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Applications du théorème de Riemann-Roch

Dans le document Courbes algébriques complexes (Page 146-175)

Dans ce chapitre, on applique le théorème de Riemann-Roch à l’étude des sur-faces de Riemann compactes de genres0,1,2,3,4, et aussi à l’étude des surfaces hyperelliptiques.

§ 1. Énoncés-outils utiles

Dans les chapitres qui précèdent, nous avons démontré des énoncés qui vont maintenant se transformer en outils pour des applications. Collectons-les ici pour mémoire avant de commencer.

Étant donné un diviseur quelconque sur une surface de Riemann compacteS: D∈Div(S),

rappelons les définitions de deux espaces qui seront fréquemment utilisés dans les démons-trations qui suivront :

`(D) :=dimL(D) où : L(D) :=

f ∈M(S) : div(f) +D>0 ; i(D) :=dimS(D),

où : ΩS(D) :=

ω∈MΩ(S) : div(ω)>D La relation célèbre de Riemann-Roch s’écrit alors :

`(D) =degD−genre(S) +i(D) + 1 . En particulier, pourD= 0(exercice mental) :

dimΩ(S) =genre(S) .

Par ailleurs, si on se fixe une1-forme méromorphe quelconque non nulleω ∈MΩ(S), le Théorème de Poincaré-Hopf donne :

deg div(ω)

= 2genre(S)2 .

De plus, laréciprocité-dualité de Brill-Noetherénonce qu’à toute1-forme méromorphe non nulleω ∈MΩ(S)\{0}, ainsi qu’à toute décomposition de son diviseur comme somme de deux diviseurs quelconques :

div(ω) =D+E sont associés deux isomorphismes :

L(D)= ΩS div(ω)−D

et L div(ω)−D∼= ΩS(D), d’où découlent les deux égalités dimensionnelles :

`(D) = i div(ω)−D

et ` div(ω)−D

=i(D).

Enfin, on a deux observations élémentaires et si fondamentales qu’elles seront constam-ment utilisées.

Lemme d’annulation de`(D). Sur une surface de Riemann compacte S, toutes les fois qu’un diviseurD∈Div(S)est de degré strictement négatif :

degD 61,

l’espace associé de fonctions méromorphesL(D)se réduit à{0}:

`(D) = 0.

DÉMONSTRATION. En effet, s’il existait f L(D)non constante, satisfaisant donc

div(f)>−Dpar définition, le degré de son diviseur devrait être strictement positif :

deg div(f)

>deg −D

>1,

ce qui contredirait le fait que toute fonction méromorphe non constante : f ∈L(D)⊂M(S)

possède un diviseur qui est toujours de degré nul (autant de zéros que de pôles) : 0 =deg div(f)

,

ce qu’il fallait démontrer.

Lemme (dual) d’annulation dei(D).Sur une surface de Riemann compacteS, toutes les fois qu’un diviseurD∈Div(S)est de degré strictement supérieur à2g2:

degD>2g2 + 1,

alors l’espace associé de1-formes méromorphesΩS(D)se réduit à{0}: i(D) = 0.

DÉMONSTRATION. En effet, s’il existaitω S(D)non constante, satisfaisant donc

div(ω)>Dpar définition, le degré de son diviseur devrait être majoré par :

deg div(ω)

>deg(D)>2g2 + 1,

ce qui contredirait le Théorème de Poincaré-Hopf d’après lequel le diviseur de toute 1-forme méromorphe non nulle :

ω S(D) est toujours de degré :

deg div(ω)

= 2g2,

ce qu’il fallait démontrer. En fait, les deux lemmes sont équivalents entre euxviala dualité

de Brill-Noether (exercice).

§ 2. Le cas du genre0

Pour commencer, une application relativement simple du théorème de Riemann-Roch donne le :

Théorème.Toute surface de Riemann compacte S de genreg = 0est biholomorphe à la sphère de RiemannP1.

DÉMONSTRATION. Choisissons un point quelconquep∈Set considérons le diviseur : D:=p∈Div(S)

réduit à ce point, qui est effectif. Notons que, d’après la définition deΩS(E), on a pour tout diviseur effectifE >0l’inclusion automatique :

S(E)Ω(S), d’où au niveau dimensionnel et par hypothèse :

i(D) = dimS(D)6dimΩ(S) =g = 0.

L’égalité de Riemann-Roch donne alors :

`(D=p) = deg(D)−g+i(D)

+ 1 = 10 + 0 + 1 = 2,

donc L(D = p), qui contient toujours les fonctions constantes, contient alors aussi au moins une autre fonction méromorphenon constante, disons :

f: S −→P1.

Bien entendu, une telle f ne peut être holomorphe (sinon elle serait constante à cause du principe du maximum !), donc elle a un vrai pôle au point p qui est d’ordre 6 1 par définition deL(D =p), et de plus nécessairement d’ordre1, sinonf serait holomorphe, donc constante. Autrement dit, l’application holomorphe non constante entre surfaces de Riemann compactes :

f: S −→P1

est de degré topologique égal à1, ce qui implique qu’elle est localement biholomorphe en tout point, puis surjective, puis globalement biholomorphe (exercice mental de révision).

§ 3. Le cas du genre1

Dans un des chapitres qui précèdent, nous avons établi que tout tore complexe unidi-mensionnelC/Λ, quotient du plan complexeCpar un réseau quelconque :

Λ =Zω1+Zω2 126∈R),

peut être plongé dansP2(C)biholomorphiquement sur une certaine cubique lisse au moyen d’une application :

C −→P2 z 7−→

℘(z) : 0(z) : 1]

07−→[0 : 1 : 0]

qui s’exprime en termes de la fonction de Weierstrass associée au réseau. Maintenant, nous sommes en mesure d’établir un résultat plus général et plus abstrait, à savoir nous pouvons représenter toute surface de Riemann compacte de genre1comme cubique lisse dansP2, sans supposer au départ qu’il s’agisse d’un tore C; toutefois, dans la preuve, on s’inspirera du cas des tores pour imaginer les constructions.

Théorème.Toute surface de Riemann compacte abstraite S de genre1est biholomorphe à une certaine courbe algébrique complexe projective plane de degré3 géométriquement lisse dansP2(C).

DÉMONSTRATION. L’objectif est donc de construire une application holomorphe in-jective :

f: S−→P2(C)

dont l’imagef(S)est une courbe algébrique complexe lisse de degré3.

Lemme. Lorsque le genre de S est égal à 1, toute 1-forme holomorphe non nulle ω Ω(S)\{0}ne s’annule enaucunpoint deS:

ω(p)6= 0 ∀p∈S.

DÉMONSTRATION. En effet, comme la formule de Poincaré-Hopf donne :

deg div(ω)

= 2g2 = 22 = 0,

si la1-forme holomorpheω s’annulait en un point, elle devrait avoir un pôle en au moins

un autre point, contradiction.

Organisons les raisonnements en trois étapes.

Étape 1. Pour commencer, nous voulons construire deux fonctions méromorphes appro-priées :

x: S −→P1 et y: S −→P1,

fonctions qui coïncideraient avecet0dans le cas oùS =C/Λ, afin de s’en servir ensuite dans la définition du biholomorphisme désiré :

f: S −→P2 s 7−→

x(s) : y(s) : 1 .

Choisissons et fixons un point quelconquep∈Set considérons le diviseur : D:= 2p Div(S).

Alors le lemme d’annulation dei(D)établi dans la section précédente s’applique, puisque l’on a :

deg 2p

= 2 >2g−2 + 1 = 22 + 1, et il donne :

i(2p) = 0.

Ainsi la formule de Riemann-Roch montre que :

`(2p) =d−g+i(2p)

+ 1 = 21 + 0 + 1 = 2,

ce qui veut dire que L(2p), toujours de dimension > 1 car contenant les constantes, contient une fonction méromorphenon constante:

x: S−→P1

qui possède le pointpcomme unique pôle, d’ordre62par définition.

Assertion.Cette fonction méromorphex: S −→P1possède le pointpcomme unique pôle d’ordre exactement égal à2.

DÉMONSTRATION. Sinon, si ce pôle unique était d’ordre1, en prenant comme diviseur E :=p, la fonctionf appartiendrait à l’espaceL(E), mais pourE, on a encorei(E) = 0 (vérification en relisant ce qui précède), puis :

`(E) = deg(E)−g+i(E) + 1 = 1−1 + 0 + 1 = 1,

ce qui montre queL(E) = Cconsiste en les fonctions constantes seulement,

contradic-tion.

Ainsi, au voisinage du pointp, dans une coordonnée holomorphe locale centréet, on a un développement de Laurent :

x(t) = c2 t2 + c1

t +reste holomorphe, avec deux constantes complexesc2, c1 Ctelles quec2 6= 0.

Assertion.Dans toute telle coordonnée holomorphe locale, on a en faitc1 = 0.

DÉMONSTRATION. En effet, choisissons une 1-forme holomorphe non nulle ω Ω(S), qui, on l’a démontré, ne s’annule alors en aucun point de S, et considérons la 1-forme méromorphe produitx ω. Dans la coordonnée localet, on a ω = g(t)dt pour une certaine fonction-coefficient holomorphe satisfaisantg(0) 6= 0. Alors le théorème d’annu-lation de la somme des résidus pour les1-formes méromorphes donne :

0 =Resp x ω

=c1,

puisqu’il n’y a qu’un seul pôle.

Puisquec2 6= 0etc1 = 0, le changement linéaire de coordonnéz := tc2 normalise : x(z) = 1

z2 +h(z),

toujours avec une fonction-reste holomorphe h(z). Dans le cas d’un tore complexe C/Λ, on retrouve la partie principale z12 en0de la fonctionde Weierstrass.

Fixons une1-forme méromorphe non nulle : ω∈Ω(S)\{0}, et introduisons la fonction méromorphe :

y:= dx ω ;

on rappelle à cet effet que le quotient de deux1-formes méromorphes non nulles est tou-jours une fonction méromorphe (exercice de révision). Comme promis, on définit l’appli-cation :

f: S−→P2 s7−→

x(s) : y(s) : 1

si s6=p p7−→[0 : 1 : 0].

On vérifie (exercice) que cette application est une application holomorphe entre variétés complexes (holomorphes).

Étape 2. Le second objectif est de démontrer que l’image f(S) est contenue dans une certaine courbe algébrique complexe de degré3dansP2(C).

En tant qu’application deS à valeurs dansP1, la fonction méromorphe xa, d’après ce qui précède, un pôle d’ordre2au pointp:

x1() = 2p, donc son degré topologique vaut :

deg-top(x) = 2.

Puisque le degré topologique d’une application holomorphe : f: S −→S0

entre surfaces de Riemann compactes est, localement autour d’un points S, égal à sa multiplicité ens, donc égal par définition à son indice de ramification local augmenté d’une unité+1:

deg-tops(f) =νf(s) = 1 + #ramifications(f),

on déduit que l’indice local de ramification dexest toujours6 1en tout point. Autrement dit, les poids dudiviseur de ramificationdex:

Rx := X

sS νx(s)>2

νs(x)1

·s

sont tous égaux à1, et donc :

deg(Rx) = Card

points de ramifications dex . Or par ailleurs, la formule de Riemann-Hurwitz pourx:S −→P1 :

22genre(S) = deg-top(x) 22genre(P1)

deg(Rx), à savoir :

0 = 2·2deg(Rx)

montre que le degré de ce diviseur de ramification vaut4. Nous déduisons de tout cela que, outre le pointp, l’applicationx: S −→ P1 possède encore trois autres point supplémen-taires de ramification :

Rx=p1+p2 +p3+p,

tels quep1, p2, p3, psont tous distincts deux à deux. Posons alors : x(p1) =: a1, x(p2) =:a2, x(p3) =: a3.

Notation.Pour une fonction méromorpheα ou une1-forme différentielle méromorpheα, on note :

div(α)0 et div(α)

les diviseurs des zéros et des pôles deα(comptés avec multiplicités), de telle sorte que le diviseur total est leur différence :

div(α) =div(α)0 div(α) .

Maintenant, puisqueω∈Ω(S)n’a ni zéros ni pôles, les diviseurs des zéros et des pôles de la fonction méromorphey= dxω sont égaux à ceux de son numérateur :

div(y)0 =div(dx)0 et div(y)=div(dx).

Par conséquent, div(y)0 et div(y) ne peuvent contenir que les points où l’application x: S −→ P1 a un indice de ramification locale > 1, à savoir les quatre points p1, p2, p3,p.

Lemme.L’applicationy= dxω a comme diviseurs de zéros, de pôles, et diviseur total :

div(y)0 =p1+p2+p3, div(y)= 3p, div(y) =p1+p2+p33p.

DÉMONSTRATION. D’un premier côté, choisissons trois coordonnées holomorphes lo-caleszi (i= 1,2,3) aux voisinages despi qui sont centrées :

zi(pi) = 0.

Puisque la multiplicité dexenpivaut2, on a :

x−x(pi) =zi2hi(zi),

pour une certaine fonction holomorphe hi satisfaisant hi(0) 6= 0. Par différentiation, on calcule localement :

dx= 2zihi(zi)dzi+z2i h0i(zi)dzi

=zi 2hi(zi) +zih0i(zi) dzi,

et puisque la valeur enzi = 0de la fonction entre parenthèses est non nulle : 2hi(zi) +zih0i(zi)

0 = 2hi(0)6= 0,

on voit que chaquepi (i= 1,2,3) est un zéro simple dedx. Donc on a bien :

div(y)0 =div(dx)0 =p1+p2+p3.

D’un autre côté, reprenons la coordonnée holomorphe localez au voisinage du pointp dans laquelle :

x(z) = 1

z2 +h(z).

Évidemment,dxa un pôle d’ordre3enp, donc on a bien :

div(y)=div(dx) = 3p,

ce qui conclut.

Maintenant, avecai :=x(pi), introduisons le trinôme : g(x) := (x−a1)(x−a2)(x−a3), fonction méromorphe surP1, que l’on rapporte àSpar composition :

g x(s)

:= x(s)−a1

x(s)−a2

x(s)−a3

.

Puisquexest de multiplicité2enp1, p2, p3, p, on déduit (une justification suit) que :

div g◦x

0 = 2p1+ 2p2+ 2p3 et div g◦x

= 6p;

en effet, au voisinage depi(i= 1,2,3), on a :

x(zi)−ai =zi2hi(zi),

doncg◦xpossèdepi comme zéro d’ordre2, tandis qu’au voisinage dep, on a : x(z) = 1

z2 +h(z), donc chaque x(z)−ai

possèdepcomme pôle d’ordre2.

La cubique projective apparaît enfin.

Assertion.Quitte à multiplier la fonctionypar une constante complexe non nulle, on a : 0≡y2−g◦x

identiquement surS.

DÉMONSTRATION. En effet, on vient de calculer les diviseurs de g ◦x et dey2, qui coïncident, donc la fonction quotient yg2 est holomorphe, donc constante :

y2

g◦x =a C,

la constante a 6= 0 étant non nulle (exercice mental). Il suffit alors de remplacer y by

y

a.

Ainsi, les raisonnements qui précèdent ont montré que l’image : C:=f(S)

deSpar l’applicationf: S −→P2 est contenue dans la cubique projective plane : C :=

[x: y: 1]P2: y2−g(x) = 0

[0 : 1 : 0] .

On a déjà vérifié que le fait que les racinesa1,a2,a3 du trinômeg(x)sont distinctes assure que cette cubique est géométriquement lisse, donc est une surface de Riemann compacte (plongée dansP2).

Étape 3.Puisque l’on sait grâce aux premières leçons qu’une applicationf non constante entre surfaces de Riemann est surjective et ouverte, il suffit maintenant de démontrer quef estinjective.

À cette fin, introduisons l’involution : j: S−→S

q1 7−→q2 =j(q1) relative au revêtement à deux feuillets :

x: S −→P1,

qui échange les points de chaque fibre ; les quatre pointsp1, p2, p3, p sont alors les seuls points fixés parj, et on a bienj2 = Id. On vérifie (exercice recommandé) quej produit un automorphisme biholomorphe deS.

Ensuite, considérons les deux applications, notéesj, quejinduit par composition et par

« pull-back » sur l’espaceM(S)des fonctions méromorphes surSet sur l’espaceMΩ(S) des1-formes méromorphes surS. Puisquexprend tautologiquement les mêmes valeurs sur chacune de ses fibresx1 x(s)

, on a :

j(x) = x et j(dx) = dx.

Assertion.L’involution change le signe de la fonctiony= dxω : j(y) = −y.

DÉMONSTRATION. En effet, on a :

j(y) = j(dx)

j(ω) = dx j(ω), donc il suffit de voir quej(ω) =−ω. Mais puisque :

dimΩ(S) =g = 1, de telle sorte qu’en tant qu’espace vectoriel :

Ω(S)=C,

l’application linéaire unidimensionnelle induite j: C −→ C, gratuitement diagonale et satisfaisant :

j2

= j2

= Id, a comme valeurs propres+1et1, doncjω =±ω.

Si, par l’absurde,jω =ω, alorsω a les mêmes valeurs sur chacune des deux fibres de x:S −→P1, donc en dehors des points de ramification, on peut définir une1-formeϕsur P1telle que :

ω=ϕ◦x=x(ϕ),

et par élimination des singularités bornées, cette1-forme se prolonge à travers les quatre pointsa1, a2, a3,∞ ∈ P1. Mais alors nécessairement ϕ 0, puisque 0 = genre(P1) =

dimΩ(P1), ce qui contredit ω 6= 0, d’où comme souhaitéj(ω) = −ω et au finalj(y) =

−y.

Assertion.L’application :

f: S−→P2 s7−→

x(s) : y(s) : 1

si s6=p p7−→[0 : 1 : 0].

est injective.

DÉMONSTRATION. Soient donc deux pointsq1, q2 Sayant la même imagef(q1) = f(q2)parf, et montrons queq1 =q2. Tout d’abord, siq1 ouq2 est égal àp(le point utilisé au départ pour définir le diviseurD= 2p), alors :

f(q1) =f(q2) = f(p) = [0 : 1 : 0], d’oùq1 =q2 =ppuisque par définition def, on a visiblement :

f1 [0 : 1 : 0]

=p.

Donc nous pouvons supposer que niq1niq2 n’est égal àp, et dans ce cas, nos deux valeurs sont données par la formule :

f(q1) =

x(q1) :y(q1) : 1 , f(q2) =

x(q2) :y(q2) : 1 . L’égalité des valeursf(q1) =f(q2)revient aux deux égalités :

x(q1) = x(q2) et y(q1) =y(q2).

Supposons par l’absurde queq1 6=q2. Alorsx(q1) = x(q2)implique : j(q1) =q2,

d’où :

j(y)(q1) = y j(q1)

=y(q2).

Mais nous avons démontré quejchange le signe dey, d’où : j(y)(q1) =−y(q1) =−y(q2), ce qui donne en comparant :

y(q2) = −y(q2), à savoir :

y(q2) = 0.

Or nous connaissons les zéros dey:

div(y)0 =p1+p2+p3,

doncq2 est égal àp1, ou àp2, ou àp3. Mais ces trois points sont par construction fixés par l’involutionj, d’où :

q1 =j(q2) =q2,

ce qui contredit l’hypothèseq1 6=q2. Ainsi,f est bien injective.

Nous pouvons maintenant achever la démonstration du théorème comme attendu : l’in-jectivité def et sa surjectivité automatique due à la topologie générale assurent quef est bijective et biholomorphe deS sur son imagef(C), la cubique projective lisseC

d’équa-tion affiney2 =g(x), ce qui conclut.

§ 4. Applications canoniques

Notre prochain objectif est d’étudier les surfaces de Riemann compactes de genre supé-rieurg >2. En guise de préparation, nous présentons des considérations générales.

Évidemment, on s’attend à ce qu’il existe de très nombreuses applications d’une surface de Riemann compacte à valeurs dans les espaces projectifsPn de dimension quelconque.

Toutefois, pour toutes les surfaces de Riemann compactes de genreg >2, il existe de telles applications holomorphes à valeurs dansPg1et qui sont d’un type tout à fait particulier.

Définition.SoitSune surface de Riemann compacte de genreg >2et soit : ω1, . . . , ωg

une base de l’espaceΩ(S)des1-formes holomorphes surS. Alors l’application : ϕK: S −→Pg1

p7−→

ω1(p) : · · ·: ωg(p)

est appelée l’application canoniquede S. Plus précisément, en tout pointp S, siz est une coordonnée locale enpdans laquelle :

ω1 =f1(z)dz, . . . , ωg =fg(z)dz,

avec certaines fonctions-coefficients holomorphes f1(z), . . . , fg(z), l’application ϕK est définie par :

ϕK(p) =

f1 z(p)

: · · ·: fg z(p) .

On vérifie (exercice déjà vu) qu’à travers un changement de coordonnée holomorphe, les fonctionsf1, . . . , fg sont multipliées par un facteur holomorphe commun, donc cette défi-nition ne dépend pas de la carte choisie. Enfin, il est important et requis d’établir que cette application est bien définie, à savoir qu’en tout pointp∈S, lesg valeurs :

ω1(p), . . . , ωg(p)

6

= (0, . . . ,0)

ne sont pas toutes nulles. En effet, si, par contradiction, en un certain pointp∈S, on avait : 0 =ω1(p) =· · ·=ωg(p),

alors les deux espaces suivants de1-formes holomorphes : ΩS(D=p) = Ω(S) coïncideraient (exercice mental), et donc on aurait :

i(D =p) =i(D= 0) =dimΩ(S) =g.

Mais la relation de Riemann-Roch :

`(D=p) = 1−g+g+ 1 = 2

montrerait qu’il existe une certaine fonction méromorphenon constante: f: S −→P1

appartenant àL(D=p)donc ayant un pôle simple enp, cette application établissant alors un biholomorphismeS −→ P1, puisqu’elle serait de degré topologique :

deg-top(f) = #f1() = #{p}= 1,

ce qui contredirait l’hypothèse queg > 2. Ceci démontre que l’application canoniqueϕK est effectivement bien définie.

Proposition.L’imageϕK(S) Pg1 d’une surface de Riemann compacte S par son ap-plication canoniqueϕK: S −→ Pg1 n’est contenue dans aucun hyperplan projectif de Pg1.

DÉMONSTRATION. Sinon, s’il existait des constantes non toutes nullesλ1, . . . , λg C telles que l’on ait :

0 = Xg α=1

λαωα(p),

pour toutp∈S, ceci voudrait dire que nos1-formes sontlinéairement dépendantes: 0

Xg α=1

λαωα, en contradiction manifeste avec l’hypothèse que

ω1, . . . , ωg constitue une base deΩ(S).

Proposition. Sur une surface de Riemann compacte S de genre g > 2, s’il existe deux points distinctsp6=q∈Squi ont même image par l’application canonique :

ϕK(p) =ϕK(q), alors il existe une application holomorphe :

f: S −→P1

qui est de degré égal à2.

DÉMONSTRATION. L’hypothèseϕK(p) = ϕK(q)signifie que l’on a : ωα(p) = λ ωα(q) = 1···g),

pour un certain coefficient non nulλ∈C. Plus précisément, cela signifie qu’en termes de deux coordonnées holomorphes locales centréeszprès depetwprès deq, si on écrit :

ωα =fα(z)dz et ωα =gα(w)dw

= 1···g),

alors les valeurs aux deux points de référence sontλ-multiples : fα(0) =λ gα(0) = 1···g). Choisissons le diviseur :

D:=p+q,

et proposons-nous de calculer son indice de spécialitéi(D). Commençons par démontrer que :

S(p+q) = ΩS(p).

En effet, pour toute1-forme holomorpheω Ω(S)que l’on décompose selon la base : ω=

Xg α=1

µαωα αC)

on voit que :

0 =ω(p) ⇐⇒

Xg α=1

µαωα(p) = 0

⇐⇒

Xg α=1

µαλ ωα(q) = 0

⇐⇒ ω(q) = 0.

Ceci montre que :

S(p) = ΩS(p+q) = Ω(D).

Ainsi, pour calculeri(p+q), on se ramène à calculeri(p) =i(p+q).

Introduisons alors l’équation linéaire en les inconnuesλ1, . . . , λg C: λ1ω1(p) +· · ·+λgωg(p) = 0.

Nous savons qu’en tout point, donc en particulier au pointp, les 1-formes ω1, . . . , ωg ne peuvent pas être toute nulles. Donc cette équation linéaire possède exactement (g 1) solutions linéairement indépendantes(λ1, . . . , λg) Cd qui donnent naissance à (g 1) formes indépendantes dansΩ(p). Ainsi on a :

i(p+q) =i(p) =dimS(p) =g−1.

Maintenant, appliquons la relation de Riemann-Roch :

`(p+q) = 2−g+ (g1) + 1 = 2,

ce qui montre qu’il existe une application holomorphe non constantef ∈L(p+q): f: S −→P1.

Cette application ne peut satisfaire f1() = p ou f1() = q (avec multiplicité 1), sinon elle établirait un biholomorphisme deS sur P1, et S serait de genre0, ce qui n’est pas. Par conséquent :

f−1() =p+q,

donc l’applicationf est bien de degré topologique égal à2.

À cause de cette proposition, il est naturel de diviser l’univers des surfaces de Riemann compactes de genreg > 2 en deux classes exclusives, suivant qu’il existe (ou non) une application holomorphe de degré2à valeurs dansP1.

Définition.Une surface de Riemann compacteSde genre >2est appelée hyperelliptique s’il existe une application holomorphe de degré2deSà valeurs dansP1. Les autres surfaces sont appelées non-hyperelliptiques, et on va démontrer plus bas qu’elles sont nécessaire-ment de genreg >3.

Nous allons commencer par étudier l’application canonique : ϕK: S −→Pg1

dans le cas non-hyperelliptique, réservant la considération du cas hyperelliptique à la sec-tion suivante.

Définition.Soit S une surface de Riemann compacte non-hyperelliptique, donc de genre g >3. Alors son image :

ϕK(S)Pg1

par l’application canonique est appelée unecourbe canonique.

Proposition.SiSest une surface de Riemann compacte non-hyperelliptique, donc de genre g >3, alors son application canoniqueϕKest injective et elle établit un biholomorphisme deSsur son imageϕK(S)qui est une courbe algébrique complexe géométriquement lisse dansPg1.

DÉMONSTRATION. Par définition de la non-hyperellipticité, la proposition qui précède nous a déjà informé queϕK est nécessairement injective. Pour établir queϕK(S)est une courbe algébrique lisse, il suffit de montrer que la différentielle ϕK

deϕK ne s’annule en aucun point, car alorsϕK sera une immersion holomorphe injective, et grâce à la com-pacité deS, elle établira en fait un biholomorphisme deSsur son image lisse (exercice de révision).

Soit un point quelconquep S. Dans la démonstration de la proposition qui précède, nous avons déjà vu que :

dimS(p) =g−1.

Assertion.En doublant le diviseur, on perd seulement une dimension :

dimS(2p) =g−2.

DÉMONSTRATION. En effet, soitzune coordonnée locale centrée enp,i.e.satisfaisant z(p) = 0. Les éléments d’une base

ω1, . . . , ωg deΩ(S)s’écrivent alors : ωα =fα(z)dz = 1···g),

avec certaines fonctions holomorphesfα(z). Sachant queΩS(2p) Ω(S), toute1-forme ω∈S(2p)se développe selon cette base :

ω= Xg α=1

λαωα,

au moyen de certains coefficients complexesλα C. Au pointz(p) = 0, puisque ω a un zéro d’ordre>2, on a alors :

( Pg

α=1λαfα(0) = 0, Pg

α=1λαfα0(0) = 0.

Il suffit donc de montrer que ces deux équations linéaires enλ1, . . . , λgsont indépendantes.

Par contradiction, supposons qu’elles ne le soient pas. Autrement dit, supposons que : ΩS(2p) = ΩS(p),

d’oùi(2p) =i(p) =g−1, d’après ce qui a été vu dans la démonstration de la proposition qui précède. Le théorème de Riemann-Roch donne alors :

`(2p) = 2−g+ (g1) + 1 = 2.

Il en découle qu’il existe une fonction méromorphe surS non constantef ∈L(2p)ayant le pointp comme unique pôle d’ordre 6 2. Comme précédemment, ce pôle ne peut pas d’ordre1pourf enp, sinonC = P1, et on suppose depuis le début queg > 3. Qui plus est, si nous voyonsf comme une application holomorpheS −→P1, alors son degré vaut :

degf = 2,

ce qui contredit l’hypothèse que S est non-hyperelliptique. Donc f n’existe pas donc

`(2p) = 1, donci(2p) = 2g−2.

En définitive, nous avons montré que : 1 = dim Ω(S)

S(p)

et 1 =dimS(p)

S(2p) , et aussi que :

dimS(2p) =g−2.

Par conséquent (exercice), nous pouvons trouver une base

ω1, . . . , ωg de Ω(S) qui se développe au voisinage depdans la coordonnéez sous la forme :















ω1 =h1(z)dz, ω2 =zh2(z)dz, ω3 =z2h3(z)dz,

· · · · ωg =z2hg(z)dz,

avec certaines fonctions-coefficients holomorpheshα(z)satisfaisant : h1(0)6= 0 et h2(0) 6= 0.

Puisqueh1(0) 6= 0, en utilisant une primitive deh1 (exercice), on peut effectuer un chan-gement de coordonnée holomorphe qui rend h1 1. Notons toujours z cette nouvelle coordonnée. Alors au voisinage dep, l’application canonique devient :

ϕK(z) =

1 :zh2(z) : z2h3(z) : · · ·: z2hg(z) .

Mais alors la dérivée de la seconde composante : d(z h2(z))

dz

0

=h2(0) 6= 0

ne s’annule pas à l’origine, ce qui montre que la différentielle ϕK

ne s’annule pas au pointp. Puisque le point p S choisi au début de la démonstration était arbitraire, ceci

conclut la démonstration de la proposition.

§ 5. Surfaces de Riemann compactes hyperelliptiques

Il existe de nombreuses analogies et similarité entre les surfaces de Riemann compactes de genre1qui ont été étudiées au début de ce chapitre et les surfaces de Riemann compactes hyperelliptiques.

Théorème.Toute surface de Riemann compacteS de genreg > 2qui est hyperelliptique, à savoir sur laquelle il existe une application holomorphe :

x: S−→P1

dont le degré topopologique vaut2, peut être représentée comme la normalisée d’une cer-taine courbe algébrique complexe planeC P2 de degré(2g + 2). De plus, il existe des

dont le degré topopologique vaut2, peut être représentée comme la normalisée d’une cer-taine courbe algébrique complexe planeC P2 de degré(2g + 2). De plus, il existe des

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