• Aucun résultat trouvé

Chapitre III : Le rapport entre logique et sémantique

2- Les bases logiques de la sémantique

Plusieurs réflexions sémantiques se sont développées. Les premières réflexions sur la sémantique sont nées dans les Cercles des logiciens philosophes de Vienne259 et de Cracovie260. Ces cercles ont influencé la philosophie du langage quotidien et plus précisément l’école d’Oxford. Searle et Austin ont essayé de tenir compte de la signification et de l’intention contextuelle, de ce qu’n appelle les actes du langage. L’analycité de ces philosophes nécessite des précisions sémantiques. La pensée d’Aristote sera reprise par les cercles de Vienne et de Cracovie.

Au cours de son évolution, la sémantique s'est intéressé de plusieurs domaines dont nous citons la signification, le sens, la relation entre la signification et le monde, la valeur logique des relations ; à savoir la dimension vériconditionnelle.

Le mot « sémantique » est dérivé du grec « sêmantikos », « signifié ». Il a été repris à la fin du 19ème siècle par le linguiste français Michel Bréal, auteur du premier traité de sémantique.

L’étude où nous invitons le lecteur est d’espèce si nouvelle qu’elle n’a même pas encore reçu de nom. En effet, c’est sur le corps et la forme des mots que la plupart des linguistes ont exercé leur sagacité : les lois qui président à la transformation des sens, au choix d’expressions nouvelles, à la naissance et à la mort des locutions, ont été laissées dans l’ombre ou n’ont été indiquées qu’en passant. Comme cette étude, aussi bien que la phonétique et la morphologie, mérite d’avoir son nom, nous l’appellerons la

SÉMANTIQUE (du verbe σηµαινω), c’est-à-dire la science des significations

(Bréal, 1883/1995, p. 273)

La sémantique selon Bréal possède les deux caractéristiques suivantes :

Son approche est essentiellement historique : la sémantique a pour but de décrire l’évolution des significations dans les langues, et les lois qui régissent cette évolution (rétrécissement, élargissement, glissement de sens).

Son orientation est à la fois psychologique et sociologique. Le langage exprime la pensée, en même temps qu’il reflète l’organisation sociale ; les changements de signification sont le résultat de processus psychologiques, en même temps qu’ils sont soumis à des causes sociales.

Ce que Bréal entend par « sémantique » diffère de son acception actuelle. Dès lors, la sémantique de Bréal est un programme d’essence diachronique. Elle correspond à

259 Russel, Frege, W. Hgenstein et Popper 260 Kotanbinsky et Boschensky

Deuxième partie : Chapitre III : Le rapport entre logique et sémantique

119

« l’ensemble des éléments convoyant les bases de la compréhension lors de la communication linguistique »261.

Il définit la sémantique comme « la science ou la théorie des significations linguistiques. »262

Les sociologues se préoccupent beaucoup de la sémantique. Mais leur sémantique « n’a ni le même objet, ni les mêmes problèmes, ni les mêmes méthodes, ni surtout les mêmes unités d’analyse que celle des linguistes »263.

Nous devons nous interroger sur l’attitude des linguistes vis-à-vis de la sémantique. En fait, « la sémantique a été exclue pratiquement et théoriquement de la linguistique, et abandonnée à la psychologie264, à l’anthropologie culturelle265, à la logique266 »267. Par exemple, la linguistique structurale évite le recours aux significations dans ses travaux. Mais il faut souligner que l’histoire de la sémantique est tributaire des grands courants théoriques qui ont jalonné la linguistique, dont elle est un secteur particulier. Nous trouvons la linguistique comparée, la linguistique structurale, la linguistique des grammaires formelles et la linguistique cognitive. Leur influence a donné naissance à quatre grandes périodes qui, à leur tour, ont donné naissance à des sémantiques distinctes. Nous trouvons tout d’abord la période évolutionniste de la linguistique comparée, où domine une sémantique lexicale historique, ensuite la période structurale qui est caractérisée par une sémantique lexicale synchronique, puis la période des grammaires formelles, où née une sémantique de la phrase et du discours et enfin la période des sciences cognitives, où apparaît une sémantique conceptuelle qui s’intéresse au sens dans sa relation à la dimension cognitive du langage plutôt qu’aux formes signifiantes des langues.

Il y a donc plusieurs types d’analyses sémantiques. Nous avons tout d’abord, les analyses sémantiques formelles, ensuite les analyses sémantiques conceptuelles, puis les analyses logiques, et enfin les analyses artificielles. Nous allons présenter ces différents

261 Jean-Philippe Magué, Changements sémantiques et cognition : différentes méthodes pour différentes échelles temporelles. Linguistique. Université Lumière-Lyon II, 2005. Français.

262 Georges Mounin, (1997), La sémantique, petite bibliothèque Payot. 263 Ibid.

264 Behaviourisme. 265 Ecole américaine. 266Russel, Carnap…

120

types en détail pour établir le lien entre ces analyses et notre problématique et pour mettre en valeur les bases logiques de la sémantique.

1. Les analyses sémantiques formelles : nous avons trois modèles. Le premier a

été donné par Saussure qui a fondé la sémantique structurale. Cette sémantique procède par un rassemblement de corpus afin de les étudier selon une démarche de décomposition. Nous parlons ici de substitution. L’étape suivante consiste à dégager les sèmes distinctifs de chaque mot. Dès lors, la sémantique structurale s’appuie sur des données lexicales. Elle n’a besoin de contexte que dans un second moment. Saussure pose que « la langue n’est pas une nomenclature, un répertoire, une liste de termes accolés à une série de choses, et que les vrais rapports entre signifiants et signifiés constituent un système où la valeur de chaque terme est déterminée par la présence ou l’absence des autres termes. Il indique l’obstacle majeur à la structuration formelle du lexique, à savoir l’arbitraire du signe et des valeurs 268». Le second modèle est la reprise des idées de Saussure par Cantineau. Le troisième est celui de l’analyse sémantique partiellement formelle chez Guiraud. La sémantique cognitive se présente comme une alternative à la sémantique structuraliste. Dans la langue, il y a des prototypes, c'est-à-dire des sens partagés. C’est pourquoi nous parlons de topoï et de leur place dans la sémantique.

2. Les analyses sémantiques conceptuelles269 : elles sont données par Saussure,

Trier et Matoré. « Cette analyse apporte la justification théorique de la vieille notion de famille sémantique de mots. La base de cette analyse est un « concept », une « idée ». Il s’agit d’un champ conceptuel des termes ». Ajoutons que chez Matoré, l’analyse sémantique conceptuelle est basée sur la mise en évidence de témoins et de mots-clés dans un lot de textes. Ces mots vont permettre de reconstruire les champs notionnels pour une époque. Et en parlant de « mots », nous parlons de l’importance du lexique et de la présence de topoï dès le niveau lexical. Nous allons nous attarder sur ce point dans la troisième partie.

3. Les analyses sémantiques « logiques » : les logiciens ont fait des travaux sur

les signes en général et par la suite sur la sémantique. L’étude des signes est divisée en trois parties : « les rapports entre signes et choses signifiées (sémantique), les rapports des signes entre eux (syntaxe) et les rapports entre signes et leurs utilisateurs

268 Georges Mounin, (1997), La sémantique, Petite Bibliothèque Payot. 269 Ibid.

Deuxième partie : Chapitre III : Le rapport entre logique et sémantique

121

(pragmatique) 270». Hjelmslev appelle contenu d’un énoncé « ce qu’il y a dans la tête du locuteur et de l’auditeur de cet énoncé, et il appelle expression la manifestation de cet énoncé ». Il affirme que « nous pouvons structurer la sémantique ». Sa démarche consiste à employer la commutation. Citons aussi les analyses sémantiques logiques de Sörensen qui parle de la description sémantique d’un signe qui n’est autre que celle de la signification de ce signe par l’emploi d’autres signes. Il signale que « nous pouvons arriver aux signes primitifs, qui sont les plus petites unités de signification, dernières et irréductibles. La linguistique américaine appelle cette analyse, une analyse componentielle 271». Ajoutons que la sémantique logique a une longue tradition puisqu’elle a détenu la question du sens linguistique jusqu’au milieu du 19ème siècle. Elle s’attache à juger de la vérité des énoncés et des conditions auxquelles le langage peut dire le vrai ; c’est pourquoi elle s’appelle souvent « sémantique vériconditionnelle ». Elle s’est considérablement modifiée avec la formalisation de la logique. Elle est nommée aussi, sémantique formelle. Ce qui compte dans la sémantique, est le principe de compositionnalité de Frege.

4. Les sémantiques artificielles : elles sont données par Wüster, GardinetLeroy.

Chez Wüster, « la sémantique artificielle ne part pas des termes des langues naturelles, mais elle construit son propre lexique. Elle a besoin d’un système de classification des domaines auxquels les notions appartiennent 272». Gardin s’est constitué un code pour désigner les objets par des symboles susceptibles d’être manipulés mécanographiquement. Il a constitué un champ sémantique artificiel structurable.

La sémantique possède plusieurs objets d’étude :

La signification des mots composés

Les rapports de sens entre les mots : relations d’homonymie, de synonymie, d’antonymie, de polysémie, d’hyperonymie, d’hyponymie …

La distribution des actants au sein d’un énoncé.

Les conditions de vérité d’un énoncé.

L’analyse critique d’un discours.

La pragmatique en tant qu’elle est considérée comme une branche de la sémantique.

270 Georges Mounin, La sémantique, (1997), Petite Bibliothèque Payot. 271Ibid.

122

Dès lors, l’étude de la sémantique ne se fait pas en dehors de la logique.

Les réflexions sur la sémantique ont soulevé plusieurs questions relatives à la délimitation de cette discipline. Parmi ces questions, nous trouvons :

La sémantique est-elle une discipline à part entière ?

La sémantique est-elle en rapport avec l’usage et donc avec la pragmatique ? Présentons avant tout la pragmatique. Il s’agit du domaine de l’étude de l’usage du langage qui a pour objet le vouloir dire des locuteurs et les mécanismes de compréhension qui assurent la réussite de la communication. Elle est l’étude des actes linguistiques et des contextes dans lesquels ils sont accomplis.

Charles W. Morris273 est le premier à utiliser le terme « pragmatique » pour définir une discipline qui n’existe pas encore :

« La pragmatique est cette partie de la sémiotique qui traite du rapport entre les signes et les usages des signes. ».

Il distingue une pragmatique pure et une pragmatique descriptive. Par contre,

Carnap déclare qu’il ne peut pas concevoir de pragmatique pure, et que toute la linguistique était fondée sur la pragmatique.

Anne-Marie Diller et François Récanati ont défini la pragmatique en disant :

« La pragmatique étudie l’utilisation du langage dans le discours, et les marques spécifiques qui, dans la langue, attestent sa vocation discursive. »274

La pragmatique s’occupe du sens comme la sémantique. En fait, la pragmatique formelle se développe dans la foulée de la syntaxe et de la sémantique formelle. Elle a pour objet de traiter des rapports les plus généraux entre l’énoncé et l’énonciation, entre les phrases et leurs contextes.

En répondant aux questions déjà évoquées, Austinmet en relief un certain rapport entre sémantique et pragmatique. Il parle même d’ « une pragmatique éclatée qui est indépendante et d’une pragmatique qui est en relation avec la sémantique ».

Les travaux de Ducrot ont pris une orientation tout à fait nette qui tranche en faveur de la sémantique, mais tout en intégrant la pragmatique dans celle-ci.

L’idée d’une pragmatique intégrée est donc devenue synonyme de sémantique élargie à l’usage. En fait, Ducrot subordonne la pragmatique à la sémantique. Sa Théorie

273 Philosophe et sémioticien américain

Deuxième partie : Chapitre III : Le rapport entre logique et sémantique

123

de l’Argumentation dans la Langue essaie de montrer que les structures sémantiques sont aussi des structures argumentatives qui ne visent pas seulement à décrire le monde, mais à agir sur le monde. Pour ce faire, Ducrot a mis en place un certain nombre de concepts dont on cite le présupposé, la polyphonie, la scalarité, les connecteurs, les topoï …

Plusieurs questions se posent à ce propos dont nous citons les deux suivantes: quelle est la nature des topoï ? Quelle est la nature de leur intervention au niveau lexical ? Ces concepts ont permis de montrer les mécanismes argumentatifs inhérents à la langue. La notion de topoï a été pour longtemps considérée comme le talent d’Achille de la théorie de l’argumentation dans la langue. Dès lors, le topos, dans la conception de Ducrot et aussi dans la tradition, est synonyme de lieu commun, « idée admise par la communauté linguistique ». Même si Ducrot a essayé de faire de la notion de topoï un usage strictement linguistique, elle garde malgré tout une dimension référentielle. En plus, dans les premiers développements de la théorie de l’argumentation dans la langue, il a exploité la notion de topoï de la manière suivante : plus … plus, plus … moins, moins … moins, moins … plus. Il s’agit donc de relations sémantiques entre les énoncés. Il est vrai que ces topoï commandent le monde, mais ils sont à l’origine de quelques paradoxes ; Ducrot parle des expressions socialement paradoxales (ESP). Rappelons aussi qu’Anscombre a introduit le garant de l’enchaînement, à savoir les topoï dans la Théorie de l’Argumentation dans la Langue.275 Il souligne le lien étroit entre les topoï et la sémantique en disant :

« Le sens d’un mot est un faisceau de topoï, un stéréotype, c'est-à-dire un faisceau de phrases génériques 276».

Cette notion se trouve déjà chez Aristote, et elle a été reprise par Toulmin et

Perelman.

Ducrot, Anscombre et plus tard Marion Carel ont essayé de délimiter le champ opérationnel de la théorie de l’argumentation dans la langue et ses différentes implications. Mais nous devons signaler que Marion Carel est contre la notion de topoï. Elle essaie d’éviter tout ce qui est extralinguistique, puisque tout est dans la langue. Elle est aussi contre la sémantique des blocs argumentatifs, contre le fonctionnement argumentatif de l’argumentation dans la langue, contre l’approche logiciste qui laisse entendre que la langue argumente par des opérateurs logiques. En fait, elle introduit

275 J.C. Anscombre, « Sémantique ou Rhétorique ? », Hermès, 1995 276 Ibid.

124

l’hypothèse que le discours a un sens en lui-même. Il y a forcément une cohérence sémantique : le sens vient des relations entre les deux blocs sémantiques ; c’est en fonction du premier bloc sémantique et du deuxième bloc sémantique que nous attendons un connecteur bien précis.

La théorie de l’argumentation dans la langue ouvre ainsi de nouvelles perspectives à la sémantique tout en essayant de donner à la pragmatique une assise linguistique très solide.

En effet, la sémantique permet à la langue de devenir un moyen d’action et à l’usage de développer le principe de l’action. Chaque fois qu’un interlocuteur mobilise la langue, c’est pour argumenter.

Plusieurs questions se posent en parlant du rapport entre la sémantique et la pragmatique :

Est-ce que la sémantique peut être séparée de la pragmatique ?

Est-ce que le sens doit être distingué de ses contextes d’utilisation ?

En fait, il y a un débat entre ceux qui revendiquent une pragmatique intégrée au système de la langue et ceux qui entendent maintenir une séparation entre sémantique et pragmatique.

En faisant de l’argumentation une théorie fondamentale et une fonction essentielle de la langue, Ducrot emboite la sémantique à l’usage et à la pragmatique. Les deux disciplines sont donc complémentaires.

De même Wittgenstein affirme que « la signification d’un mot n’est rien d’autre que l’ensemble de ses usages »277. Par contre, en déterminant le sens d’un mot, Katz et Fodorécartent tout recours à la situation dans laquelle il est employé. Le sens des phrases doit être élucidé par une théorie sémantique formelle, abstraction faite de la situation ou du contexte. Mais ils introduisent après une prise en considération partielle de la situation et du contexte. Nous ne restons plus au niveau de ce qui est signification. Nous tenons compte des intentions et du lien entre signification et usage.

Hansson a constitué une pragmatique à trois degrés :

La pragmatique du premier degré est l’étude des symboles indexicaux, c’ est-à-dire des expressions systématiquement ambiguës.

La pragmatique du second degré « est l’étude de la manière dont la proposition exprimée est reliée à la phrase prononcée, là où, dans les cas intéressants, la

Deuxième partie : Chapitre III : Le rapport entre logique et sémantique

125

proposition exprimée doit être distinguée de la signification littérale de la phrase. »

La pragmatique du troisième degré est la théorie des actes de langage. Il s’agit de savoir ce qui est accompli par l’emploi de certaines formes linguistiques.

L’évolution de la pragmatique se résume en trois étapes :

La pragmatique radicale formaliste. Dans cette conception, la pragmatique n’est pas une discipline à part entière. En fait, tout système de signes se compose d’une syntaxe qui étudie la concaténation des signes entre eux, d’une sémantique qui étudie la signification conventionnelle des signes, et d’une pragmatique qui étudie la relation entre les signes et les utilisateurs.

La pragmatique est une discipline à part entière. Les philosophes du langage tels qu’Austin, Grice et Searle ne s’intéressent plus aux langages artificiels, mais aux langues naturelles. Le rôle du langage est à la fois de décrire le réel et d’exercer une action.

La pragmatique cognitive vs la pragmatique intégrée : la pragmatique qui a pris de l’importance est définie suivant deux courants distincts : l’un s’exerce dans le territoire anglo-saxon et fait de la pragmatique une science à part entière et une discipline indépendante : c’est la pragmatique cognitive. L’autre voit en elle, c'est-à-dire, la pragmatique « une discipline fille de la linguistique ». Et ici, nous parlons d’une pragmatique intégrée. Et en parlant de pragmatique intégrée, Ducrot subordonne la pragmatique à la sémantique. Sa théorie de l’argumentation dans la langue essaie de montrer que les structures sémantiques sont aussi des structures argumentatives qui visent à décrire et à agir sur le monde. Pour ce faire, Ducrot a introduit un certain nombre de concepts tels que les présupposés, l’implicite, les topoï…

Après avoir présenté la logique, la sémantique et leurs différentes acceptions, nous allons présenter le rapport entre ces deux et les topoï.