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La théori e de Tzvetan Todorov, une référence

LES LITTÉRATURES DE L’IMAGINAIRE, LES MÉTAMORPHOSES DES GENRES

1.1 POUR UNE DÉFINITION DU FANTASTIQUE EN LITTÉRATURE LITTÉRATURE

1.1.1 La théori e de Tzvetan Todorov, une référence

Tzvetan Todorov (1939-2017), historien des idées, sémiologue et critique littéraire

français, s’est intéressé à la question de la définition du fantastique. C’est dans son

Introduction à la littérature fantastique66 qu’il donne un premier cadre à ce genre :

« Dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables,

sylphides, ni vampires, se produit un événement qui ne peut s’expliquer par les

lois de ce même monde familier. […] Le fantastique c’est l’hésitation éprouvée

par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel67. »

Dans cette définition, est mis en avant un élément essentiel, la notion d’hésitation qui est le

ciment du genre fantastique, son essence même. Pour l’auteur, le récit fantastique est

caractérisé par la manière dont les lecteurs vont percevoir les événements surnaturels. Cette

notion d’hésitation n’est pas nouvelle et apparaît en premier chez le philosophe Russe

Vladimir Soloviev (1853-1900) qui pense que c’est la possibilité d’hésiter entre une

explication rationnelle ou irrationnelle qui va créer l’effet fantastique. Cette idée est reprise ensuite par un écrivain anglais spécialisé dans les histoires de fantômes, Montague Rhodes James (1862-1936), qui voit comme nécessaire la « porte de sortie pour une explication naturelle68 », mais que cette porte soit assez étroite pour que le lecteur ne s’en serve pas, il y a

donc, à nouveau, deux solutions possibles. Le fantastique, c’est la perception ambiguë que le

lecteur a des événements de l’histoire. Face à un événement fantastique, il devra faire un

choix, soit le phénomène surnaturel n’est qu’une illusion, soit il a véritablement lieu. Le

66 Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, coll. « Points », 1970. 67Ibid., p. 29.

68 Montague Rhodes James, « Introduction », in : V. H. Collins (éd.), Ghosts and Marvels, Oxford, Oxford University Press, 1924, p. 6.

fantastique réside dans le temps de l’ambiguïté, de cette hésitation, c’est le moment où le héros et le lecteur n’ont pas encore décidé entre réalité et illusion. Le concept de fantastique se définit donc par rapport à celui de réel et d’imaginaire. L’hésitation prend fin à l’issue du

récit car le lecteur décide si ce qu’il a lu relève ou non de la réalité. Pour conclure sur sa définition du fantastique, Tzvetan Todorov nous donne trois conditions pour que le fantastique existe, la première et la dernière sont obligatoires, la seconde peut ne pas se produire :

« Un phénomène inexplicable a lieu ; pour obéir à son esprit déterministe, le lecteur se voit obligé de choisir entre deux solutions : ou bien ramener ce

phénomène à des causes connues, à l’ordre naturel, en qualifiant d’imaginaire les

faits insolites ; ou bien admettre l’existence du surnaturel et donc apporter une

modification à l’ensemble des représentations qui forment son image du monde.

Le fantastique dure le temps de cette incertitude ; dès que le lecteur opte pour

l’une ou l’autre solution, il glisse dans l’étrange ou dans le merveilleux69. »

Ici, l’individu percevant l’élément fantastique devra opter pour une solution : soit l’événement

fantastique est une illusion des sens, un produit de l’imagination, soit l’événement se produit

réellement, fait partie de la réalité. Dès lors que le choix s’opère, il quitterait le fantastique

pour entrer dans un genre voisin : l’étrange ou le merveilleux. La conclusion d’un surnaturel

expliqué donne à basculer dans l’étrange, celle d’un surnaturel accepté fait entrer dans le

merveilleux. Pour l’auteur, il n’y a pas de fantastique proprement dit mais seulement des

genres qui lui sont voisins, il y a bien fantastique mais seulement un laps de temps. Une fois le récit terminé, il n’y a plus fantastique sauf dans certains cas comme La Venus l’Ille70 de

Prosper Mérimée où nous n’atteignons jamais la certitude. Comme l’a exprimé le philosophe

Louis Vax, « l’art fantastique idéal sait se maintenir dans l’indécision71 ».

Tzvetan Todorov développe ainsi quatre notions, sous-genres, parents plus ou moins

proches du genre fantastique qu’il nomme: l’étrange pur, le fantastique étrange, le fantastique

merveilleux et le merveilleux pur. Le fantastique, sous cet angle de vue, se chevauche avec le

merveilleux et l’étrange, l’auteur développe ainsi le diagramme suivant72 et en donne, dans son ouvrage, une explication :

69 Tzvetan Todorov, « Préface » in : Henry James, Histoires de fantômes, tard. par Louise Servicen, Paris, Aubier-Flammarion, 1970, p. 7.

70 Prosper Mérimée, « La Venus l’Ille », Paris, La Revue des deux mondes, 1837.

71 Louis Vax, L’Art et la Littérature fantastique, Paris, P.U.F, coll. « Que sais-je ? », 1965, p. 98. 72 Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, coll. « Points », 1970, p. 49.

Figure 1: Tableau du fantastique

Étrange pur Fantastique-

Étrange

Fantastique-merveilleux

Merveilleux pur

Le fantastique pur (représenté par la barre rouge du tableau), se trouve à la frontière du

fantastique merveilleux et du fantastique étrange. Afin de donner plus d’impact à sa définition

et, par là même, d’expliquer de manière précise ce qu’est le fantastique, il s’emploie à définir

les autres sous catégories :

· Le fantastique étrange relate une série d’événements surnaturels tout au long de

l’histoire pour finalement terminer sur une explication rationnelle. Des événements

insolites conduisent le lecteur à « croire », tout au long de l’histoire, que des

événements surnaturels se produisent. L’exemple que l’auteur donne est celui

du Manuscrit trouvé à Saragosse73 où tous les miracles qu’a rencontrés Alphonse, le

personnage principal, sont rationnellement expliqués à la fin du livre. Le doute était

maintenu jusqu’à la fin, moment où l’ermite rencontré au début de l’histoire,

explique au personnage principal les événements produits.

· L’étrange pur ressemble au fantastique étrange car il relate une série d’événements

auxquels nous pouvons donner une explication rationnelle, mais d’un autre côté,

réside et perdure l’extraordinaire, l’insolite, le choc. La pure littérature d’horreur

appartient à cette catégorie. L’exemple cité par l’auteur est celui de The fall of the house of Usher74, une nouvelle d’Edgar Poe (1909-1849) dans laquelle deux amis se

retrouvent dans une maison afin de veiller la sœur mourante d’un des personnages.

Une fois son décès prononcé, les deux hommes laissent reposer son corps dans le caveau familial de la maison. Quelques jours plus tard, des sons étranges se font entendre et les deux amis se rendent compte que la femme est toujours vivante. Le

frère et la sœur se jettent dans les bras l’un de l’autre et tombent tout à coup raides

morts. L’autre personnage s’enfuit juste avant l’écroulement soudain de la maison.

Ici, il y a une multitude de coïncidences, la résurrection et la destruction de la maison

73 Jean Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse, Paris, Gallimard, 1958, (éd. Originale. 1794).

74 Edgar Allan Poe, The fall of the house of UsherLa chute de la maison Usher »), Burton's Gentleman's Magazine, 1839.

pourraient apparaître comme des éléments surnaturels mais l’auteur en donne une

explication rationnelle sur la base d’un « peut-être » durant le récit.

· Le fantastique merveilleux est la classe des récits qui se présentent comme fantastiques et qui se terminent par une acceptation du surnaturel ; ce sont des récits

proches du fantastique pur, la limite est incertaine. L’exemple que donne l’auteur est

celui de La morte amoureuse75 de Théophile Gautier, l’histoire d’un moine qui, le

jour de son ordination, tombe amoureux d’une courtisane nommée Clarimonde et

qui, malheureusement, décédera peu après. Dès cet instant, elle lui rend visite dans ses rêves. Il se met alors à vivre une nouvelle vie, chaque soir il n’est plus moine

mais seigneur de Venise. Il s’aperçoit alors qu’une condition est nécessaire pour que

sa bien-aimée puisse vivre, elle doit lui aspirer son sang pendant la nuit. Le moine y

voit dès lors l’intervention du Diable (ici, le fait que le personnage rêve pourrait

donner une explication rationnelle des faits). Par la suite, dans le récit, il se produit un nouvel événement, un autre abbé nommé Sérapion, ayant eu connaissance de

l’histoire du moine, décide de l’amener dans le cimetière où repose la courtisane, il

ouvre le cercueil et remarque que la courtisane semble vivante et qu’une goutte de

sang perle sur les lèvres. L’abbé Sérapion jette de l’eau bénite sur le cadavre de la courtisane qui tombe alors en poussière. Cette scène ne peut être expliquée par les lois de la nature, nous sommes donc dans le fantastique-merveilleux.

· Le merveilleux pur, dernière sous-catégorie, n’a pas de limites nettes. Dans ces récits,

les éléments surnaturels n’ont pas d’impact sur le héros ni sur le lecteur, ce n’est pas

une attitude envers les événements rapportés qui caractérise le merveilleux mais la

nature même de ces événements. Le merveilleux pur ne s’explique pas. Le conte de

fées est souvent associé au merveilleux, il en fait partie. Plusieurs récits sont à écarter car le surnaturel peut, parfois encore, recevoir une explication, ils représentent des genres de merveilleux mais ne forment pas un merveilleux pur :

Ø Le merveilleux hyperbolique où le phénomène surnaturel peut être simplement

dans une manière de s’exprimer (Sinbad le marin qui voit des poissons de cent

et deux cents coudés).

Ø Le merveilleux exotique où, par exemple, l’auteur traite d’un animal dont nous

savons qu’il n’est pas réel mais qui, pour son époque, avait une existence

possible voire même probable.

Ø Le merveilleux instrumental où apparaissent des gadgets irréalisables pour

l’époque mais parfaitement possibles (le tapis volant représente par exemple

l’hélicoptère, l’aliment avec des propriétés de guérison est l’antibiotique). Ce merveilleux instrumental conduit à ce qui était nommé en France au

XIXe siècle le merveilleux scientifique et qu’on appelle aujourd’hui science

-fiction. Ici, le surnaturel s’explique par des lois rationnelles et scientifiques que la science de l’époque ne reconnaît pas.