CHAPITRE 2 : DES ATOUTS DES TERRITOIRES NON MÉTROPOLITAINS AUX
II. δes nouveaux territoires de l’action publique : la quête des territoires d’action pertinents
2. La construction métropolitaine face au défi de la coopération
δ’aménagement du territoire et ses stratégies ont largement évolué en France au cours de ces
dernières décennies. δes raisons sont liées, aussi bien au contexte économique et social, qu’au
contexte politique, avec une accentuation de la décentralisation et de l’autonomie des
différents échelons locaux. δa construction métropolitaine a été l’un des changements
majeurs du paysage politico-territorial, et l’enjeu de son efficacité est considérable. En effet,
cette construction, pour être efficiente et optimale, se doit de relever le défi de la coopération
des acteurs qui en constitue l’un des leviers de réussite. En effet, on ne peut pour l’étude de ce
phénomène se limiter à une approche spatiale, l’appropriation locale de la métropole est
nécessaire pour se diriger vers une métropole « rassemblée » résultant d’une construction
sociale et visant à développer l’attractivité de l’ensemble des territoires.
La problématique de la gouvernance métropolitaine, et son articulation avec les différents
acteurs territoriaux est plus que jamais d’actualité. Si la théorie a déjà abordé cette question à
travers le courant réformateur (Wood, 1959)157et l’école des Public Choice (Tiebout, 1956 ;
Ostrom, Tiebout & Warren, 1961)158, aucun consensus n’a été trouvé, les propositions
offertes restant trop « normatives » et « adossées à des modèles théoriques guère fondés
empiriquement » (Arab, 2012)159. Pour autant, la capacité des acteurs locaux à mener
collectivement une action est toujours au cœur des préoccupations, et la construction
métropolitaine continue à soulever bien des questions, tant théoriquement que politiquement.
157
Wood, R. C. (1959). Suburbia: Its People and Its Politics. Houghton Mifflin. 158
Ostrom, V., Tiebout, C. M., & Warren, R. (1961). The organization of government in metropolitan areas: a theoretical inquiry.
American political science review, 55(4), 831-842.
Ces courants théoriques se sont intéressés conjointement à la gouvernance métropolitaine à travers notamment le caractère démocratique des décisions qui y sont prises et la recherche d’efficacité économique. Pour autant, les propositions organisationnelles qu’ils font sont à distinguer.
En effet, le courant réformateur, populaire dans les années 60-70, tient à l’intégration d’une action commune au sein des métropoles grâce à un gouvernement propre à l’échelon métropolitain. δa mise en place d’un gouvernement métropolitain unissant la ville centre et les communes périurbaines, basé sur la solidarité et le partage des coûts, serait pour eux la solution la plus pertinente. En effet, ils considèrent la multiplicité des autonomies locales et l’éclatement institutionnel comme responsables d’externalités négatives comme par exemple la difficulté à créer sur l’espace métropolitain une offre de services homogène et unifiée (Douay, 2010). Cette vision progressiste a été appliquée en France à travers les Communautés de Communes, les Communautés d’agglomération ou plus récemment avec les intercommunalités qui représenteraient ainsi la clé d’un nouveau régionalisme.
A l’inverse, l’école des Public Choice considère que cet éclatement institutionnel, et cette concurrence entre communes, est ce qui rend les métropoles efficaces. Pour eux, cet d’éclatement institutionnel est perçu comme un polycentrisme organisé et rationnel (δefevre, 1995). Ils rejettent l’idée d’un gouvernement métropolitain qui n’appellerait qu’à davantage de bureaucratie et de coûts. La régulation de la métropole doit se faire naturellement, grâce au marché, même si elle est créatrice d’inégalités entre les communes qui la composent.
159
Arab, N. (2012, November). La construction métropolitaine au défi de la coopération entre acteurs publics locaux. In Gouverner la métropole: pouvoirs et territoires, bilans et directions de recherche.
δa création des métropoles d’équilibre, dans les années 60, avait initialement pour vocation
de faire contre poids face à la prédominance de la métropole parisienne, et de viser à une
consolidation de l’ossature urbaine à travers l’ensemble du territoire français. Au fil du temps
et des politiques de décentralisation, les collectivités territoriales ont endossé de plus en plus
de charges liées au développement et à l’aménagement du territoire. La concurrence entre les
territoires, les spécificités de ces derniers, leur localisation géographique, ou encore le
contexte politique local (historicité et efficacité des coopérations, implication des élus,
influence au niveau national…), sont autant de raisons qui ont donné naissance à des
situations diversifiées au sein des métropoles françaises.
δ’Etat a néanmoins conservé un rôle décisif dans les stratégies de développement des
territoires grâce à deux leviers fondamentaux : « l’implantation d’équipements structurants et
la création de cadres institutionnels facilitant la coopération des acteurs décentralisés »
(Blondel et al., 2007)160. δe rôle de l’Etat s’illustre donc à travers la mise en place
d’infrastructures et d’équipements à vocation métropolitaine (aéroports, centres de
recherche…). On peut par exemple citer le projet Euralille, le musée Beaubourg à εetz,
l’Ecole Nationale Supérieure à δyon, ou encore le soutien de l’Etat161 à EADS pour avoir
choisi Toulouse comme lieu d’assemblage del’Aγ80.
Au fil du temps, les métropoles d’équilibre ont laissé place à la coopération métropolitaine et
au partenariat. De plus, la complexité des questions d’ordre public et la montée en puissance
des échelons locaux sont autant d’arguments qui poussent encore davantage les collectivités
vers cette nécessaire coopération, dans l’intérêt général.
δa loi εAPTAε a défini le rôle des métropoles et leur a donné un statut, dans l’idée de
traduire politiquement et institutionnellement, le phénomène de métropolisation urbaine déjà
à l’œuvre dans la quotidienneté des acteurs. δa métropole est, non seulement le moteur, mais
également l’emblème, d’une croissance régionale. Elle permet aussi d’adjoindre de façon plus
intégrée des compétences économiques, sociales, environnementales, ou encore urbaines dans
une volonté de partager et de mutualiser les ressources. Si les métropoles ont mis du temps à
être formellement définies, cela n’a pas empêché le développement d’actions collectives en
leur sein.
160
Blondel, C., Demazière, C., Hernandez, F., Carrière, J. P., Thibault, S., Barbou, P., ... & Serrano, J. (2007). Enjeux de
coopération métropolitaine au sein de l’Aire Ligérienne. Etude thématique des coopérations existantes dans l’aire ligérienne. Direction Régionale de l'Equipement de la Région Centre.
161
Grâce à une mobilisation des collectivités décentralisées et des CCI pour faire une proposition rapide d’offre foncière nécessaire aux besoins de l’entreprise ou encore à la participation de l’Etat aux négociations visant à compenser les élus dont les communes étaient situées sur la zone concernée.
Alors que l’objectif ultime de compétitivité et d’attractivité des territoires est avéré, la mise en
place de coopérations peut néanmoins s’heurter à des difficultés politiques ou techniques, et
la démarche s’avérer moins évidente que prévue. δe groupement des communes en
intercommunalités a vocation à leur conférer des fonctions dites « métropolitaines »,
néanmoins le périmètre et les ressources sont encore parfois, à cette échelle, trop restreintes
pour envisager certains investissements : grands équipements sportifs et culturels, campagne
nationale de promotion touristique du territoire… C’est en ce sens que la coopération au
niveau de la métropole est nécessaire et complémentaire, que ce soit dans une logique de
mutualisation, ou de spécialisation à travers une répartition des tâches (Blondel et al, 2007).
Cette coopération métropolitaine s’exerce à différents niveaux, que ce soit, par exemple, les
transports, la recherche ou encore, évidemment le développement économique.
La question des transports est un véritable enjeu en matière de cohésion territoriale,
d’accessibilité et de mobilité. δes métropoles se doivent de prendre en compte ce domaine
afin d’être dans une démarche territoriale inclusive. δa métropole Aix εarseille a ainsi fait de
la problématique des transports sa thématique principale. En effet, il est du devoir des
métropoles de s’assurer de la fluidité de la mobilité au sein des aires urbaines, pour répondre,
par exemple, aux problèmes d’engorgement des centres en assurant une offre pertinente de
transports en communs, en développant les structures intermodales, ou encore en promouvant
des modes de transport plus doux (comme le vélo par exemple). Il s’agit également d’assurer
les conditions de mobilité entre les différentes aires, grâce à un maillage de transport efficace
sur l’ensemble du territoire (train, autoroute), et avec le reste du monde en facilitant l’accès
aux niveaux européens et internationaux (LGV, aéroports). Cette problématique du transport
s’inscrit dans une réflexion élargie sur la cohésion et la cohérence. En effet, le développement
métropolitain doit être pensé en cohérence avec le reste du territoire et intégré dans une
dimension régionale. C’est en ce sens que Toulouse εétropole a signé un « Pacte Territorial
». Ce pacte entend positionner la métropole « non pas comme une île de croissance au milieu
d’un territoire fragile mais comme un moteur de l’ensemble du Grand Sud »162. Dans cet
esprit, les métropoles de Toulouse et Montpellier ont signé en 2016 un accord de coopération,
dans le but de travailler conjointement au développement des territoires, et de s’employer à
faire rayonner les deux pôles dans le cadre de la nouvelle grande région Occitanie. Ils se sont
ainsi engagés, par exemple, à mener des actions communes en matière de développement
économique, de tourisme, de transport… Ils se sont également engagés à
favoriser le dialogue entre les différents acteurs des deux territoires, comme cela a par
exemple était le cas sur la question du numérique dans le cadre de la French Tech qui a
vocation à accélérer et faciliter le développement des startups à travers les territoires en
France. Dans le cadre de ce Pacte Territorial, un accord a également été signé avec les Pays
des Portes de Gascogne (regroupant 170 communes du Gers) dans l’objectif de faire profiter
les territoires de proximité du dynamisme métropolitain comme le montre le schéma 2.1
représentant le Pacte Territorial et disponible sur le site de Toulouse métropole. Ce contrat
entre ville et campagne a été lancé à titre expérimental
Schéma 2.1 : Représentation du Pacte Territorial de Toulouse Métropole
Néanmoins, en matière de transport, on peut énoncer deux limites en termes de coopération.
δa première est directement rattachée aux théories de l’économie géographique. En effet, par
définition le transport est non coopératif dans la mesure où, théoriquement, une baisse du prix
des transports est à l’origine des phénomènes d’agglomération. Dès lors, le rôle des transports
n’œuvre pas en faveur d’un développement territorial équilibré et dispersé. δa deuxième
limite réside dans la « loi du bitume » énoncée par Duranton et Turner (2011)163 qui montrent
que les métropoles auront toujours du mal à lutter contre le phénomène de congestion. En
effet, ils montrent que chaque kilomètre de route supplémentaire qui est construit est
immédiatement congestionné. Ainsi, l’augmentation de la capacité routière fait ressurgir et
stimule une demande cachée (le trafic résidentiel, commercial et les migrations augmentent)
et, de fait, ne permet ni l’amélioration du réseau routier, ni de résoudre les problèmes de
congestion liés à l’étalement urbain et détourne très peu le trafic des autres axes.
δa place de la recherche, et de fait de l’innovation, est également devenue un enjeu central
dans le développement de la coopération métropolitaine. En effet, la notion de compétitivité
est directement reliée à ces questions, et le niveau d’excellence et de rayonnement de cette
recherche est, pour tous, un indicateur du caractère métropolitain d’un espace (Blondel et al,
2007). Depuis 20 ans, on a pu constater une implication croissante des collectivités
territoriales dans le domaine de la recherche notamment à travers les Contrats de Plan
Etat-Région (CPER). Ainsi, le CPER de Midi-Pyrénées 2015-2020 consacre tout un volet à
l’enseignement, la recherche et l’innovation à travers les articles 10,11, 1β et 1γ qui prévoient
de moderniser et d’adapter le patrimoine universitaire, de renforcer l’excellence scientifique
de Midi-Pyrénées en investissant dans des équipements scientifiques, de développer les
logements étudiants ou encore de soutenir les acteurs du transfert de technologie. La
dynamique d’un territoire est, aussi bien définie par la qualité de fonctions productives, que
par le niveau d’excellence de son offre de formation et de recherche scientifique. Renforcer
les liens entre la métropole et le monde universitaire est un moyen de développer l’attractivité
du territoire de demain, c’est en ce sens que Toulouse εétropole a collaborativement instauré
un Pacte Université Recherche Innovation.
Enfin, la collaboration s’exerce évidemment également au niveau du développement
économique qui reste l’un des enjeux principaux. δa réalisation de cette coopération s’articule
notamment autour des pôles de compétitivité en encourageant les réseaux d’entreprises à
mutualiser certaines fonctions (achats, laboratoires de recherche…), mais aussi en renforçant
l’insertion des pôles sur le territoire grâce au transport, au haut débit… Certains freins
peuvent néanmoins persister, comme le fait que ces pôles soient à vocation industrielle alors
163
Duranton, G., & Turner, M. A. (2011). The fundamental law of road congestion: Evidence from US cities. The American
que l’économie française est aujourd’hui majoritairement tertiaire, ou encore le fait que les
échanges d’informations avec les partenaires sont confrontés aux limites de la confidentialité
de nombreux protocoles de production. Pour autant, la métropole toulousaine a su nouer des
liens étroits avec le tissu économique de son territoire comme en témoigne le Pacte signé avec
le groupe Airbus en β016. Airbus structure l’économie de la région et de la métropole en
employant plus de 27 000 collaborateurs uniquement au sein de cette dernière, et plus de 50
000 sur l’ensemble de la filière régionale. Dans ces conditions, la métropole se devait de faire
preuve de coopération avec un acteur aussi important du développement local, afin d’asseoir
durablement sa position dans le développement du territoire. La métropole, dans un souci de
collaboration, se doit de renforcer le partenariat déjà existant et de rester à l’écouter du leader
aéronautique quant à ses besoins, aussi bien en capital humain, que de promotion de la filière
et de son rayonnement international, d’aménagement territorial, ou encore d’environnement
industriel et d’innovation. C’est en ce sens que le Pacte Airbus entre la métropole le groupe
Airbus a été conclu. Dans un contexte de concurrence accrue entre les territoires, Toulouse
métropole a consolidé et développé les avantages comparatifs qui soutiennent son
développement économique, notamment au regard des carnets de commande d’Airbus qui
contraignent l’entreprise à accélérer ses cadences de production, nécessitant de fait l’appui de
l’ensemble de la chaine de production répartie sur le territoire régional. Les actions de la
métropole, à travers ce pacte, sont, aussi bien en faveur du développement des transports
permettant un meilleur accès aux sites de production (transports en commun, intermodalité,
navettes intra sites en cohérence avec le réseau public…), que de la mise en place de
formations adaptées aux besoins en compétences avec la création du futur Campus de métiers,
de l’accompagnement dans la recherche de logements et les démarches administratives et
scolaires des nouveaux salariés d’Airbus, ou encore de la tenue de congrès d’envergure
internationale sur l’aéronautique. Cette collaboration métropolitaine en matière de
développement économique s’illustre également dans des projets moins institutionnalisés
comme Occitanie Coopération, un réseau régional multi acteurs de coopération et de
solidarité internationale regroupant des adhérents de tous bords : secteur public, associatif,
milieu économique.
Si nous avons mis en avant les efforts de collaboration des métropoles sur de nombreux
domaines d’action, cela confirme bien l’idée de Vanier (β008) selon laquelle
l’interterritorialité est l’une des conditions nécessaires à l’action métropolitaine. Ainsi, « la
politique de l’action indépendante à une culture de l’action collective organisée en contexte
polycentrique » (Arab, 2012). Le défi principal de cette collaboration réside dès lors pour les
territoires, dans leur capacité à envisager de nouvelles formes de coordination, moins
hiérarchiques et plus opérationnelles. Alors que les territoires infrarégionaux présentent des
diversités de structures, de natures et des spécificités propres, cette barrière ne semble pas être
un frein à une vision convergente de l’action commune portée, par ce que certains auteurs
nomment, les « entrepreneurs métropolitains » (Arab et Lefeuvre, 2011)164 et qui « inventent
la métropole procédurale » (Lefeuvre, 2012)165. Si ces managers métropolitains occupent
généralement des postes au sein des collectivités locales, intercommunales ou associations,
sociétés d’économie mixte, agences d’urbanisme ou d’institutions consulaires, ils ne se
contentent pas d’agir au sein des différentes logiques d’action, mais plutôt de participer
quotidiennement à l’émergence de nouvelles formes et pratiques de coopération entre
institutions (Arab et Lefeuvre, 2011). Dès lors, on comprend bien que le développement de la
collaboration métropolitaine suggère de dépasser les pratiques traditionnelles, pour adopter de
nouveaux comportements, portés par la croyance d’une efficacité de l’échelon métropolitain.
δe périmètre de la métropole est en perpétuel mouvement. δ’action collective et la
collaboration ont vocation à réduire cette incertitude. Dès lors, les acteurs de cette action et les
relations informelles qu’ils arrivent à tisser ont une importance cruciale et donnent tout son
sens à la notion de « construction métropolitaine ». Considérer la métropolisation comme un
processus dynamique permet pour Arab (β01β) d’ouvrir « la voie à l’exploration des
apprentissages collectifs et organisationnels et renforce l’intérêt d’étudier l’action des
acteurs qui portent ces changements dans le cours de l’action ».
Pour les territoires non métropolitains, la mise en avant de leurs atouts propres et la nécessité
de réussir à articuler des territoires d’actions pertinents répond à un objectif commun : la
valorisation et le développement de l’attractivité.
164
Arab, N., & δefeuvre, ε. P. (β011). Des cadres territoriaux au cœur des coopérations institutionnelles: les «entrepreneurs
métropolitains». Politiques et Management public, 28(4), 339-415.
165
Lefeuvre, M. P. (2012). Quand les managers publics locaux inventent la métropole procédurale. Espaces et sociétés, (1), 177-194.