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CONCLUSION DU CHAPITRE

CHAPITRE 2 : VERS UN GLISSEMENT DES GENRES, LA FANTASY NOUVELLE REINE FANTASY NOUVELLE REINE

2.1 LES CHEMINS D’UNE MÉTAMORPHOSE

2.1.2 La domi nati on angl o -saxonne

Merveilleux ? Fantastique ? Féerie ? La question de la place de la fantasy devient une

problématique dans l’étude des genres littéraires. Nous pouvons retenir ici que le merveilleux,

comme nous l’avons vu précédemment, dans son acceptation française fait bien partie de la fantasy. C’est la tradition anglophone qui a vu naître l’éclosion de la fantasy, il fut normal dès lors que ce soit les Anglo-Saxons, les spécialistes du domaine. La fantasy est partie à la conquête de notre société grâce à ses productions et références anglo-saxonnes comme

l’influence même, première, inséparable de l’évolution de la fantasy : l’œuvre de J. R. R.

Tolkien. L’écrivain britannique Michael Moorcock définit, dans son essai Aspects of

fantasy131, la fantasy comme un large territoire, difficile à définir, formé de fictions en relation

avec le fantastique et dépassant le cadre ordinaire de l’expérience humaine. Les universitaires

américains M. B. Thymm, R. H. Boyer et K. J. Zahorski proposent une définition :

« La fantasy est un genre littéraire composé d’œuvres dans lesquelles des

phénomènes surnaturels, irrationnels jouent un rôle significatif. Dans ces œuvres

des événements arrivent, des lieux ou des créatures existent, qui ne peuvent arriver ou exister selon nos standards rationnels ou nos connaissances scientifiques132 ».

130 Roger Bozzetto, Arnaud Huftier (dir.), « Les frontières de la loi » in : Les frontières du fantastique, Approche

de l’impensable en littérature, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2004, p. 264. 131 Michael Moorcock, Exploring fantasy Worlds, États-Unis, Rockville, Borgo Press, 1985.

132 Robert H. Boyer, Marshall B. Thymm et Kenneth J. Zahorski, Fantasy Literature. A Core Collection and Reference Guide, New York, R. R. Bowker, 1979.

De ce postulat ils divisent la fantasy en deux : la low fantasy et la high fantasy :

· La low fantasy désigne un récit dont les intrigues se passent dans notre monde, un milieu familier, rationnel où surgiront brutalement un ou plusieurs événements

surnaturels sans explications aucunes. C’est ce que le vocabulaire français peut

désigner par fantastique.

· La high fantasy quant à elle, désigne un récit où les intrigues se situent dans un monde différent du nôtre, un monde secondaire qui possède ses propres règles, propres lois et qui sont différentes de celles que nous connaissons. Ici, il y a une lutte manichéenne, le

mal y est toujours vaincu. Cette catégorie est celle qu’en France nous désignons

comme fantasy. Ce monde secondaire se divise également en deux sous-catégories, la myth fantasy et la fairy tale fantasy.

Ø La myth fantasy s’inspire, comme son nom en témoigne, des mythologies, des pouvoirs divins. Elle est plus près des contes de fées.

Ø La fairy tale fantasy donne à certains personnages des pouvoirs magiques (humains ou créatures), elle puise sa source dans les contes merveilleux.

En fantasy, la magie joue un des rôles les plus importants (comme la science dans la fiction). Les universitaires recensent ensuite des formes proches de la fantasy : la science-fiction, les histoires gothiques où le surnaturel prend une explication logique, les textes oniriques, les histoires de « races perdues » qui relèvent de la science-fiction ou du récit

d’aventure exotique. D’autres auteurs restreignent moins la fantasy, Terri Windling en donne une autre définition :

« La fantasy couvre un large champ de la littérature classique et contemporaine, celle qui contient des éléments magiques, fabuleux ou surréalistes, depuis les romans situés dans des mondes imaginaires, avec leurs racines dans les contes

populaires et la mythologie, jusqu’aux histoires contemporaines de réalisme

magique où les éléments de fantasy sont utilisés comme des moyens

métaphoriques afin d’éclairer le monde que nous connaissons133. »

133 Terri Windling, « Preface» in: The Year’s Best fantasy and Horror, New York, ST. Martin Press, vol. 1, 1987.

Jacques Baudou, critique des littératures de l’imaginaire, nomme la fantasy genre

« multiforme134 » dominé par une base : la fantasy épique dont le modèle originel est Le

Seigneur des Anneaux de J. R. R. Tolkien. La fantasy épique possède plusieurs

caractéristiques léguées de cette œuvre:

· Le monde secondaire décrit est de type médiéval occidental avec une hiérarchie, une

aristocratie, une église…

· Les personnages et créatures proviennent des contes (fées, nains, trolls), des

mythologies (centaures, dryades) ou du bestiaire fantastique (dragons, licornes).

· Il y a une lutte manichéenne entre le bien et le mal. Dans Le Seigneur des Anneaux le

combat magie blanche contre magie noire est symbolisé par la lutte entre les personnages de Gandalf et Sauron.

· Le thème principal est celui de la quête initiatique, du voyage.

La fantasy épique a évolué. De nos jours les auteurs ne se cantonnent plus au Moyen Âge

occidental et explorent d’autres civilisations, d’autres mythes, d’autres époques, et d’autres

formes comme la fantasy animalière dont le précurseur est Kenneth Grahame (1859-1932).

Dans cette fantasy, l’histoire se compose principalement d’animaux parlant à qui il arrive des

aventures. Il y a aussi la dark fantasy qui s’occupe du créneau de la terreur, la fantasy

humoristique (la light fantasy des Anglo-Saxons), la fantasy arthurienne sans oublier la

fantasy urbaine (urban fantasy) où les êtres surnaturels apparaissent dans notre monde. Ce

dernier est le genre en tête des ventes avec le genre bit-lit qui en est, selon certains, une

variante.

Malgré quelques différences entre certaines définitions de la fantasy, les spécialistes

anglo-saxons s’accordent à donner les mythologies et les contes comme sources principales à

la fantasy contemporaine. Comme nous l’avons dit plus haut, la myth fantasy regroupe les

œuvres utilisant des phénomènes irrationnels dont l’origine est surnaturelle ou divine. Il y

aurait trois catégories dans la myth fantasy. La première catégorie est une réécriture (plus ou

moins fidèle) du mythe, la seconde représente une adaptation moderne dans laquelle l’auteur

n’utilise que quelques éléments originaux et construira le reste, enfin la troisième est

l’invention de mythologies. En ce qui concerne l’emprunt direct aux mythes, la fantasy puise

dans le Nord de l’Europe son intérêt pour les paysages irlandais et scandinaves. J. R. R.

Tolkien, grand spécialiste des littératures germaniques et nordiques anciennes, s’en inspire énormément. Les mythologies hors de l’Europe sont quasi inexistantes pour le moment. Le second type d’emprunt aux mythes, moins direct, se retrouve dans la fantasy urbaine avec un merveilleux empreint de légendes urbaines qui hantent les villes. Un des exemples les plus

importants est le Neverwhere135 de Neil Gaiman (1996), qui nous plonge dans un Londres

souterrain où s’est développée une société féodale et magique dans laquelle le héros venu de la surface devra accomplir sa quête. Anne Besson, propose une définition générale incluant

l’aspect mythique du genre :

« […] Un ensemble d’œuvres textuelles mais aussi iconographiques et interactives qui exaltent (ou parodient) une noblesse passée marquée par l’héroïsme, les splendeurs de la nature préservée et l’omniprésence du sacré, en ayant recours à

un surnaturel magique qui s’appuie sur les mythes et le folklore136. »

Le conte quant à lui, la fairy tale fantasy, commence avec le conte populaire, il y en

aurait quatre grands types137 : les contes proprement dits, les contes facétieux, les contes à

formules et les contes d’animaux. C’est la première catégorie qui nous intéresse, c’est en son

sein que se trouvent les contes merveilleux dont les motifs principaux sont d’ordres

surnaturels et témoignent de croyances populaires en des êtres et événements surnaturels.

C’est l’époque où le conte oral se transmet à l’écrit. Le conte de fées littéraire est souvent

attribué à Charles Perrault pour ses Contes de ma mère l’Oye138 en 1697. De multiples contes

de fées virent ensuite le jour prenant parfois source dans les contes populaires. Ils vont

perdurer jusqu’au XIXesiècle où bon nombre d’auteurs comme Charles Nodier ou Gérard de

Nerval vont s’y essayer. À destination des jeunes enfants, le conte prendra en ce siècle une

visée pédagogique. Peu à peu oubliés, l’arrivée de la fantasy les a remis sur le devant de la scène dans le sens où ils se sont trouvés réécrits, remaniés, modifiés. La structure du conte de

Propp ne correspond plus aujourd’hui au modèle du roman, il y aura deux faits principaux : le

remaniement du conte et la féerie (où l’importance est placée dans les personnages de fées,

petits peuples, créatures diverses).

135 Neil Gaiman, Neverwhere (1996), trad. par Patrick Marcel, Paris, J’ai Lu, coll. « J’ai Lu Millenaires », 1998. 136 Anne Besson, La fantasy, Paris, Klincksieck, coll. « 50 questions », 2007, p. 14.

137D’après la classification d’Aarne-Thompson qui est considérée comme une classification internationale et qui permet de classer les contes populaires par contes types.