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Théorème d’Abel et applications

Dans le document Courbes algébriques complexes (Page 175-200)

§ 1. Variété jacobienne et théorème d’Abel

Soit S une surface de Riemann compacte de genre g > 1. On sait que son premier groupe d’homologieH1(S,Z)est groupe abélien libre de rang2g, et que ce groupe possède une base (canonique) constituée d’éléments :

γ1, . . . , γg, γg+1, . . . , γ2g H1(S,Z) ayant comme nombres d’intersections non nuls :

γj ·γg+j = 1 et γg+j ·γj =1 (j= 1···g). Soit par ailleurs

ω1, . . . , ωg une base de l’espaceΩ(S)des1-formes holomorphes sur S. Pour toute courbeγj, on définit levecteur de périodes:

πj :=

 R

γj ω1

... R

γj ωg

 Cg (j= 1···2g).

Puisque les1-formes holomorphes sont automatiquement fermées : 0 =α = 1···g),

le théorème de Stokes montre (exercice de rappel) que les intégrales curvilignes : Z

γj

ωα

dépendent seulement de la classe d’homologie des courbesγj, de telle sorte que lamatrice des périodes:

Π := π1 · · · πg πg+1 · · · π2g

g×2g

est bien définie. Dans le chapitre sur le théorème de Riemann-Roch, on a établi que son rang est maximal égal àg, et même mieux :

Proposition.Les vecteurs de périodesπ1, . . . , π2gsontR-linéairement indépendants.

Grâce à cette proposition, ces vecteursπ1, . . . , π2g engendrent unréseaudansCg: Λ :=

X2g j=1

mjπj : mj Z

Cg. L’espace quotient :

J(S) :=Cg Λ

est alors untore complexede dimensiong,i.e.une variété complexe (changements de carte holomorphes) homéomorphe au produit de cercles(S1)2g.

Définition.Étant donné une surface de Riemann compacteS quelconque de genreg > 1, le tore complexe :

J(S) :=Cg

réseau des vecteurs de périodes

est appelé lavariété jacobiennedeS.

En fait, il est fréquemment plus pratique de travailler sur la jacobienne d’une surface de Riemann compacte que sur la surface elle-même : encore une illustration de la dialectique entre mathématiques abstraites et mathématiques « concrètes ». Les théorèmes qui vont suivre iront en effet dans ce sens.

Le groupe multiplicatif des fonctions méromorphes non identiquement nulles surSsera noté :

M(S).

Nous savons que le théorème de Riemann-Roch, inspiré de la théorie électrostatique du potentiel, contourne, en l’affaiblissant, le problème suivant (plus délicat) de représentation des diviseurs.

Problème fondamental de représentation. Étant donné un diviseur arbitraire D

Div(S), existe-t-il une fonctionf ∈M(S)qui le représente :

div(f) =D?

Bien entendu, puisque le degré du diviseur de toute fonction méromorphef M(S) est nul :

deg div(f)

= 0,

une condition nécessaire évidente pour qu’un diviseurD Div(S) soit représentable est qu’il appartienne au sous-groupe abélien :

Div0 :=

D∈Div(S) : deg(D) = 0 des diviseurs de degré0.

Le résultat principal de ce chapitre, leThéorème d’Abel, fournit une solution complète à ce problème.

Fixons un point quelconque q S et prenons une 1-forme holomorphe ω Ω(S) quelconque. Pour un autre point (variable)p∈S, introduisons l’intégrale :

Z p q

ω

le long de n’importe quelle courbe C1 par morceaux allant de q à p sur S. Puisque la concaténation entre deux courbes allant deqà p, courbe qui est fermée enq, est toujours homologue à une certaine somme de la forme :

X2g j=1

mjγj (mjZ),

les deux valeurs de l’intégrale calculées le long de deux courbes allant de pà q différent toujours par un élément de :

X2g j=1

Z Z

γj

ω.

Par conséquent, en faisant ici :

ω :=ω1, ω2, . . . , ωg, quand on quotiente par le réseau des vecteurs de périodes :

Λ =

l’ambiguïté disparaît, et on peut introduire la :

Définition.Avec un point fixéq ∈Scomme ci-dessus, l’application d’Abel-Jacobi: AJ: Div(S)−→Cg/Λ =J(S)

est définie, pour un diviseur :

D=

les valeurs dansCgétant indépendantes du chemin d’intégration.

On se convainc mentalement que cette application est un homorphisme de groupes abé-liens.

Ensuite, soit un diviseur :

D=

On peut toujours l’écrire sous la forme d’une différence (avec un entierk qui n’est plus le même !) :

certains pointspl etql pouvant être répétés, l’écriture n’étant d’ailleurs pas unique. Alors la valeur surDde l’application d’Abel-Jacobi se simplifie :

AJ(D) =

On vérifie directement (exercice) que cette dernière valeur ne dépend pas de l’écriture de Dci-dessus, fait qui est d’ailleurs automatiquement satisfait par définition deAJ.

Théorème d’Abel (Solution au problème de représentation). Sur une surface de Rie-mann compacteS, étant donné un diviseur non nulD∈Div(S)de degré zéro :

deg(D) = 0,

il existe une fonction méromorphe non nullef ∈M(S)qui le représente :

div(f) = D

quand et seulement quand son image par l’application d’Abel-Jacobi s’annule : AJ(D) = 0.

(La démonstration sera longue.) En fait, il y a un théorème plus complet qui est le suivant. Notons :

div: M(S) −→ Div0(S) f 7−→ div(f) l’application « prendre le diviseur ».

Théorème d’Abel-Jacobi.La suite d’homomorphismes de groupes abéliens : M(S) −→div Div0(S) −→AJ J(S)−→0

est exacte, à savoir :

Im(div) =Ker(AJ);

AJest surjective.

Malgré le fait que la définition deAJ dépend du choix de bases pourH1(S,Z)et pour Ω(S), on vérifie que les deux conditions apparaissantes :

AJ(D) = 0 et AJ est une application surjective

sont indépendantes de tels choix. Dans les démonstrations, on fixera donc des bases.

Visiblement, la surjectivité de AJ est une information supplémentaire par rapport au théorème d’Abel, classiquement appeléeproblème d’inversion de Jacobi. En fait, le Théo-rème d’Abel-Jacobi peut encore être reformulé d’une manière plus conceptuelle.

Définition.Le groupe quotient :

Pic(S) :=Div0(S)

Im(div) est appelé legroupe de PicarddeS.

On vérifie alors (exercice mental) que le théorème en question équivaut au :

Théorème d’Abel-Jacobi (second version équivalente).L’application d’Abel-Jacobi AJ

induit un isomorphisme :

Pic(S) −→ J(S) du groupe de Picard deSsur la variété jacobienne deS.

Maintenant, les sections qui suivent sont consacrées aux démonstrations, longues et pro-fondes. Il convient alors de décomposer ce théorème unique en trois propositions princi-pales. La première établit l’inclusion facile :

Im(div)Ker(AJ).

Première proposition principale. S’il existe une fonction méromorphe f M(S) qui représente un diviseur non nul :

div(f) =D Div0(S)\{0},

alors ce diviseur est nécessairement dans le noyau de l’application d’Abel-Jacobi : AJ(D) =AJ div(f)

= 0.

L’inclusion inverse plus délicate :

Ker(AJ)Im(div)

constitue lecœur même du théorème d’Abel, puisqu’il s’agit de donner naissanceà une fonction méromorphe représentante.

Deuxième proposition principale. Si un diviseur non nul D Div0(S) appartient au noyau de l’application d’Abel-Jacobi :

AJ(D) = 0, alors il existe une fonction méromorphe qui le représente.

Enfin, la troisième proposition principale se concentrera sur le problème d’inversion.

Troisième proposition principale.L’application d’Abel-Jacobi :

Div0(S) −→AJ J(S) est surjective.

DÉMONSTRATION DE LA PREMIÈRE PROPOSITION (FACILE). Soit donc une fonction

Nous allons montrer que l’application d’Abel-Jacobi est constante sur ces diviseurs : AJ(Dt) =const. Cg/Λ,

ce qui donnera instantanément : AJ div(f)

=AJ D0−D

=AJ(D0)AJ(D) = const.const.= 0, et montrera la proposition.

Afin de montrer que AJ(Dt) est constant, considérons sa dérivée. Si on spécifie les n:=deg-top(f)points qui forment le diviseurf−1(t):

Dt= Xn j=1

pj(t), alors cette dérivée à calculer est :

d

Examinons pour commencer les valeurs non critiques : t0 6∈f Crit(f)

,

c’est-à-dire par définition les valeurs t0 telles que f1(t0) consiste en exactement n =

deg-top(f) points distincts en lesquels la dérivée (différentielle complexe) de f est non nulle (rappelons que les valeurs critiques sont « exceptionnelles », en nombre fini). Alors au voisinage de tout tel point t0, il existe un petit disque ouvert ∆ 3 t0 et des ouverts disjoints∆1, . . . ,n⊂Sautour desnpréimages det0:

p1(t0), . . . , pn(t0) tels chaque restriction :

f

j: ∆j −→(j= 1···n)

est une application biholomorphe. Il est donc naturel de choisir la coordonnée holomorphe z(p) :=f(p)sur∆j. Si donc nous représentons dans cette coordonnée nos1-formes holo-morphes :

ωα=hαjdz = 1···g),

alors les intégrales à dériver s’écrivent :

Le premier terme étant constant, on a sans délai : d

dt

Z pj(t)

q

ωα =hαj(t).

D’un autre côté, près depj(t), on a dans la coordonnée holomorphe locale choisiez =f sur∆j :

ωα

f −t = hαj(z)dz z−t , de telle sorte que :

2iπRespj(t)

ωα f−t

=hαj(t).

Ainsi la dérivée de notre intégrale vaut : d

Maintenant, le théorème d’annulation de la somme des résidus pour les 1-formes méro-morphes donne, pour toutαfixé :

0 = 2iπ

Si donc nous notonsCrit(f) S l’ensemble des points de ramification de f (points où la dérivée de f s’annule), nous venons de démontrer que lorsque t varie en dehors de l’ensemblefinides valeurs critiques, l’application restreinte :

P1

f Crit(f)

−→ C t 7−→ AJ(Dt) est holomorphe et de dérivée nulle :

d

dtAJ(Dt) = 0.

Mais puisque cet ouvertP1

f Crit(f)

est dense dansP1 et connexe, il en découle que l’on a :

AJ(Dt) =const.,

sur cet ouvert. Enfin, par continuité de t 7−→ AJ(Dt) (exercice mental), on conclut que

AJ(Dt) = const.pour toutt P1.

§ 2. Différentielles de troisième espèce

Dans cette section, nous entamons la démonstration de la seconde proposition plus dé-licate, mais ce ne sera qu’à la fin de la prochaine section que nous aurons achevé le travail.

Étant donné, donc, un diviseur D Div0(S) de degré nul appartenant au noyau de l’application d’Abel-Jacobi :

0 =AJ(D),

il s’agit de construire une application méromorphef ∈M(S)qui le représente :

div(f) =D.

C’est un problème d’existence, et la démonstration va s’avérer relativement difficile. Il est donc avisé d’analyser la question afin d’effectuer quelques simplifications préliminaires.

Soit donc un diviseur de degré nul : D=

Xk l=1

nlpl Div0(S).

Pouranalyserle problème — au sens cartésien de l’Analyseet de laSynthèse —, suppo-sons donc qu’il existe une fonction méromorphe f M(S) telle que div(f) = D, et introduisons la1-forme méromorphe :

ϕ := 1 2iπ

df

f MΩ(S).

Il est clair qu’elle satisfait les deux premières (parmi trois) propriétés suivantes : (a) : ϕn’a que des pôles simples etdiv(ϕ) =Pk

l=1 pl; (b) : Resplϕ= 2iπnl, oùnlZest le poids depldansD; (c) : R

γj ϕ Z, oùγ1, . . . , γ2g est une base deH1(S,Z).

La raison pour laquelle(c)est vraie vient de ce que : Z

γj

ϕ= 1 2iπ

Z

γj

df f

= 1 2iπ

Z

γj

d iarg(f)

Z,

qui est bien un nombre entier, puisque la courbe γj est fermée. Inversement, l’existence d’une telle1-formeϕrésout notre problème :

Proposition.Étant donné un diviseur quelconque de degré nul :

D= Xk

l=1

nlpl Div0(S),

s’il existe une1-forme méromorpheϕ∈MΩ(S)satisfaisant ces trois propriétés : (a) : ϕn’a que des pôles simples etdiv(ϕ) =Pk

l=1 pl, (b) : Resplϕ= 2iπnl, oùnlZest le poids depldansD, (c) : R

γj ϕ Z, oùγ1, . . . , γ2g est une base deH1(S,Z), et siq ∈Sest un point fixé quelconque, alors l’application :

f(p) :=exp

2iπ

Z p q

ϕ

dans laquelle l’intégration se fait le long de n’importe quelle courbe ne passant pas par les pôles deϕ, définit une fonction méromorphe surS représentant le diviseur :

div(f) = Xk

l=1

nlpl=D.

DÉMONSTRATION. Commençons par observer que f(p) est bien définie sans ambi-guïté, au moins pour tout p distinct des pôles de ϕ. En effet, étant donné deux courbes C1 par morceaux allant de p àq qui ne passent par aucun pôle deϕ, les deux intégrales

correspondantes : Z p

ont une différence qui est l’intégrale le long d’une courbe fermée, donc uneZ-combinaison linéaire des2g intégralesentièresgrâce à(c):

Z différence quidisparaît instantanémentdans l’exponentiation :

f(p) =exp

Ensuite, puisqueϕsatisfait(a), cette fonction est clairement holomorphe surSen dehors des pôlesp1, . . . , pkdeϕ. Examinons ce qu’il se passe en ces pôles. Dans une coordonnée holomorphe locale centrée enpl, notre1-forme s’écrit :

ϕ(z) = nl

2iπ dz

z +h(z)dz,

au moyen d’une certaine fonction-reste holomorpheh(z). Ensuite, fixons un pointp0 6=pl près deplet posons : en termes la constante non nulle :

const:=exp

et en termes de la fonction holomorphe ne s’annulant jamais : H(z) := exp

2iπ

Z z z0

h(z)dz

. On voit donc que le diviseur de cette fonction :

div(f) = Xk

l=1

nlpl =D

représenteD.

Grâce à cette proposition, le problème d’existence d’une fonction méromorphef repré-sentantD = div(f) se ramène à la construction d’une1-formeϕ MΩ(S) satisfaisant (a),(b),(c).

Définition.Une 1-forme méromorphe ϕ MΩ(S) dont les pôles sont tous d’ordre 6 1 est appelée uneforme différentielle de troisième espèce.

Définition.Étant donné deux points distincts p 6= q S, une1-forme méromorpheϕ = ϕpq ∈MΩ(S)est diteélémentaire de troisième espècesi :

div(ϕ)=p+q, avec de plus :

Respϕ = 1

2iπ et Resqϕ = 1

2iπ.

Évidemment, pourp6=qfixé, une forme différentielle élémentaire de troisième espèce est déterminé de manière unique modulo l’addition d’une 1-forme holomorphe. De plus, toute combinaison linéaire de formes différentielles élémentaires de troisième espèce est une forme différentielle de troisième espèce (pas forcément élémentaires).

Maintenant, toute forme différentielle ϕ qui satisfait la condition (a) ci-dessus est de troisième espèce. En route vers l’objectif de construire une telleϕ, commençons par établir l’existence de formes différentielles élémentaires de troisième espèce.

Théorème.Pour toute paire de points distinctsp6=q∈S, il existe une forme différentielle élémentaire de troisième espèceϕ =ϕpq ∈MΩ(S), satisfaisant donc :

div(ϕ) =p+q, Respϕ = 1

2iπ, Resqϕ= 1 2iπ.

DÉMONSTRATION. Tout d’abord, nous affirmons qu’il suffit de montrer l’existence d’uneϕ∈MΩ(S)satisfaisant seulement la première condition :

div(ϕ)=p+q.

En effet, en partant d’une telleϕ, qui a donc exactement deux pôles simples enpet enq, on peut la multiplier par une constante appropriée pour avoir :

Respϕ= 1 2iπ.

Mais alors le théorème d’annulation de la somme des résidus — deux seulement ici — de toute1-forme méromorphe impose instantanément :

Resqϕ = 1 2iπ.

Ensuite, lorsque le genre de S est g = 0, la solution est fort simple. En effet,S = P1 dans ce cas, et une transformation de Möbius (automorphisme deP1) nous ramène à :

p=z0 6= et q =z1 6=∞. On constante alors que la fraction rationnelle (« tirée du chapeau ») :

f(z) := z−z0 z−z1 possède une différentielle logarithmique normalisée :

ϕ:= 1 2iπ

df f = 1

2iπ 1

z−z0 1 z−z1

dz qui est exactement ce que l’on cherche.

Nous pouvons donc supposer que le genre estg >1. Alors une fois encore, nous allons démontrer l’énoncé en voyant concrètement notre surface de Riemann compacteScomme la normalisée d’une certaine courbe algébrique complexe projective planeC P2.

Soient doncp1, . . . , pδ ∈Cles points doubles à croisements normaux deC et soit : σ: S −→C

l’application — holomorphe de S à valeurs dans P2 — de normalisation. Rappelons qu’elle établit un biholomorphisme hors des points doubles :

S/

σ1(p1), . . . , σ1(pδ) −→ C

p1, . . . , pδ . Notons aussi :

n :=degC

le degré de la courbe. Puisque g > 1, la formule du genre implique n > 3. Divisons à présent la preuve en deux cas exclusifs et complets.

Premier cas : les imagesσ(p)6=σ(q)∈Csont distinctes.Introduisons la droite projective : L:=σ(p)σ(q)

passant par les deux points σ(p) et σ(q). De manière très analogue à ce que nous avons déjà pour dans la démonstration de l’égalitédimΩ(S) = genre(S)dans le chapitre sur le théorème de Riemann-Roch, on choisit un système de coordonnées projectives surP2dans lequel la doite à l’infiniP1n’est tangente à aucun point de la courbeCet ne contient aucun des pointsσ(p),σ(q),p1, . . . , pδ, et dans lequel le point[0 : 1 : 0]n’appartient pas àCavec de plus :

P1∩L∩C =∅.

Le fait quey = [0 : 1 : 0]6∈ C assure alors queCest contenue dans la réunion des deux ouverts affines :

U0 :=

[x:y: 1] et U1 :=

[1 : u:v] . Dans un tel système de coordonnées, l’équation affine de la courbe est :

f(x, y) = 0,

avec un certain polynômef de degrén, et l’équation de la droiteL=σ(p)σ(q)est : l(x, y) = 0,

avec une certaine forme linéairel=l(x, y). Ensuite, introduisons le diviseur : L·C :=div l◦σ

0 Div(S).

D’après le théorème de Bézout,L·Cconsiste ennpoints comprenantpetq: L·C =p+q+

Xn α=3

rα,

où il est bien entendu possible que certains desrαsoient envoyés parσsur un point double deC. Introduisons alors aussi un autre diviseur :

Γ :=

Notons Hn2 l’espace des polynômes homogènes de degré (n 2) en trois variables et introduisons le sous-espace :

Hn2(Γ) :=

R∈Hn2: div R◦σ

0.

Grâce à des raisonnements similaires à ceux que nous avons conduits dans la démonstration de l’inégalité de Riemann, nous savons que l’inégalité :

div R◦σ

0

équivaut à ce que les coefficients deR satisfassent(n 2 +δ) équations linéaires (non forcément indépendantes). Par conséquent :

dimHn2(Γ)>dimHn2(n2 +δ)

= 12n(n−1)−n+ 2−δ

= 12(n1)(n2)−δ+ 1

=g+ 1 [formule du genre].

Maintenant, pour tout polynôme :

R=R X: Y : Z

Hn−2(Γ), auquel est associé sa représentation affine :

r(x, y) := R(x, y,1),

construisons une 1-forme différentielle méromorphe ϕR sur la surface de Riemann S comme suit :

La division parl(x, y)est insérée à dessein pour faire apparaître des pôles simples enpet enq tandis que l’appartenance de R à l’espace Hn2(Γ)a été arrangée à l’avance pour que les autres pôles éventuels en lesrαdisparaissent.

Soyons plus précis. On se convainc mentalement que les seuls pôles possibles de ϕR

sontp, qet les images inverses par des points à l’infini et des points doubles ordinaires de C.

Soit donct∈Stel que :

σ(t) = pl,

pour un certaini∈ {1, . . . , δ}. PuisqueR Hn2(Γ), on aϕR(t)<∞, c’est-à-dire que tn’est pas un pôle deϕR.

Ensuite, à l’infini sur P1 C, à savoir sur la droite {u = 0} pour la troisième et dernière représentation deϕR, on vérifie comme à la fin de la démonstration du théorème fondamental «dimΩ(S) = g» que la division par :

ud1 ∂f

∂y 1

u, v u

6

= 0

n’introduit pas de pôle. De même, on constate que sur{u= 0}, la division par : u·l u1, vu

6

= 0 n’introduit pas non plus de pôle, puisque par construction :

P1∩L∩C =∅.

En définitive, on a vérifié queϕRne peut avoir de pôles qu’en les pointspetq:

div ϕR

6p+q.

Mais puisque l’on souhaite que les pôles soient réellement présents, il faut un dernier argu-ment pour conclure !

Considérons alors l’application :

Φ : Hn2(Γ) −→ MΩ(S) R 7−→ ϕR.

Évidemment (exercice mental), c’est une application linéaire injective, et nous venons d’établir plus haut que :

dimΦ Hn2(Γ)

> g+ 1

> dimΩ(S).

En raisonnant par contradiction, supposons maintenant que pour tout polynôme R Hn2(Γ), la1-formeϕR n’ait pas de pôle au pointp. Alors grâce au théorème d’annula-tion de la somme des résidus,ϕRn’aura pas non plus de pôle au pointq, d’oùϕRΩ(S).

Mais ceci implique :

dimΦ Hn2(Γ)

6 dimΩ(S),

en contradiction flagrante avec l’inégalité écrite à l’instant. Donc il doit exister au moins un polynômeR Hn2(Γ)pour lequelϕRa des vrais pôles d’ordre1en les deux points petq, ce qui complète la réalisation du premier cas.

Deuxième cas : les images σ(p) = σ(q) C coïncident. Autrement dit, ces deux points sont image inverse d’un point double deC, que l’on peut supposer égal àp1:

p, q =σ1(p1).

Puisque le genre deS estg > 1, et puisqu’il existe au moins un point doublep1 C, la formule du genre implique que le degréndeCest>4.

Soit Hn3 l’espace des polynômes homogènes de degré (n 3)en les trois variables X, Y, Z. On introduit le diviseur :

Γ0 :=

Grâce à des raisonnements similaires à ceux que nous avons conduits dans la démonstration de l’inégalité de Riemann, nous savons que les coefficients des polynômesR Hn3 Γ0 sont soumis àδ−1équations linéaires. Par conséquent :

dimHn3 Γ0

, construisons une1-forme différentielle méromorhe ϕRsur la surface de RiemannScomme suit :

Notons que l’on n’a pas demandé que les polynômesRs’annulent au pointp1. Pour cette raison, ϕR(t) a potentiellement des pôles aux points p et q. En modifiant légèrement les raisonnements de la fin du Cas 1, on conclut la preuve aussi dans ce deuxième Cas S.

Scholium.Dans les Cas 1 et 2 de la démonstration qui précède, à la place des deux inéga-lités :

DÉMONSTRATION. En effet, si les égalités n’étaient pas satisfaites, on aurait :

dimHn2(Γ)>g+ 2 ou dimHn3 Γ0

>g+ 2, donc l’équation linéaire :

0 =Resp ϕR

définirait un sous-espace deΩ(S)de dimension > g+ 1, ce qui contrediraitdimΩ(S) =

g.

Exercice.En appliquant le théorème de Riemann-Roch, déduire le théorème qui précède affirmant l’existence de formes différentielles élémentaires de troisième espèce.

Maintenant que nous avons établi l’existence de ces formes différentielles élémentaires de troisième espèce, il semblerait bien que nous ayons atteint notre but : en effet, puisque tout diviseur de degré nul :

D= Xk

l=1

pl Xk

l=1

ql Div0(S) s’écrit comme somme de pairespl−ql, nous pouvonssommer:

ϕ:=ϕ1+· · ·+ϕk

toutes les formes différentielles de troisième espèce ϕl construites pour chacune de ces paires et qui satisfont :

divl)=pl+ql, ainsi que :

Resplϕl = 1

2iπ et Resqlϕl = 1 2iπ.

Alors une telle sommeϕconstitue une forme différentielle de troisième espèce qui satisfait automatiquement les deux premières conditions(a) et (b), bien qu’elle ne satisfasse pas nécessairement la troisième condition(c).

Heureusement, observons que ϕ satisfait toujours (a)et (b) si on lui ajoute n’importe quelle1-forme différentielle holomorpheω Ω(S). Par conséquent, nous allons chercher une telleω Ω(S)bien choisie pour queϕ+ωsatisfasse la condition(c),sous l’hypothèse principale du théorème d’Abel:

AJ(D) = 0.

Quand nous aurons compris cela, nous pourrons achever la démonstration du théorème d’Abel (deuxième proposition principale). En guise de préparatif, nous allons faire état de propriétés des intégrales le long de courbesγ1, . . . , γ2g qui engendrentH1(S,Z).

§ 3. Les relations bilinéaires de Riemann

Soit comme précédemmentSune surface de Riemann compacte et soient : γ1, . . . , γg, γg+1, . . . , γ2g

des courbesC1 par morceaux sur S qui représentent une base canonique de H1(S,Z), à savoir qui ont comme seuls nombre d’intersection non nuls :

γj ·γg+j = 1 =−γg+j ·γj (j= 1···g). Pour une1-forme holomorpheω∈Ω(S), on définit :

πj(ω) :=

Z

γj

ω (j= 1···2g).

Il est clair queπj(ω)dépend du choix d’une base pour H1(S,Z), ici une base canonique, mais puisque = 0, le théorème de Stokes montre que πj(ω) ne dépend pas du choix d’un représentant deγj à homologie près. En fait, nous verrons plus bas que le théorème suivant est vrai pour tout choix de base canonique deH1(S,Z).

Théorème (Relations bilinéaires de Riemann). Pour toute paire de 1-formes holo-morphes :

ω, ϕ∈Ω(S) sur une surface de Riemann compacteS, on a la relation :

Xg l=1

πl(ω)πg+l(ϕ)−πg+l(ω)πl(ϕ)

= 0 et l’inégalité « bilinéaire » :

i Xg

l=1

πl(ω)πg+l(ω)−πg+i(ω)πl(ω)

>0.

Ce théorème peut être reformulé de la manière suivante. Rappelons que lamatrice des périodes:

Π = π1 · · · πg πg+1 · · · π2g

g×2g, concatène les2g vecteurs de périodes:

πj :=

Si nous introduisons alors les deux matrices : Ig := la première assertion du théorème, pourϕ=ω, peut se contracter en l’annulation :

Π·Q·tΠ = 0,

et la seconde en l’affirmation de définie positivité de la matrice hermitienne : iΠ·Q·tΠ>0.

Observons que la matriceQn’est autre que lamatrice d’intersectionde la matrice colonne : Γ :=t γ1, . . . , γ2g

DÉMONSTRATION DES RELATIONS BILINÉAIRES DERIEMANN. Choisissons une base

ω1, . . . , ωg deΩ(S), et fixons un pointq S. On déforme homotopiquement les courbesγj afin de les faire partir de et revenir en le point de référenceq. Comme les valeurs desπjα) = R

γj ωα restent inchangées à travers ces déformations, on peut supposer que lesγj sont ainsi disposées.

Maintenant, si on découpe la surfaceSle long de ces courbesγj, on obtient la représen-tation canonique d’une surface compacte orientable de genreg sous forme d’un polygone fermé dont on identifie les côtés. Des figures, nécessaires, sont distribuées séparément.

Introduisons alors l’ouvert :

Ω :=S [2g

j=1

γj =IntP.

Fixons aussi un pointb∈Ωet définissons : u(p) :=

Z p b

ω,

pest un point variable dansΩetω est l’une des deux1-formes donnéesω, ϕ Ω(S).

Puisque l’ouvertΩest homéomorphe à un disque, il est simplement connexe, donc par mo-nodromie cette applicationudéfinit une fonction holomorphe univalente surΩ, qui satisfait d’ailleurs clairement :

du=ω.

On prolonge par continuitéuà tout le polygone ferméP.

On prolonge par continuitéuà tout le polygone ferméP.

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