présupposé dans la combinaison des données. On doit connecter les propositions pour montrer qu’il y a topos. Il remplit une fonction cruciale puisque c’est lui qui permet de relier deux énoncés ou ensemble d’énoncés à partir d’une idée communément admise. Il s’agit donc de garants de l’enchaînement argumentatif. La citation de Grothendieck est très révélatrice à ce propos :

« Le topos fonctionne comme présupposé dans la combinaison des données. On doit connecter les propositions pour montrer qu’il y a topos. L’argumentation est donc dans la Langue : elle fonctionne grâce à des topoï d’où le rôle des connecteurs. »

A ce propos Curtius et Brunetière affirment que « le lieu commun est la matière même de la littérature ; c'est-à-dire pas de littérature sans lieux communs ». Ces lieux permettent de structurer le texte.

Mais nous ne pouvons pas parler d’implicite sans évoquer les principes de coopération (CP) de Paul Grice. Ces principes présentent le fondement de l’implicite et la base de toute conversation. Ainsi, tout échange verbal est régi par des règles tacites qu’il nomme « maximes conversationnelles » qui sont définies comme suit :

« … que votre contribution conversationnelle correspondent à ce qui est exigé de

vous, au stade atteint par celle-ci, par le but ou la direction acceptés de l’échange parlé dans lequel vous êtes engagé. »331.

Voilà pourquoi Grice pose les maximes suivantes :

La maxime de quantité qui règle la quantité d’information à fournir.

330 Ducrot, Oswald, (1984), « Présupposés et sous-entendus », in Le Dire et le Dit, Paris, Minuit. 331 Grice (H.P.), « Logique et conversation », Communications 30, 31- 56, 1979

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La maxime de qualité qui demande de ne pas affirmer ce qu’on sait faux ou pour lequel on manque de preuves.

La maxime de relation qui exige la pertinence du propos.

La maxime de modalité qui impose la clarté.

Ces maximes sont utiles pour expliciter les prémisses qui manquent dans une argumentation.

La maxime est donc une théorisation qui s’appuie sur la pratique des topoï, du langage. C’est une sorte de théorie qui essaie de décrire le langage quotidien dans sa forme idéale. Nous pouvons ramener cela à la notion de topoï. Ainsi, lorsque les topoï sont spécifiques, ils sont appropriés à la signification, ils parlent de signification et lorsqu’ils se suffisent (deux constituants dans un topoï ; par exemple cause/effet), c’est la maxime de la quantité, de la qualité…

Bilan

De ce qui précède, nous constatons que le posé n’est autre que le « dit » tandis que le présupposé, le sous-entendu et les topoï présentent le « non-dit ». Ces notions, à savoir de topoï, de sous-entendu, de présupposé et du non-dit sont des questions qui ont des fondements sémantiques. Elles permettent de capter l’air de cohérence attaché au discours. En plus, la théorie des topoï se présente comme une théorie de sens et de l’interprétation des énoncés. Elle repose sur des données et des valeurs sémantiques. La sémantique est donc fondamentale dans toutes les recherches.

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Conclusion

Cette deuxième partie est consacrée à la présentation des fondements sémantiques de la logique et des topoï et à la relation de complémentarité de ces trois notions, à savoir logique, sémantique et topoï. Nous avons commencé par la présentation des structures logico-sémantique des topoï. Nous remarquons que toutes ces structures dépendent du contenu des prémisses, des liens et de la connexion entre les choses qui permettent d’établir les relations entre les choses et la réalité. Dès lors, logique et sémantique sont complémentaires et se fondent en un tout logico-sémantique. Ensuite, nous avons travaillé sur les connecteurs qui permettent de donner des instructions, d’orienter argumentativement le discours et de créer des topoï. Ainsi, les connecteurs fonctionnent dans le discours comme des marques indiquant des connexions, des liens logico-sémantiques entre les propositions. Ils permettent de convoquer des topoï.

Après, nous avons insisté sur la dimension sémantique de ce travail en montrant que les topoï s’inscrivent dans les possibilités sémantiques de la langue, ce qui nous a permis de mettre en évidence la place des topoï dans toute argumentation et de préciser que la théorie des topoï est une théorie de sens. En effet, la sémantique se présente comme un aspect de la logique qui traite de l’interprétation et de la signification des systèmes formels. Les topoï sont donc des formes sémiotiques collectives particulières. Ils présentent la source des enthymèmes et le fondement des inférences. Ils ont une force persuasive plus au moins grande. Ce sont des « liens sémantiques », comme l’a affirmé Toulmin.

Enfin, nous avons insisté sur le rapport entre présupposé, sous-entendu, implicite et topoï. En fait, le topos fonctionne comme présupposé dans la combinaison des données. Nous devons connecter les propositions pour montrer qu’il y a topos. Nous constatons donc que le topos remplit une fonction cruciale puisqu’il permet de relier deux énoncés ou ensemble d’énoncés à partir d’une idée communément admise.

TROISIEME PARTIE

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INTRODUCTION

Notre troisième partie traitera les fondements lexicaux des topoï et les exploitations modernes de cette notion, à savoir le traitement automatique, la théorie des cadres et l’ontologie tout en présentant les différentes théories sémantiques argumentatives. Ces théories partent du postulat que la signification lexicale est fondée argumentativement.

Le premier chapitre sera consacré à l’étude des lieux d’enthymèmes d’Aristote qui relèvent des quatre lieux principaux déjà évoqués dans la première partie (à savoir la définition, le genre, le propre et l’accident). L’enthymème est un topos réduit à deux éléments. La relation sémantique entre les deux éléments est basique dans la création des

frames, des ontologies, des définitions… c’est pourquoi nous allons commencer par la présentation des lieux d’enthymème et des relations sémantiques entre les cadres sémantiques.

Le deuxième chapitre présentera les topoï dans les différentes théories sémantiques argumentatives (théorie des topoï, théories des blocs sémantiques, sémantique des possibles argumentatifs et théorie des prototypes). Nous insisterons sur la présence des topoï dès le niveau lexical dans ces théories.

Le troisième chapitre mettra en relief les exploitations modernes de la notion de topoï : dans le traitement automatique, dans la théorie des cadres sémantiques et dans l’ontologie.

La notion de topoï est moderne. Elle a une relation avec la théorie des cadres et l’ontologie (la notion de générique et de spécifique : le topos est tout ce qui est spécicifique, l’ontologie est tout ce qui est générique).

La notion de topoï nous aide pour voir les poverbes/le générique. La notion de généricité pourrait nous permettre de construire des relations sémantiques entre les différents éléments constituant l’ontologie ou le cadre. Il s’agit de l’organisation sémantique, l’hiérarchisation sémantique en genre et en espèce qui peut être assimilée par l’ordinateur. Ce sont des relations sémantiques. Quand elles se suffisent, elles créent un cadre, un frame et quand ces relations sont hiérarchisées sous forme d’un pyramide elles créent une ontologie. Théoriquement, nous constatons que tout est relation sémantique.