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II. Idées directrices

3. Territoire, proximité et concurrence territoriale

On assiste à une propagation des notions de territoire et de développement territorial, aussi

bien dans les discours politiques que scientifiques (Jean, 2006). Cette réussite est

certainement due au fait que ces notions retranscrivent relativement bien l’espace comme un

construit multidimensionnel, social et historique. « Les territoires sont ainsi des entités socio

spatiales en lien avec les activités humaines et ils reflètent une démarche de construction

politique » (Jean, 2006). De plus, les crises successives du fordisme, du keynésianisme, et

d’une certaine façon de l’Etat-nation, ont ouvert la voie à un consensus bâti autour de

l’échelon local. δ’espace est alors perçu comme lieu d’échanges, créateur de lien social, ou

encore comme réceptacle de spécificités qui représentent autant d’atouts ouvrant des

perspectives de développement endogène, et permettant de se prémunir dans un contexte de

concurrence globale.

δorsque l’on parle de développement territorial, le territoire en est à la fois le produit et

l’enjeu. Il est à la fois initial et élaboré. C’est en ce sens que la littérature distingue souvent le

territoire donné du territoire construit (Pecqueur, β005). Pourtant, l’un ne peut se défaire de

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Candau, F. (2008). Entrepreneurs' location choice and public policies : A survey of the new economic geography. Journal of Economic Surveys, 22(5), 909-952.

l’autre. δe territoire va au-delà des simples faits économiques, c’est un construit social reposant

aussi bien sur des conditions objectives que des représentations symboliques (Gagnon, 2003)59. Il

renvoie à une certaine relation entre l’espace et la société, ce qui par définition, lui donne son

identité. La notion de territoire renvoie également à une certaine temporalité, les territoires ont

une histoire et s’inscrivent dans un espace-temps (Jean, 2002)60.

δe territoire se distingue de la notion d’espace, neutre et abstraite, par sa capacité

d’appropriation qui le rend, dès lors, unique et différencié par son identité et les pratiques qui

s’y appliquent. Pour Veltz (1996), si au niveau macro régional, les inégalités entre les

territoires ont tendance à diminuer (homogénéisation, tertiairisation…), ces inégalités

réapparaissent au niveau micro, notamment communal, et se matérialisent notamment sous la

forme d’un dualisme intra et extra métropolitain.

La notion de territoire peut prendre une multitude de définitions. Friboulet (2010)61 considère

ainsi que le territoire a de multiples composantes : politique, économique, naturelle, culturelle.

Ainsi, pour devenir un élément clé du développement, le territoire doit être pris en compte

dans sa multi-dimensionnalité.

Le territoire est désormais considéré comme un construit social, il est multidimensionnel

(économique, politique, social, environnemental). Il s’agit d’un ensemble d’acteurs qui

interagissent dynamiquement dans le but d’atteindre un objectif de développement. δe

territoire n’est pas neutre, et l’introduction de cette notion d’espace identifié permet de passer

d’une analyse universelle à une analyse particulière. Selon l’échelle territoriale, et les

caractéristiques du lieu étudié, les règles universelles deviennent particulières.

De plus, en économie, la notion de territoire fait souvent écho à la proximité

organisationnelle, aux réseaux et aux milieux innovateurs qui nécessitent une certaine culture

locale partagée et non reproductible. Le territoire permet une proximité géographique et

organisationnelle entre ses différents acteurs. Cette proximité que l’on retrouve par exemple

dans les districts industriels, est favorable au développement local. De plus, le territoire est

souvent perçu, d’une certaine manière, comme la concrétisation des projets et des

comportements des acteurs locaux. C’est en ce sens que l’on parle de territoire de projets.

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Gagnon, S. (2003). L'échiquier touristique québécois. PUQ. 60

Jean, Y. 2002. La notion de territoire : entre polysémie, analyses critiques et intérêts. In Jean, Y., & Calenge, C. (Eds.), Lire les territoires. Presses universitaires François-Rabelais. doi :10.4000/books.pufr.1774

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Friboulet, J. J. (2010). La construction de l'attractivité: une analyse en termes de capacité. Mondes en développement, (1), 11-26.

δe territoire encourage la conciliation d’une proximité géographique et d’une proximité

organisationnelle. « La notion de proximité s’inscrit dans une conception de la réalité

économique comme de la réalité sociale (au sens de Bourdieu), essentiellement relationnelle.

Elle renvoie à la fois à la séparation, économique ou géographique, des acteurs (individuels

ou collectifs, détenteurs de ressources différentes et aux relations qui les rapprochent (et/ou

les éloignent) dans la résolution d’un problème économique (production d’un bien,

innovation technologique..) » (Gilly et Torre, 2000)62.

Pour endogénéiser l’espace, et le territoire, il convient de ne pas en faire un postulat de base,

mais plutôt d’analyser les différentes façons dont la proximité peut se révéler. En effet, la

notion de proximité peut être déclinée sous diverses formes : géographique, institutionnelle,

organisationnelle, territoriale ou encore technologique.

Avec la baisse des frontières, les choix de localisation des entreprises ne sont plus uniquement

soumis à des logiques étatiques. Dès lors, dans ce contexte de concurrence territoriale, les

métropoles ont commencé à faire naitre des stratégies de marketing territorial visant à

promouvoir leur image, à en mettre en lumière les caractéristiques fortes leur permettant de

bénéficier d’une certaine unicité. Ces stratégies mettent en avant les conditions

d’accessibilité, le dynamisme local, la qualité de vie, les infrastructures ou encore la culture.

En effet, chaque année, des bureaux d’expertise spécialisés (Ernst & Young…) sont chargés

d’étudier les territoires en s’attachant à certains critères, concernant notamment l’attractivité.

Les différents pays, régions ou territoires sont ainsi classés en fonction de « leur capacité à

fournir, grâce à leurs ressources, des conditions d’implantation plus intéressantes que celles

des territoires concurrents pour les projets mobiles »(Hatem, 2004a)63. La compétition entre

les régions pour attirer les entreprises est plus féroce que jamais, la crise économique ayant

montré un renforcement de la tendance déjà marquée de globalisation. En effet, pour attirer

des entreprises, les collectivités locales sont prêtes parfois à surinvestir dans certaines

infrastructures ou biens publics.

Cette concurrence entre collectivités publiques est un thème relativement récent de la

littérature alliant économie publique locale et microéconomie industrielle et mettant en scène

un jeu de négociations entre un acteur privé et plusieurs collectivités locales qui

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Gilly, J. P., & Torre, A. (2000). Proximity relations. Elements for an analytical framework. Industrial networks and proximity, 1-16.

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surenchérissent, laissant ainsi l’entreprise libre d’effectuer son choix de localisation en

fonction des conditions financières les plus avantageuses et des infrastructures qui lui sont

proposées.

Ainsi le modèle Zodrow- Mieszkowski (1986)64 met en avant le fait que les décideurs locaux

non coopératifs d’une collectivité à l’autre maximisent le bien-être de leurs concitoyens

locaux sans tenir compte des effets externes (positifs ou négatifs) engendrés par leurs

décisions locales. Ces décideurs sont dits « bienveillants » à l’égard de leurs populations dans

la mesure où chacun cherche à maximiser le bien être local en fournissant un niveau de bien

public le plus élevé possible, financé par un impôt sur le capital. Le capital étant mobile, cet

impôt influencera son choix de localisation. Une hausse de cet impôt conduira dès lors à une

délocalisation du capital, ce qui représente dès lors une externalité positive pour le reste des

collectivités qui voient alors leur stock de capital local augmenter. Keen et Marchand (1997)

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se sont intéressés au lien existant entre la fiscalité et les infrastructures. Ils montrent que

dans un contexte de concurrence fiscale, une hausse des dépenses publiques dans les

infrastructures attire le capital, ce qui n’est pas le cas lorsque l’on augmente le nombre de

biens publics fournis. En effet, ils considèrent que la charge fiscale pèse surtout sur les

facteurs non mobiles (comme les travailleurs non qualifiés) alors que cette dépense en

infrastructures profite surtout au facteur le plus mobile : le capital. Cette concurrence en

dépenses peut donner lieu à un niveau d’infrastructures trop important pour la zone et à

l’inverse à un déficit dans les biens publics. Or, on ne peut ignorer qu’à l’heure actuelle, les

collectivités locales sont particulièrement endettées et que, dans le contexte actuel de crise et

de restrictions des dépenses budgétaires, ces collectivités vont être amenées à assainir leurs

comptes et à dépenser de façon plus réfléchie et plus durable. Il convient d’aller vers un

développement pertinent, cohérent et permettant une soutenabilité économique, sociale et

environnementale. Or au-delà de s’inscrire dans un simple espace, cette soutenabilité s’inscrit

dans un territoire particulier. Il convient donc de faire la distinction entre espace et territoire.

δa métropolisation n’est pas un phénomène qui s’applique uniquement à l’organisation

interne de la ville centre, mais qui transforme également les rapports de la ville avec les

territoires. Ces rapports s’articulent autour des flux et de la mise en réseau des territoires,

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Zodrow G., Mieszkowski P., 1986, Pigou, Tiebout, property taxation and the underprovision of local public goods, Journal of Economics, vol 19, issue 3, p356-370.

65

Keen, M., & Marchand, M. (1997). Fiscal competition and the pattern of public spending. Journal of public economics, 66(1), 33-53.

nommée « interterritorialité » par Vanier (2008)66. Cette interterritorialité repose sur les

territoires vécus, les mobilités, et davantage de continuité territoriale que n’en offrent les

limites territoriales politiques.