CHAPITRE 2 : DES ATOUTS DES TERRITOIRES NON MÉTROPOLITAINS AUX
I. Les avantages des territoires non métropolitains
1. Le rôle des ressources naturelles
2.1. Coûts de la main d’œuvre, coûts d’ajustement et appariement
Si les coûts de la main d’œuvre sont moins importants en zone non métropolitaine, tout
comme les coûts d’ajustement, à l’inverse, l’appariement y est plus difficile. Cette faiblesse
des coûts représente l’un des leviers des zones rurales pour attirer les entreprises et encourager
leur localisation hors de la zone métropolitaine.
En effet, les zones rurales bénéficient d’une main d’œuvre certes moins qualifiée mais
également à bas salaires. En effet, de nombreuses études ont montré la relation qui pouvait
exister entre la taille du marché et le niveau de rémunération. Plusieurs arguments sont
avancés (Blanc et al, 2003)119. Tout d’abord, la relation positive qui existe entre la densité
d’emplois et la productivité a été montrée (Ciccone et Hall, 1996)120. Ensuite, Abdel-Rhaman
et Fujita (1990)121 montrent que, dans la fonction de production qui caractérise les
entreprises, plus le nombre de spécialisations intégrées est important, plus les rendements sont
croissants. Ainsi, plus le marché du travail est grand (et compte de spécialisations), et donc de
facto métropolisé, plus la productivité est importante, et donc les salaires. Enfin, Thisse et
Zenou (1995)122 proposent un modèle de concurrence spatiale dans lequel les entreprises se
différencient par les spécialisations qu’elles cherchent au sein de la main d’œuvre, et les
salariés par celles qu’ils possèdent individuellement. δes auteurs montrent qu’en cas d’une
répartition homogène des spécialisations dans l’espace, la hausse des salaires est conjointe à la
hausse de la densité d’entreprises qui se font vivement concurrence pour attirer les salariés qui
correspondent à leurs besoins.
119
Blanc, ε., Cahuzac, É., & Tahar, G. (β00γ). εode de gestion des flux de main d'œuvre par les firmes: les differences urbain -rural. Revue d’Économie Régionale & Urbaine, (5), 853-869.
120
Ciccone, A. and Hall R.E. (1996). Productivity and the density of economic activity. American Economic Revie, 86(1):54–70.
121
Abdel‐Rahman, H., & Fujita, M. (1990). Product variety, Marshallian externalities, and city sizes. Journal of regionalscience, 30(2), 165-183. 122
Thisse, J. F., & Zenou, Y. (1995). Appariement et concurrence spatiale sur le marché du travail. Revue économique, 615-624.
Combes, Duranton et Gobillon (2008)123 proposent également 3 grandes explications
économiques aux différences de salaires et de productivité.
La première explication est liée aux différences de dotations physiques qui peuvent exister
entre les différents espaces (qu’elles soient naturelles : proximité d’une côte, enclavement
dans la montagne, climat…, institutionnelles, technologiques ou résultant des différences de
capital privé ou public disponible localement). Dans ce cas, les travailleurs localisés dans les
territoires les mieux dotés profitent des meilleurs salaires, uniquement du fait de leur
localisation. Si les différences institutionnelles sur le territoire français sont faibles, les
infrastructures publiques (réseau autoroutier, TGV…) restent largement inégalement réparties
dans l’espace. A défaut de pouvoir limiter les inégalités en dotations naturelles, les dotations
en capital local public (à travers la recherche ou encore la formation) peuvent représenter un
levier pour limiter les inégalités technologiques.
La deuxième explication aux inégalités de salaires provient du tri spatial de la main d’œuvre,
de la répartition des qualifications à travers l’espace, et donc des différences de productivité
que ce phénomène engendre. Ainsi, les zones dans lesquelles le travail est le plus qualifié,
c’est-à-dire généralement les zones métropolitaines, proposent un niveau local de salaire plus
élevé. Ce constat a été confirmé aux Etats-Unis par les travaux de Glaeser et Maré (2001)124
qui montrent que les différences de qualifications sont responsables des différences de
salaires. Dès lors, dans les zones rurales, où les niveaux de qualifications sont moins élevés
qu’en milieu urbain, le coût du travail supporté par les entreprises est moins important.
Enfin troisièmement, les différences de salaires peuvent également s’expliquer par le niveau
des interactions qui existent entre les salariés et les entreprises, localisés sur un même
territoire. Ces externalités locales augmentent la productivité des travailleurs, et donc le
niveau de rémunération. Ces spillovers technologiques et informationnels sont facilités dans
les zones métropolitaines où le marché est plus dense.
Dans leur étude sur γ41 zones d’emploi en France, Combes, Duranton et Gobillon (β008)
montrent ainsi que la moitié des différences de salaires est expliquée par la densité d’emploi,
et donc l’agglomération spatiale.
δ’effet de tri spatial qui existe pour la main d’œuvre se retrouve également au niveau des
activités. En effet, les villes très dynamiques abritent des secteurs très dynamiques, comme
123
Combes, P. P., Duranton, G., & Gobillon, L. (2008). Le rôle des marchés locaux du travail dans la concentration spatiale des activités économiques. Revue de l'OFCE, (1), 141-177.
124
c’est par exemple le cas pour la finance dont les activités se situent dans des gros hubs.
Duranton et Puga (2001)125ont travaillé sur cet effet de composition en avançant l’idée que
s’il existe un cycle de vie des produits, il existe également un cycle de vie des villes. Ils
considèrent que l’environnement économique local joue un rôle dans les différentes étapes de
la vie d’un produit, et qu’un environnement spécialisé et diversifié, comme celui des
métropoles, est propice au développement de la recherche et de l’innovation. Ainsi, les start
-up se localisent à leurs débuts dans de très grandes métropoles, le prix du foncier n’est alors
pas une problématique pour ces firmes, dans la mesure où leurs besoins en la matière sont
généralement limités. Quand cette industrie devient mature, et que la valeur ajoutée de son
produit diminue, l’entreprise se déplace alors dans des villes périphériques pour répondre à
son besoin d’espace, et au fait que le coût du foncier devient alors pour elle un facteur plus
déterminant.
Si les coûts du travail sont moins élevés dans les zones non métropolisées, les coûts
d’ajustement sont également moins importants. En effet, sur les marchés du travail
métropolitains, les entreprises font face à une multiplicité de qualifications et de compétences,
et à une densité importante de d’offre de travail. δes turn-over sont nombreux et contraignent
les entreprises à multiplier les embauches, et de fait, à multiplier les temps de formation et
d’adaptation aux postes des nouvelles recrues, ce qui représente une perte en termes de gains
de productivité. A l’inverse, les marchés du travail en zones plus rurales offrent moins de
variété quant aux qualifications disponibles sur le marché, mais présentent une certaine
stabilité de la main d’œuvre propice à la réduction des coûts non salariaux et à
l’investissement dans le développement de compétences (Doré, β010). En effet, Blanc et al.
(1999)126 montrent qu’à taille équivalente, la stabilité de l’emploi à moyen terme est plus
importante en zone rurale, et notamment dans les petites entreprises.
Si les coûts du travail et d’ajustement sont avantageux dans les territoires plus ruraux,
l’appariement reste plus compliqué qu’en milieu métropolitain. En effet, l’appariement entre
les salariés et les entreprises progresse avec la taille du marché du travail local (Helsley et
Strange, 1990127). Ainsi, plus les entreprises sur le territoire sont nombreuses, plus il sera aisé
125
Duranton, G., & Puga, D. (2001). Nursery cities: Urban diversity, process innovation, and the life cycle of products. American Economic Review, 1454-1477.
126
Blanc, M., Aubert, F., & Detang-Dessendre, C. (1999). Le fonctionnement des marchés du travail ruraux [Entre influence du paternalisme et difficultés d'appariement]. Économie rurale, 250(1), 31-39.
127
Helsley, R. W., & Strange, W. C. (1990). Matching and agglomeration economies in a system of cities. Regional Scienceand urban
pour l’individu de trouver un emploi qui correspond parfaitement à ses qualifications.
Parallèlement, plus les travailleurs sont nombreux sur le marché local, plus l’entreprise a de
chances de recruter un salarié qui concorde à ses besoins.
Gaigné (2000)128 s’est intéressé à la problématique de l’appariement en zones rurales. En
effet, il interprète le niveau de salaire plus bas des zones rurales, par rapport aux zones
urbaines, comme le reflet des difficultés d’appariement. Ce constat d’un niveau de salaire plus
bas en zone rurale devrait mener à une rupture plus facile et plus forte de ces appariements.
Or il n’en est rien, et c’est bien le contraire que l’on observe. δ’auteur explique ce paradoxe
par la faible probabilité qu’ont les travailleurs ruraux de trouver un emploi qui correspond
davantage à leurs qualifications. Il avance 3 arguments. Premièrement, le marché du travail en
zone rurale est beaucoup moins dense qu’en zone urbaine. De fait, l’apparition sur le marché
du travail de nouvelles offres de travail est amoindrie. Deuxièmement, la dispersion
géographique des emplois au sein de la zone rurale est plus importante, et de fait les coûts liés
à la recherche d’un emploi plus importants (coûts de déplacement…), ce qui restreint encore
davantage le panel d’emplois sur le marché qui pourraient être jugés par l’individu comme
acceptables. Enfin troisièmement, si les individus issus des zones rurales recherchent des
postes à pourvoir en zone urbaine, ils ont des coûts de recherche plus élevés que les autres
postulants résidant en zone urbaine, et donc moins de chance que ces derniers d’avoir une
offre qui les intéresse et qu’ils jugent acceptable par rapport aux coûts engagés.
Par ailleurs, Jayet (1985 et 1988)129 montre que si le chômage est moins important dans les
zones rurales, la durée de ce dernier est plus longue que dans les zones urbaines.
Effectivement, l’urbain concentre généralement les activités du secteur tertiaire qui se
caractérisent par un turn-over important. De plus, comme nous l’avons expliqué
précédemment, il est plus aisé en zone urbaine de retrouver un emploi rapidement du fait de la
multiplicité des offres et des possibilités d’appariement.
Dans les entreprises rurales traditionnelles130, l’organisation du travail se base, non pas sur la
standardisation des tâches, mais davantage sur les spécificités de chaque salarié qui s’insère
dans le processus de production et participe « à l’efficacité productive en fonction de son
128
Gaigne, C. (2000). Appariement et stabilité de la relation d'emploi dans les espaces ruraux. Revue d’économie régionaleet
urbaine, (5), 821-840.
129
Jayet, H. (1985). Les zones d'emploi et l'analyse locale des marchés du travail. Economie et statistique, 182(1), 37-44. Jayet, H. (1988). Mobilité professionnelle et mobilité géographique. L'espace économique français, Paris: INSEE.
130
Dans nos propos, lorsque l’on parle d’entreprises rurales on considère les PεE situées en zones rurales, ou non métropolisées, dans leur ensemble quel que soit leur secteur d’activité, c’est-à-dire au-delà des seules exploitations agricoles.