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Le théâtre comme politique : théâtre d’agit-prop et théâtre prolétarien

Le théâtre populaire pendant les années 30 et les années 40 2.1 Le théâtre populaire vers la culture de masse des années 30

B. Le théâtre comme politique : théâtre d’agit-prop et théâtre prolétarien

Comme nous venons de l’annoncer avec les mots de Jessica Wardhaugh, une certaine frange du théâtre populaire a radicalisé son propos sous l’influence des évènements internationaux de cette époque : la guerre de 1914-1918 en premier lieu et deuxièmement la Révolution d’Octobre en Russie. Mais encore plus c’est la crise économique de 1929 ayant secoué les Etats-Unis d’abord et l’Europe ensuite, qui va contribuer à donner au mouvement théâtral d’abord une mission de service public où le souci d’efficacité sociale a tendance à l’emporter sur la technique et l’esthétique265.Les éléments de contexte politique, social et culturel à cette époque jouent effectivement un rôle majeur dans le milieu du théâtre. Philippe Ivernel écrit à ce propos :

Brecht note quelque part dans son Journal de Travail que le théâtre s’est renouvelé au XXe siècle dans quatre pays principalement ; que dans le premier, il s’était produit une révolution, dans le second une demi-révolution, dans le troisième, un quart de demi-révolution, et dans le quatrième, un huitième de révolution. Il s’agit, dans l’ordre, de l’URSS, de l’Allemagne, de la Tchécoslovaquie et des Etats-Unis266.

En 1930, résume encore Ivernel, « l’Union internationale du théâtre ouvrier » (UITO) est fondée à l’initiative des Allemands, des Français, des Tchèques, des Belges et des Soviétiques,

« constatons que cette carte du renouvellement théâtral recoupe, grosso modo, celle de l’extension maximale de l’agit-prop267».

Pour revenir plus directement au cas français, que nous observons toujours en regard de celui de la Chine, pendant les années 1930, dans un contexte politique international étroitement lié, les théâtres populaires chinois et français ont commencé à présenter des

264 “While successive governments are seeking to create a national popular theatre for docile republican citizens alternative groups are drawing on; or partisan sympathies to appeal to narrower and often more subversive peoples: Breton or Provencal, anarchist or socialist, Catholic or royalist, They are weaving art into politics and politics into daily life as never before, turning to theatre to imagine their ideals and to create hubs of community, militancy, and belonging. For each of these groups, popular theatre is a means of exploring what community could—and should—become in the age of masses.

Popular theatre offers a unique insight into political communities in both theory and practice. The imagined, theoretical construction of the masses as ‘the people’, whether on stage or in the public space, was of inescapable importance across Europe in the years 1870-1940, as war and revolution tore apart nations and empires and radically redrew mental and physical boundaries. It was in the people that leaders, movements, parties, and nations sought ideological coherence, legitimacy, and support”, Jessica Wardhaugh, Popular Theatre and

Political Utopia in France, 1870-1940: Active Citizens, London, Palgrave Macmillan, 2017, p. 2.

265 Michel Fauré, Le Groupe Octobre, Paris, Christian Bourgois Editeur, 1977, p.15.

266 Philippe Ivernel, « Introduction générale » à Théâtre Années Vingt Le théâtre d’agit-prop de 1917 à 1932, Tome I, Lausanne, L’Age d’Homme, 1977, p. 15.

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caractéristiques similaires. Ainsi, la Chine et la France ont été touchées, même si de manière très différente, par la révolution soviétique. En France, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le mouvement ouvrier et le Parti communiste français se mirent en quête de modes d’expressions artistiques inédits, en adéquation avec une période historique dominée par le traumatisme de la guerre et le rayonnement de la révolution russe. Des formes dramaturgiques émergent alors qui reprennent à leur compte un certain nombre de préceptes issus du théâtre ouvrier socialiste et anarchiste d’avant-guerre, tout en revendiquant une singularité, un engagement et un côtoiement de l’effervescence révolutionnaire sans précédent268. En même temps, la Chine a connu un mouvement de masse et la popularisation du théâtre dans la culture de Yan’an, ainsi que le mouvement de popularisation des lettres et des arts évoqué par la gauche pendant les années 30, comme nous le verrons dans les chapitres qui vont suivre. Pour mieux comprendre le lien entre la Chine et la France pendant cette période sous l’influence du mouvement d’agit-prop, il est donc nécessaire de revenir à leur source, l’URSS, afin de trouver les similarités et les différences du théâtre d’agit-prop, ainsi que la transformation du théâtre populaire dans ce contexte.

Rappelons d’abord le processus de développement de l’agit-prop en URSS, car il concerne directement notre sujet. Selon le découpage chronologique établi encore par Ivernel et le collectif de travail qui a travaillé dans les années 1970 sur ce sujet, le théâtre d’agit-prop connait trois phases nettement distinctes : 1917-1921 (explosion), 1921-1926 (restriction et approfondissement) 1927-1932 (réactivation et extinction)269. En 1920, le Théâtre d’Art commence à s’orienter vers un théâtre populaire, « ouvert et accessible à tous270». Entre 1932 et 1934, une nouvelle période s’ouvre, marquée par un changement de stratégie politique et de stratégie culturelle, dans l’histoire du communisme. Il suffit de consulter, pour observer ce tournant, les premiers bulletins de l’ « Union internationale du théâtre révolutionnaire », qui a remplacé l’ « Union internationale du théâtre ouvrier ». L’avènement du réalisme socialiste en 1934 marque la fin de ce mouvement. Le discours tenu par Jdanov devant le premier congrès de l’ « Union des écrivains soviétiques » est suffisamment clair à cet égard271. En 1934, Jdanov, ministre de la Culture, exposa puis codifia le « réalisme socialiste », terrible credo

268Cf. Léonor Delaunay, La scène bleue Les expériences théâtrales prolétariennes et révolutionnaires en France, de la Grande Guerre au Front populaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 9-10.

269 Ces trois phases correspondent sommairement à celles du communisme de guerre, de la NEP (nouvelle politique économique entre 1921 et 1928), et enfin de l’installation progressive de la société stalinienne à travers l’exécution du premier plan quinquennal. Cf. Philippe Ivernel, Théâtre Années Vingt Le théâtre d’agit-prop de 1917 à 1932, op.cit., p. 15.

270 Michel Fauré, Le Groupe Octobre, op.cit., p.15.

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stalinien où des écrivains devenaient « des ingénieurs de l’âme humaine272 ». Nous constatons un point de lien : la création littéraire et dramatique en Chine pendant cette période est influencée par le réalisme socialiste et nous le montrerons dans la deuxième partie consacrée à la Chine.

Le théâtre d’agit-prop, sous l’influence du mouvement prolétarien et de l’action antifasciste, était en revanche inadéquat à cette ligne « réaliste » imposée par Jdanov et Staline. Regardons d’abord la définition du théâtre d’agit-prop : « le théâtre d’agit-prop est un théâtre de situation, voué à l’improvisation. Rien ne le définit mieux que l’exigence de variabilité, de mobilité, d’élasticité, qui garantit le contact dialectique avec les événements sociaux273». Ensuite, observons ses caractéristiques esthétiques « marxistes», sa mission de « lutte des classes » et son caractère d’« avant-garde » : le primat de la politique, nous indique encore Ivernel, « détache l’art de l’agit-prop de la tradition esthétique, en particulier hégélienne » :

L’esthétique hégélienne, qui imprègne fortement tout un courant marxiste dont Lukàcs est le meilleur représentant, vise toujours la clôture organique de l’œuvre par fusion de la forme et du contenu. Maxime Vallentin, dans la contribution déjà citée à la Linkskurve, s’en prend de front à cette esthétique hégélienne lorsqu’il écrit : « Les formes prolétariennes révolutionnaires de nos troupes d’agit-prop résultent du contenu prolétarien révolutionnaire de lutte de classe, comme la forme d’une machine résulte de sa fonction et des matériaux disponibles (au lieu de venir en sus, tel un élément indépendant, pour ensuite « fusionner »). Dans la même direction, Tretiakov en URSS, Brecht ou Benjamin en Allemagne substituent la triade matériel/technique/fonction à la dialectique de la forme et du contenu, qui aboutit toujours à isoler l’ « œuvre » du réel en offrant à la contemplation le spectacle de sa prétendue suffisance. C’est dans ce champ rénové que se produit la rencontre – capitale – entre le courant agit-prop et ce qu’il est convenu d’appeler les avant-gardes274.

C’est évidemment un point essentiel pour comprendre l’incompatibilité entre le mouvement d’agit-prop et le « réalisme socialiste ». Ivernel approfondit ensuite son analyse, en indiquant de quelle manière la voie de l’agit-prop offre une possibilité de « révolution permanente » et « une source de de nouvelles pratiques sociales », où les spectateurs populaires peuvent devenir réellement acteurs :

Le primat de la politique- ou plutôt du politique- peut lui-même s’entendre de deux façons, et toute l’ambiguïté (jamais totalement résoluble in concreto) du théâtre d’agit-prop vient de là. Tantôt, il s’agit d’utiliser l’art et la culture comme les instruments d’une politique, au risque de ne plus avoir entre les mains qu’un théâtre de parti ou d’Etat, habillant de vêtements plus ou moins bigarrés un discours parfait - c’est-à-dire parfaitement préfabriqué. Comme le dit Pia Le Moal dans son étude, « Le Parti (et il faudrait ajouter l’Etat) stipule un univers d’où le manque, l’imparfait sont exclus », sauf rhétoriquement bien entendu. Or ce manque, cet imparfait désignent justement la place en creux de l’auto-activité, sans laquelle le théâtre d’agit-prop est condamné à reproduire des mots d’ordre et des slogans décrétés ailleurs.

272 Michel Fauré, Le Groupe Octobre, op.cit., p.19.

273 Philippe Ivernel, Théâtre Années Vingt Le théâtre d’agit-prop de 1917 à 1932, op. cit., p. 22.

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Tantôt il s’agit au contraire de concevoir le travail d’agitpropisation comme la source de nouvelles pratiques sociales, impliquant une refonte non seulement de l’art et de la culture, mais aussi de la politique. Dans un domaine comme dans l’autre, on tendra à surmonter le divorce entre la production et la consommation, à organiser la capacité d’intervention et de création du « public » et des « masses », pour que de spectateurs ils deviennent acteurs. Le théâtre d’agit-prop, pour autant qu’il lance cet appel à la productivité du public et des masses (appel reléguant au second plan la problématique esthétisante de l’identification et de la distanciation) devient alors un moyen de révolutionnarisation permanente. Et c’est bien ce qui, finalement, parait digne d’être retenu de ce mouvement historique des années 1917-1932 : l’apparition – partielle, fragile, mais enfin l’apparition – de la classe des exploités et des opprimés, sur la scène de l’art et de la culture comme sur la scène de la politique. Fièrement, une recommandation aux prolétaires qui constituent les troupes d’agit-prop dit : vous n’avez pas besoin de jouer, il vous suffit d’être. Les meilleurs moments de ce théâtre d’agit-prop, en effet, sont bien les moments de naïveté au meilleur sens du terme, les moments où à travers l’inexpérience même s’affirme, collectivement, une nouvelle classe. Naturellement275.

La question du théâtre d’agit-prop et de son croisement avec le théâtre d’avant-garde, nous intéresse particulièrement aussi parce que l’influence du théâtre de Brecht en Chine, qui va devenir le symbole de l’avant-garde pour les metteurs en scènes chinois pendant les années 80 et 90 quand la réception et l’interprétation des ouvrages occidentaux arriveront avec un temps de retard, en coïncidence avec la politique culturelled’ouverture à l’étranger sous la direction de DENG Xiaoping, nous ramène à cette jonction indiquée par Philippe Ivernel.

Il nous paraît en effet de retrouver cette même jonction aussi dans le contexte de la pratique du théâtre d’agit-prop et du théâtre de masse en Chine, pendant les années 30 et 40, et cela malgré la forte influence soviétique. De même que dans le théâtre d’agit-prop en URSS à ses débuts, on y retrouve peut-être celle que Ivernel encore appelle « la forme la meilleure, la plus efficace du théâtre ouvrier révolutionnaire », qui offre « la possibilité d’amener de larges couches de travailleurs à collaborer à la rédaction, à l’élaboration artistique et à la représentation de pièces politico-révolutionnaires276». Dans le contexte révolutionnaire et de guerre de cette époque, les troupes d’agit-prop chinoises, elles aussi, « utilisent à leur fins propagandistes l’entreprise, la rue, les places, la salle de brasserie, le café, et se servent pour leur travail de toutes les variétés d’art scénique : revues politiques, déclamations de masse, scènes courtes, etc.277 ». Tous ces caractères et ces formes de représentation de ce théâtre pendant la guerre sont reprises par les metteurs en scène chinois influencé par le courant d’avant-garde et Bertolt Brecht dans la création des pièces contemporains depuis les années 80 jusqu’à nos jours. Ce phénomène nous interroge sur notre sujet majeur : si la représentation d’avant-garde apparaît dans la pratique du théâtre

275 Ibid., p. 23. Avec le terme “auto-activité” se réfère notamment aux théories de Platon Kerjentsev à propos d’un théâtre ouvrier, amateur et, justement « auto-actif », qu’il expose dans son Le Théâtre Créateur, publié en 1922.

276 Ibid., p. 14-15. 277Ibid., p. 15.

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prop, du théâtre de masse et du théâtre populaire, est-ce que la forme du théâtre d’avant-garde permet de réaliser la popularisation du théâtre non seulement en temps de guerre mais aussi de nos jours ? Dans le contexte commercial chinois depuis les années 90 jusqu’à nos jours, le théâtre a trouvé sa valeur sur le marché en tant qu’expression de nouvelles formes d’« avant-garde », avec des metteurs en scènes qui reprennent des éléments du théâtre d’agit-prop dans les petits théâtres (par exemple, WANG Chong et ses séries de pièces 2.0).

En effet, en étudiant les courants du théâtre dans l’histoire, comme le souligne encore Ivernel, « il est même difficile de dire exactement, tout compte fait, laquelle influence l’autre, l’agit-prop l’avant-garde, ou l’avant-garde l’agit-prop278» ? Est-ce qu’il y a un lien entre le théâtre d’agit-prop et la création du théâtre populaire dans la pensée de Bertolt Brecht des années 30 jusqu’aux années 50 et 60 ? Rappelons encore la définition du théâtre populaire de Roland Barthes : « le théâtre populaire est celui qui obéit à trois obligations concurrentes, dont chacune prise à part n’est certes pas nouvelle, mais dont la seule réunion peut être parfaitement révolutionnaire : un public de masse, un répertoire de haute culture, une dramaturgie d’avant-garde279». Et pourtant, quand la « révolution brechtienne » a été lancée en France grâce à la revue Théâtre Populaire (1953-1964), pourquoi les intellectuels de cette revue seront en pleine polémique vis-à-vis du concept même d’avant-garde ? Quelles sont les influences réciproques du théâtre d’agit-prop, du théâtre d’avant-garde et du théâtre populaire des années 50 jusqu’à nos jours? Ces interrogations nous occuperont dans les chapitres suivants, lorsqu’il sera question notamment de la pensée de Roland Barthes.

278 Ibid., p. 19.

279 Roland Barthes, « Pour une définition du théâtre populaire », PUBLI 54, juillet 1954, in Roland Barthes Ecrits sur le théâtre, textes réunis et présentés par Jean-Loup Rivière, Paris, Editions du Seuil, 2002, p. 99.

95 C. La pratique théâtrale du Groupe Octobre

Dans le contexte révolutionnaire dont nous avons parlé, nous allons essayer de répondre aux questions posées ci-dessus par un exemple concret qui a été influencé par le mouvement d’agit-prop en URSS, par la pratique dadaïste et par l’avant-garde de Bertolt Brecht en Allemagne280: Jacques Prévert et le Groupe Octobre en France.

Avant de présenter le travail de ce groupe, il faut exposer les liens des courants de la pensée artistique et révolutionnaire circulant entre l’URSS, l’Allemagne et la France. Le Groupe Octobre a en effet subi l’influence du « dynamisme révolutionnaire soviétique »281. Pour présenter cette influence de manière rapide, citons quelques noms connus: à Moscou, le travail de Maïakovski et celui de Meyerhold font écho à ceux de Piscator et de Brecht en Allemagne, et à la vague expressionniste. Erwin Piscator fait partie aussi pendant un moment des dadaïstes allemands : « leur mouvement provocateur, contestataire et spontané rompait radicalement avec l’art bourgeois et commercial282 », observe à ce propos Michel Fauré. 1920 est l’année qui marque aussi l’apogée de Dada à Paris. Ce qui comptait pour Dada, « c’était, par-delà le spectacle et le texte, de retrouver l’essence même du théâtre : la communication collective283». Nous observons aussi la trace de ce mouvement dans l’esprit révolutionnaire en Allemagne. Voici la situation de ce pays, telle que la résume Philippe Ivernel :

A cette époque, qui correspond à celel de la révolution allemande, le Parti communiste allemand fait alors obstacle aux tentatives de bouleversements de l’art et de la culture. Dans la Rote Fahne, Gertrud Alexander défend les positions traditionnelles de la social-démocratie qu’elle a pourtant quittée, et qui croisent l’orthodoxie avec le révisionnisme. L’orthodoxie veut qu’à l’heure du combat les muses se taisent ; le révisionnisme, que l’art et la culture surplombent l’histoire, au nom de l’humanisme éternel. Toujours dans la Rote Fahne l’organe officiel du Parti, Auguste Thailheimer entreprend l’apologie de l’héritage culturel et dénonce la collusionde la bourgeoisie décadente et des vandales de l’ultra-gauche284.

Or, malgré cette ferme opposition, à l’intérieur du Parti communiste allemand, aux formes nouvelles proposées par le courant « avant-gardiste », en juin 1924, un appel est lancé pour créer un « groupe communiste des artistes » : « Le Groupe Rouge » qui « veut rendre plus efficace la propagande par les moyens de l’écriture, de l’image et de la scène ». Mais les travaux du « Groupe Rouge » deviennent « de plus en plus difficiles au fur et à mesure de la

280 Cf. Michel Fauré, Le Groupe Octobre, op.cit., p.17-21.

281 Ibid., p.17.

282 Ibid., p.21. Voir aussi le mouvement du théâtre politique et les activités théâtrales sous l’influence des dadaïstes et de Bertolt Brecht et d’Erwin Piscator, p.24-31.

283 Ibid., p.44.

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progression d’Hitler vers le pouvoir 285 ». Même si le « Groupe Rouge » n’est pas essentiellement théâtral, nous pouvons le considérer comme le précurseur du « Groupe Octobre » français qui se constituera dès l’avènement de l’hitlérisme286.

Avant la création du Groupe Octobre, la troupe Prémices est fondée en 1927 pour présenter le travail théâtral d’amateurs. Elle est dirigée par trois instructeurs, Etienne Decroux et Jean Dorcy pour l’expression corporelle, et Roger Legris pour l’expression orale, ce dernier étant le maître absolu du travail effectué à Prémices en ce qui concerne le découpage des textes et la mise en scène. Les textes présentés par cette troupe avaient une grande valeur poétique et Legris les rendait propres à la déclamation orale par une série d’arrangements personnels. En mars 1932, dix membres abandonnent la troupe sous l’influence du théâtre d’amateurs en Allemagne, ainsi que de celle des troupes d’agit-prop luttant contre le nazisme. Ils pensaient participer « à l’agitation ouvrière, aux meetings populaires, à l’action politique et non plus se contenter de la recherche esthétique287 ». Ils créent alors le « Groupe de choc Prémices » qui s’intéresse au théâtre social et dont les dix membres sont les personnes suivantes: Suzanne Montel, Raymond Bussières, Virginia Gregory, Ida Lods (devenue Ida Jamet), Jean Loubès, Arlette Loubès, Gisèle (devenue Gisèle Prévert), Jeanne Chauffour (devenue Jeanne Fuchsmann), Lazare Fuchsmann, Louis Félix288. A la fin du mois d’avril 1932, cette troupe s’élargit avec les nouveaux venus, Jacques Prévert, Lou Tchimoukow, Jean-Paul Le Chanois, Paul Grimault, Jean Brémaud, J-B Brunius289. Le groupe se donne une nouvelle identité en se baptisant Groupe Octobre, pour exprimer « l’esprit d’Octobre », « l’ambiance dynamique » et « l’enthousiasme collectif »290.

Selon Madeleine Rebérioux, le Groupe Octobre connaît ses plus belles années entre 1933 et 1934. En 1935, d’importantes difficultés financières commencent déjà à le mettre en crise, mais c’est à la fin de l’été 1936, qu’il disparait pour des raisons essentiellement politiques : il meurt à cause de la nouvelle stratégie adoptée par le Parti Communiste Français qui prône une attitude moins agressive afin de favoriser l’union de la gauche, une attitude qui favorisera le succès électoral du Front populaire291. Madeleine Rebérioux en présente ainsi les caractères :