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Avant d’entrer dans notre sujet, nous avons besoin de connaitre la situation générale de la recherche sur le théâtre français en Chine. Dans ce milieu, GONG Baorong signale que « les chercheurs ont tenu compte de la présentation et de l’étude du théâtre français dont les théories, les courants, les dramaturgies et les pièces connues sont abondamment traduites. Par exemple, la farce du Moyen Age, le drame au XVIIe siècle, « le genre sérieux » de Diderot au XVIIIe siècle, l’art romantique de Victor Hugo du XIXe siècle, le Théâtre du peuple de Romain Rolland du début de XXe siècle et le théâtre de l’absurde de Ionesco, etc. » Mais, GONG Baorong pense qu’il y a deux problèmes qui constituent également des difficultés dans la recherche théâtrale en Chine :

Le premier vient de ce que la recherche se base sur une étude de la littérature, car beaucoup de chercheurs considèrent que le théâtre est une branche des lettres et se limitent dans leurs études à l’analyse des pièces de Corneille, de Racine et de Molière etc… strictement dans le cadre de la recherche littéraire. C’est une méthode de recherche qui concerne surtout le théâtre classique, mais aussi le théâtre moderne et contemporain. Il manque de véritables études théâtrales, qui prennent donc pleinement en compte la nature scénique du fait théâtral, parce qu’on a négligé les événements théâtraux en eux-mêmes, le travail concret des artistes, des acteurs et des metteurs en scène.

Le deuxième problème vient de ce que la recherche s’arrête généralement aux années 60 du XXe siècle, après l’introduction de la dramaturgie du théâtre de l’absurde. Encore une fois

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parce que les études théâtrales demeurent influencées par la littérature et, de ce fait, les pièces contemporaines ne correspondent plus aux soi-disant critères classiques des lettres. Un véritable fossé se creuse entre les deux visions de l’histoire du théâtre en France et en Chine. C’est pour cette raison qu’il y a un retard de pensée et de méthodes dans la recherche par rapport au milieu des études théâtrales à l’étranger64.

Les phénomènes indiqués plus haut marquent la limite de la recherche sur ce sujet en Chine. D’après nos observations, il y existe trois tendances :

1. Une étude autochtone (au sens à la fois « folklorique » et « national ») sur les activités des arts et des lettres sous l’influence de la politique concernant , par exemple, les mouvements de masse, la culture populaire, le théâtre populaire et son rapport avec les paysans, etc. Sur ce point, les chercheurs travaillent dans le contexte de la langue chinoise exclusivement65.

2. Une étude occidentale et surtout française est présentée par des chercheurs qui ont une formation de langue française et qui travaillent sur l’histoire du théâtre français. Dans ce contexte, on n’obtient qu’une connaissance générale sur le théâtre populaire, par exemple, par les travaux de LIU Minghou ou GONG Baorong qu’on a cité dans notre thèse66.

3. Une étude comparative qui essaie de connecter les deux contextes des paragraphes 1 et 2. C’est ce qu’on a appelé « la rencontre tardive » entre la France et la Chine. Cette étude se traduit par un ensemble d’échanges et de communications en France, surtout grâce au récent travail conjoint de Christian Biet et de Wang Jing67,

64 Voir GONG Baorong, Cent ans de théâtre français (1880-1980), op.cit., p.5.

65 Par exemple, voir les travaux publiés pendant ces dix dernières années comme : CHEN Qijia, Croix des spectateurs : la culture chrétienne et la littérature populaire contemporaine chinoise, op.cit., et l’autre ouvrage de CHEN Qijia, La critique à la limite. L’Art et lettres de gauche et la littérature populaire, op.cit. Voir aussi l’ouvrage de SUN Bai, « Peuple, Rural, Populaire. Une piste du mouvement théâtral des dix années récentes », in A la recherche de la multitude. Critiques théâtrales dans les contextes socio-culturels contemporains, Pékin, Maison d’Edition du Théâtre chinois, 2015, p. 116-125. Voir aussi les articles : JIANG Ji, « Le théâtre du peuple introduit une problématique, une étude sur le ‘Questionnaire du théâtre du peuple’ des années 1930. », op.cit., p.50-61. Et l’article de XIONG Qingyuan, « La transformation du chant et de la danse au théâtre : La forme politique des pièces Yangge—la rénovation artistique de la pièce Défricheur Fraternel », Etude d’art et des lettres, n°11, 2018.

66 Par exemple, les ouvrages cités plus haut comme : LIU Minghou, Le Théâtre français du XXe siècle, op.cit. Et les travaux de GONG Baorong : Cent ans de théâtre français (1880-1980), op.cit. Le Théâtre au long de la Seine : la recherche des courants théâtraux français du XXe siècle, op.cit. De la terre sauvage à la cuisine et la salle de bain, Le Théâtre français après la tempête de Mais 68, op.cit.

67 En France, pendant ces dernières années, les échanges de la recherche sur le théâtre contemporain sino-français présentent des travaux enrichissants, comme ce que nous avons indiqué précédemment : la colloque international consacré au « Théâtre de langues chinoises, perspectives contemporaines », qui lieu à Paris du17 au 19 décembre 2014, et notamment deux publications qui l’ont précédé et suivi : Christian Biet, Wang Jing (dir.),

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ainsi qu’à des échanges effectués en Chine, notamment les récentes conférences et publicatons de Marco Consolini. Sous sa direction, nous souhaitons nous inscrire dans cette ligne, en essayant de réaliser une étude véritablement comparative. Sur la base des matériaux que nous avons étudiés, le professeur de l’Université Renmin de Chine, CHEN Qijia, a présenté récemment un travail théorique en analysant globalement et systématiquement les théories occidentales autour du théâtre populaire68.

Dans notre étude, nous essayons donc de présenter les grandes étapes du théâtre populaire en France, en espérant que ce point de vue historique fasse connaître les racines du théâtre populaire français, afin de créer un premier lien entre les deux pays dans un contexte global. Cette dimension historique est le premier axe de notre travail. Elle est constituée et développée en trois perspectives principales : les événements historiques fondamentaux; la pensée et la pratique des figures du théâtre populaire ; l’exploitation des recherches et des références disponibles en France, mais presque totalement inconnues en Chine.

Concernant les événements historiques fondamentaux, pour la France, nous essayons de présenter les épisodes significatifs de l’histoire du théâtre populaire français, car en Chine, le contexte historique de ce théâtre a été peu étudié. Nous avons présenté celui du théâtre populaire de la fin du 19ème siècle, en passant par les années de la politique culturelle du Front populaire (1936-1938) et le mouvement du théâtre d’agit-prop et du théâtre prolétarien des années 30, l’organisation « Jeune France » (1940-1942) pendant l’occupation sous Vichy (1940- 1944), et en poursuivant par la politique de « service public » des années 50 et par le mouvement de la décentralisation théâtrale des années 50 et 60.

Pour la Chine, nous essayons de présenter les événements culturels, sociaux et politiques marquants de l’histoire du théâtre populaire chinois : le Mouvement de la Nouvelle Culture au début du XXe siècle ; la politique « Popularisation des arts et des lettres » pendant les années 30 dans le contexte de la lutte antifasciste et de la guerre sino-japonaise. L’Ecole d’art de LU Xun (1938-1945) et la Réunion des arts et des lettres à Yan’an (2 mai-23 mai 1942) des Scènes chinoises contemporaines, Théâtre Public, n°210 octobre-décembre 2013 et Christian Biet, Wang Jing (dir.), Théâtres de langues chinoises perspectives contemporaines, Revue d’Histoire du Théâtre, n°271 juillet-septembre 2016.

68 Voir CHEN Qijia, « Esprit des lumières et le Théâtre Populaire », op. cit. p. 1-36. Dans la préface, CHEN Qijia donne ainsi son avis sur les caractéristiques du théâtre populaire chinois qui combine les analyses théoriques occidentales (voir le quatrième point 4.1-4.3 de la préface): 4.1 le théâtre populaire comme moyen de transformer et d’éduquer la foule (hua da zhong de da zhong xi ju) et il cite l’exemple de Copeau et des Copiaus ; 4.2 le théâtre de la classe populaire (da zhong de da zhong xi ju) et il évoque l’exemple soviétique et les théoriesde Meyerhold ; 4.3 le théâtre populaire de la dialectique (bian zheng de da zhong xi ju) et il présente la théorie de Brecht.

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années 40 ; le conflit politique « Anti-droitiste » (1957) et le mouvement du « Grand Bond en Avant de la littérature et de l’art » (1958) des années 50 ; la création des « Huit pièces modèles » pendant la Grande Révolution Culturelle (1967-1977).

Concernant la pensée et la pratique des figures du théâtre populaire, nous choisirons les figures qui sont le plus représentatives, en analysant leurs ouvrages et leurs pensées autour de la notion de théâtre populaire: Maurice Pottecher, Firmin Gémier, Jacques Copeau, Romain Rolland, Jacques Copeau, Jean Vilar, Roland Barthes. Ainsi les pensées et les pratiques des figures chinoises autour du théâtre populaire : les fondateurs de la Compagnie Chun Liu, les intellectuelles autour de la revue Nouvelle Jeunesse (1915-1916), l’appel théorique de la Compagnie du peuple, ainsi que les actions et les réflexions de figures comme QU Qiubai, XIONG Foxi, etc.

Concernant les recherches et les références disponibles seulement en France, en raison de l’absence d’échanges théoriques nourris sur le sujet qui nous intéresse entre les deux pays, nous essayons de présenter une étude qui tienne compte donc surtout des sources peu, voire nullement connues en Chine. C’est, nous l’espérons, un autre point fort de notre travail, qui veut se mettre au service de la connaissance réciproque entre France et Chine, dans le domaine de l’histoire du théâtre.

Effectivement, comme le théâtre parlé est un moyen de propagande depuis sa naissance en Chine, il entretient une relation étroite avec la littérature moderne chinoise, dont les lettres sont dominées par les écrivains de gauche, sous la tutelle du PCC. C’est pour cette raison que nous avons choisi la recherche de sources littéraires et théoriques concernant ces figures d’intellectuels dont la pensée théâtrale n’a pas été beaucoup développée, tout en ayant été bien connus en Chine, mais davantage par leur identité « philosophique » ou par leur prétendu rattachement au courant « marxiste ». En revanche, ce sont les recherches théoriques dans le domaine des études théâtrales qui ont connu le plus de développements récemment en France, notamment dans les cas de Romain Rolland et de Rolland Barthes. Pour réaliser ce travail de recherche sur des de sources mal connues, nous avons choisi de nous concentrer sur les revues théâtrales françaises et chinoises. Du côté français, nous avons étudié deux revues théâtrales qui ont joué un rôle central dans les débats de leurs époques : la Revue d’Art Dramatique et

Théâtre Populaire. Du côté chinois, nous avons examiné le cas de la revue Nouvelle Jeunesse

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Mais notre recherche s’est nourrie aussi, bien évidemment, d’une série de références bibliographiques, historiques et théoriques, sino-françaises, en espérant de contribuer à remplir un certain nombre d’espaces manquantes entre la Chine et la France.

Du côté chinois, fondamentale a été la consultation des trois volumes du Document

historique des cinquante ans du mouvement de théâtre parlé chinois, publiés entre 1958 et

196369, ainsi que celle d’ouvrages plus récents concernant l’histoire du théâtre chinois comme le livre collectif dirigé par GE Yihong, ou les ouvrages de FU Jing70, ainsi que les travaux déjà cités de LIU Minghou et GONG Baorong. Autre source très importante à signaler, concernant les pièces-modèles, l’ouvrage de SHI Yonggang et ZHANG Fan, à mettre en relation tant avec les ouvrages concernant l’histoire de l’Opéra de Pékin, qu’avec ceux concernant la Révolution Culturelle en général71.

Du côté français, la liste est bien plus longue : citons le livre panoramique contenant un texte synthétique mais très complet de Pascal Ory : Théâtre citoyen. Du Théâtre du Peuple au

Théâtre du Soleil72, l’anthologie de textes éditée par Chantal Meyer-Plantureux73, ou encore l’essentiel ouvrage collectif en quatre volumes consacré à la Décentralisation théâtrale dirigé par Robert Abirached74, ainsi que le plus récent Théâtre populaire et représentations du peuple, dirigé par Marion Denizot75. Ensuite les recueils d’articles de Bernard Dort76, les monographies consacrées à Jean Vilar et au Festival d’Avignon77, et à bien d’autres moments du théâtre populaire au XXe siècle78.

69 Le document historique des cinquante ans du mouvement de théâtre parlé chinois, vol. 1-3, Pékin, La Maison d’Edition du Théâtre chinois, 1958-1963.

70 GE Yihong (dir.), L’histoire théâtrale chinoise, Pékin, Edition de l’art et la culture, 1997 ; FU Jing, L’histoire du théâtre dans la Chine nouvelle, Changsha, Edition d’art de Hunan, 2002 et L’Histoire du Théâtre Chinois au XXe siècle, 2 vol., Pékin, La Maison d’Edition Socio-science chinois, 2017.

71 SHI Yonggang, ZHANG Fan, L’histoire des pièces modèles, Pékin, L’Edition d’Auteur, 2009 ; L’histoire de l’opéra de Pékin, vol. I, Institut des Etudes d’art de Pékin, Institut des Etudes d’art de Shanghai (éd.), Pékin, Maison d’Edition du Théâtre Chinois, 2000 ; LI Song, L’histoire chronologie de l’opéra modèle chinois du Révolution Culturelle, vol. I, 1963- 1966, Maison d’Edition XiuWei, 2011.

72 Pascal Ory, Théâtre citoyen. Du Théâtre du Peuple au Théâtre du Soleil, op. cit. Du même auteur, à signaler également la monographie sur le Front Populaire, La Belle illusion, op. cit.

73 Chantal Meyer-Plantureux, Théâtre populaire, enjeux politiques, op. cit.

74 Robert Abirached (dir.), La Décentralisation théâtrale, op. cit.

75 Marion Denizot (dir.), Théâtre populaire et représentation du peuple, op. cit.

76 Bernard Dort, Théâtre public, 1953-1966, Paris, Le Seuil, 1967 ; Théâtre réel, Paris, Le Seuil, 1971 ; Théâtre en jeu, Paris, Le Seuil, 1979.

77 Parmi les nombreux titres, citons: Emmanuelle Loyer, Le théâtre citoyen de Jean Vilar, op. cit., et Emmanuelle Loyer, Antoine de Baecque, Histoire du Festival d’Avignon, Paris, Editions Gallimard, 2007.

78 A signaler en particulier, dans ce groupe de références, l’ouvrage consacré aux rares expériences agit-prop en France : Léonor Delaunay, La scène bleue. Les expériences théâtrales prolétariennes et révolutionnaires en France, de la Grande Guerre au Front populaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.

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D’ailleurs, nous avons suivi également les activités de recherche du Groupe de Recherche Interuniversitaire sur les Revues de Théâtre (GRIRT) et notamment la journée d’études organisée par Marco Consolini, Marion Denizot et Pascale Goetschel sur « Les revues et les journaux de la décentralisation théâtrale (1945- fin du XXe siècle) » (le 23 juin, 2017, Salle Athéna, Maison de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3)79 ; ainsi que le séminaire annuel du même groupe de recherche.