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Chapitre IV- La place des topoï et leur importance dans toute argumentation

2- Les lieux communs chez Perelman

Perelman296renoue avec la rhétorique aristotélicienne. Nous notons donc, un retour de la rhétorique argumentative qui coïncide avec le renouveau de l’intérêt pour les tropes297. Cette rhétorique prend en compte la question des topoï, de la doxa, tout en étudiant les conditions d’énonciation et de réception des discours comme des communautés de sens. Son approche est rhétorique, argumentative.

Nous savons que « l’argumentation vise à obtenir l’adhésion de ceux auxquels elle s’adresse », et c’est pour cette raison que nous allons souligner l’importance de la notion de « lieu commun » et le lien étroit entre cette dernière et l’argumentation puisque les deux ont le même objectif, à savoir influer le récepteur et emporter son adhésion. Ainsi, pour qu’une argumentation ou un discours soit réussi(e), il faut « s’adapter à l’auditoire », comme l’a affirmé Perelman, à la doxa ou à l’opinion commune, c'est-à-dire on doit partir des points d’accords ou d’idées acceptées et partagées par celui qui va recevoir notre message. Bref, nous devons construire nos hypothèses sur les opinions

296 Considéré comme le fondateur de la nouvelle rhétorique

297 Le trope, selon M. Meyer est une figure qui interdit une lecture littérale. C’est l’instrument par excellence du figuratif et il reste à découvrir sans tomber dans la philosophie de l’histoire.

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dominantes, les convictions indiscutées, les prémisses qui font partie du bagage culturel de l’auditoire. En effet, le savoir partagé et les représentations sociales constituent le fondement de toute argumentation.

Perelman et Olbrechts Tyteca définissent l’argumentation comme suit :

«Une argumentation efficace est celle qui réussit à accroître cette intensité d’adhésion de façon à déclencher chez les auditeurs l’action envisagée […] ou au moins de créer chez

eux, une disposition à l’action, qui se manifeste au moment opportun. »298

Dans son Traité del’Argumentation, Perelman parle de « lieu de l’existant » qui valorise le réel, l’actuel par rapport au possible, à l’éventuel et du « lieu de l’essence » qui accorde une supériorité à l’individu incarnant le mieux une essence. Il montre aussi que les figures permettent de renforcer la présence, de frapper l’imagination sur un point précis.

Perelman traite les lieux sous l’aspect du préférable qui permet d’argumenter en faveur d’un choix. Il distingue ainsi entre les lieux299 :

De la quantité: en fait, quelque chose vaut mieux que quelque chose d’autre pour

des raisons quantitatives.

De la qualité comme supérieure à la quantité.

De l’ordre: l’antérieur est supérieur au postérieur, le principe est supérieur à

l’effet et la cause est supérieure à la conséquence.

De l’existant. Ce qui est vaut mieux que ce qui est seulement possible.

De l’essence: qui accorde « une supériorité aux individus représentant le mieux

l’essence du genre ».

De la personne: « impliquant la supériorité de ce qui est lié à la dignité et à

l’autonomie de la personne ».

L’utilisation d’un type de topos plutôt que d’un autre témoigne des valeurs et des façons de voir de l’époque en question.

Le point de vue que nous voulons partager avec l’autre, doit se fonder sur des prémisses entérinées et doit se développer dans un espace balisé par des lieux communs à l’orateur et à celui ou ceux qui vont le recevoir. Perelman conclut que « les

298Perelman et Olbrechts Tyteca (1976),Traité de l’Argumentation- La Nouvelle Rhétorique, Edition de l'Université de Bruxelles.

299 Perelman, Chaïm, (2009), L’empire rhétorique, Rhétorique et argumentation, Librairie Philosophique J. Vrin.

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raisonnements ne sont ni des déductions formellement correctes, ni des déductions allant du particulier au général, mais des argumentations de toutes espèces, visant à gagner l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur assentiment. ». Il a présenté les topoï de l’acte et de la personne sous forme de la règle suivante300 :

v (A) → v (P) qui insiste sur l’équivalence entre la personne et ses actes et qui se traduit en quatre règles argumentatives301 :

- T1 : Si l’acte de P est plus, alors P est plus. - T2 : Si l’acte de P est moins, P est moins.

Ce sont des topoï de l’acte, c'est-à-dire des topoï qui fonctionnent en se basant sur un jugement sur l’acte.

- T3 : Si la personne est plus, alors son acte est plus. - T4 : Si la personne est moins, alors son acte est moins.

Ce sont des topoï de la personne, qui se basent sur un jugement sur la personne.

Tableau 10 : Un exemple du topos de l’acte et de la personne

Dès lors, ces quatre règles sont des règles topiques permettant de qualifier une personne à partir de son acte, et un acte à partir de son auteur. Elles font donc circuler du sens. Mais ces règles pragmatiques argumentatives n’ont de sens que dans un contexte bien précis302.

Ruth Amossy qui se situe dans le sillage d’Aristote et de Chaïm Perelman tout en intégrant ses propres recherches sur les stéréotypes ainsi que les travaux d’Anscombreet de Ducrot, a dit :

« Mon approche se situe globalement dans le sillage d’Aristote et de Perelman : j’étudie l’argumentation dans le discours, c'est-à-dire la façon dont une instance de locution agit sur ses allocutaires en tendant de les faire adhérer à une thèse, de

300 Perelman, (1952), « Acte et personne dans l’argumentation dans l’argumentation», in Rhétorique et Philosophie. Paris : PUF.

301 Ibid. 302 Ibid.

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modifier les représentations et les opinions qu’elle leur prête, ou simplement d’orienter leur réflexion sur une question donnée. »303

C’est ce qui lui permet de distinguer les topoï rhétoriques des topoï du doxique. Les premiers correspondent aux lieux du préférable au sens de Perelman et Olbrecht-Tyteca et aux topoï koinoi d’Aristote. Ils s’appuient sur le vraisemblable et l’opinable, et lancent un appel à la raison. Les seconds coïncident avec les manifestations du doxique qui expriment les croyances communes d’une société sous trois formes :

La première forme : le topos pragmatique au sens d’Anscombre et de Ducrot. Ce topos est implicite et il implique « une croyance commune non formelle » tout en permettant d’entraîner deux énoncés.

La deuxième forme : le lieu commun qui a dans le langage courant une connotation péjorative et qui représente un phénomène « largement répandu et connu de tous ».

La troisième forme est celle de l’idée reçue qui est devenue avec Flaubert « une expression figée » et qui indique des représentations communes.

Amossy veut montrer que les notions reliées à la doxa, d’une part, et à la stéréotypie d’autre part, peuvent s’articuler et devenir opératoires dans l’analyse argumentative. Les topiques qui apparaissent comme fondements même de l’interaction argumentative, ne semblent entretenir que de lointains rapports avec les lieux communs modernes devenus stéréotypes et idées reçues. En effet, les clichés, les idées reçues, les stéréotypes, les topoï rhétoriques, les topoï pragmatiques, les lieux communs dans le sens d’idées reçues et stéréotypes sont des éléments doxiques qui contribuent au fonctionnement de l’interaction et de la persuasion : ils fondent le logos sur la façon de penser et de voir de la communauté ; ils l’articulent sur le pathos, sur les façons

communes de sentir qui permettent de toucher le cœur en même temps que la raison.