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Le territoire dans une perspective élargie : entre processus de construction et imprégnation des acteurs

En tant qu'outil de compréhension de la réalité, et plus précisément des liens entre une société et son espace, le territoire apparaît comme l'objet central de la Géographie Sociale dans laquelle nous nous inscrivons78. Fortement imprégné des questions d'acteurs et de stratégies, ce courant emprunte donc énormément à la Sociologie des Organisations. Toutefois, dans le même temps, il nous apparaît important de mettre l'accent sur certains courants de l'Economie, eux aussi de plus en plus pénétrés par les préoccupations spatiales. Comme le note M. Pouzenc dans sa thèse, "Depuis une quinzaine d'années, le territoire

occupe une place de choix, tant dans les discours politiques que dans les travaux des chercheurs" (Pouzenc, 1999, p. 5). Paradoxalement, le terme semble émerger en réponse à

une série de bouleversements économiques et sociaux. La Géographie observe notamment l'accroissement de la mobilité des personnes, l'évolution des modes de vie ou encore la complexification des maillages administratifs. L'Economie s'intéresse quant à elle davantage à la mondialisation des activités, aux mutations des formes productives ou à la différenciation de la demande. Dans tous les cas, ces bouleversements sont appréhendés comme autant de processus susceptibles de transformer les territoires hérités des époques précédentes. C'est donc à partir du moment même de sa remise en cause que le territoire a réellement commencé à faire l'objet d’un intérêt croissant et d'une construction théorique. Nous n'entendons pas aborder ici la notion de territoire pour elle-même, mais dans la perspective de la construction de notre concept d'ancrage territorial. Si la très grande majorité des chercheurs s'accordent à reconnaître le caractère construit du territoire, par quelles modalités se réalise cette construction ? Quelles sont les dimensions qui entrent en action dans ce processus ? Quel rôle particulier y jouent les logiques productives ? Ces questions fondent le premier volet de notre réflexion. Dans un second temps, il s'agira de nous interroger sur l'influence des dynamiques territoriales dans les logiques des acteurs économiques. Comment le territoire – fondé sur une construction sociale – imprègne-t-il à son tour l'activité et les organisations économiques ?

1.

Considérations préliminaires : le territoire comme objet d'une

Géographie Sociale et Economique à vocation nomothétique

Les ouvrages consacrés à l'histoire et à l'épistémologie de la Géographie79 font tous état des profonds bouleversements qu’a connu la discipline après les années 1970. De nombreux auteurs déplorent alors les lacunes théoriques de la Géographie et affirment la nécessité d’une réflexion critique de son statut scientifique. Paru en 1972, le premier numéro de "l’Espace Géographique" symbolise l’émergence d’une nouvelle Géographie, fondée non plus sur des monographies régionales, mais sur la découverte de lois universelles. Cette Nouvelle Géographie met l'espace au cœur de son questionnement, et entend découvrir les principes qui régissent son organisation. Proposée par R. Brunet, la chorématique (du grec "khorê", qui signifie lieu, espace) se veut ainsi une classification exhaustive de l'ensemble des structures élémentaires de l'espace, à la manière d'une "classification périodique des éléments" géographiques, apte à rendre compte de toute l'organisation spatiale (Brunet, Dollfus, 1990).

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Il nous semble préférable de parler de "Géographie Sociale et Economique", afin d'envisager l'ensemble des dimensions dont rend compte le territoire, et d'insister sur notre approche fondée sur les acteurs privés.

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Voir notamment A. Bailly, (1995), Les concepts de la Géographie Humaine ; R. Marconis, (1996),

La construction épistémologique progressive de la discipline ne s'est pas réalisée uniquement à travers cette Géographie "science de l'espace". En réaction à cette orientation jugée trop quantitative, d'autres géographes revendiquent le caractère central de l'Homme et des sociétés. La préoccupation nomothétique (c'est-à-dire cherchant à établir des lois, des principes) est toujours présente, mais dans le but d'étudier l'étroite imbrication entre le spatial et le social. R. Marconis parle d'ailleurs de cette Géographie comme d'une science des sociétés dans l'espace (Marconis, 1996). Il est difficile ici de parler de courant réellement identifié, tant les préoccupations et les orientations sont diverses. Notre recherche s'inscrit à n'en point douter dans cette Géographie, souvent qualifiée par commodité de "sociale", qui se caractérise en premier lieu par une importante ouverture disciplinaire (Sociologie, Anthropologie, Ethnologie, Economie…). L'analyse des rapports entre une société et son espace permet en outre de mettre l'accent sur le rôle déterminant des acteurs et de leurs représentations, c'est-à-dire du sens qu'ils donnent à leur espace de vie.

Considérée dans sa diversité et sa complexité, cette dialectique espace / société met quoi qu'il en soit en perspective la notion de territoire. J. Scheibling fait d'ailleurs de ce concept le fondement ultime de la discipline géographique, qui plus qu'une science des sociétés dans leur espace, serait en fait une science du territoire (Scheibling, 1994). Entendu tour à tour comme construction physique et humaine, comme forme de régulation sociale ou comme dimension idéelle (représentations, sentiment d'appartenance), le territoire, produit d'une histoire, apparaît comme l'objet de la Géographie Sociale. Défini provisoirement ici comme une portion d'espace appropriée, le territoire n'en conserve pas moins un caractère singulier. Les géographes s'accordent d'ailleurs tous pour reconnaître l'unicité de chaque territoire. Malgré tout, une science ne saurait s'arrêter à des cas particuliers, mais doit selon nous au contraire mettre en place des outils lui permettant d'identifier sinon des lois, mais du moins des principes généraux d'organisation. En tant que grille de lecture du territoire, le concept de formation socio-spatiale proposé par G. Di Méo (analysé plus loin) s'inscrit bel et bien dans cette vocation nomothétique.

2.

Le concept de territoire et ses fondements spatiaux

En dépit d'approches hétérogènes, les chercheurs en sciences sociales travaillant sur la question du territoire s'accordent en général pour reconnaître son caractère construit. Dans le paradigme de la Géographie Sociale et Economique, le territoire renvoie donc à un processus historique impliquant une société agissant sur un espace, par des pratiques et des représentations. Cette idée d'antériorité est notamment défendue par C. Raffestin, pour qui le territoire est un espace où l'on aurait projeté de l'énergie et de l'information (Raffestin, 1980). Le fondement spatial du territoire implique donc de s'arrêter un instant sur cette notion d'espace, fréquemment employée comme synonyme du territoire. D'une manière générale, l'espace désigne un lieu plus ou moins bien délimité où peut se situer quelqu'un ou quelque chose, il peut également désigner la surface terrestre où évoluent des êtres vivants. L'espace est alors géométrique, euclidien (doté de trois dimensions) et propre à la perception humaine.

Pour G. Di Méo, le territoire trouve son fondement dans l'acception kantienne de l'espace, qui renvoie alors à la forme de tous les phénomènes, immuable, universel et indépendant de la perception. Comme le temps, l'espace est une donnée a priori qui ne peut être perçue que de manière empirique : "Dans la théorie kantienne, l'espace comme le temps

n'existent pas en dehors de la conscience. Pour celle-ci, ce sont des éléments constitutifs, des structures "intuitives" qui ne relèvent en aucun cas du monde" (Di Méo, 1998, p. 103). Cet

espace rejoint la notion "d'inconscient structural" de C. Lévi-Strauss, qui estime que le cerveau humain serait constitué de mystérieuses "cases vides", antérieures à la pensée logique (Lévi-Strauss, 1971). L'espace, le temps et la causalité pourraient dès lors être assimilées à ces cases vides. L'auteur fait référence ensuite aux travaux du psychologue J. Piaget, qui remettent partiellement en cause la vision kantienne de l'espace : "Des psychologues

contemporains comme Jean Piaget (…) ont montré qu'il convient d'être prudent lorsqu'on considère l'espace comme une forme a priori et immuable de toute perception (…). La psychologie de Piaget aboutit même à la conclusion que l'espace (…) ne figure pas de manière innée dans l'esprit du jeune enfant. Piaget a prouvé que l'installation dans la conscience humaine de la forme spatiale euclidienne (…) résulte d'un processus d'apprentissage" (Di Méo, 1998, p. 103). Cette digression philosophique permet de mettre en

évidence la dualité qui s'est instaurée entre un espace donné a priori et un espace construit et malléable en fonction des schèmes culturels, économiques et techniques. Cette dualité se retrouve selon nous dans le territoire, qui apparaît tour à tour comme un produit de l'action humaine (qu'elle soit économique, sociale et/ou politique) et comme un espace perçu et représenté à travers des valeurs et des codes culturels. Le caractère historiquement construit du concept semble donc avéré, mais cette construction induit dans le même temps un territoire donné a priori, car en partie hérité d'une époque précédente.

Afin de préciser davantage les composantes de la notion de territoire, de nombreux géographes font référence à l'idée d'appropriation. Ainsi, R. Brunet parle d'un "espace

approprié par un groupe ayant conscience de cette appropriation" (Brunet, 1992, p. 436).

P. et G. Pinchemel évoquent quant à eux un "espace approprié par un groupe social, à

l'intérieur duquel les individus se sentent en affinité, en propriété, et à l'intérieur duquel une pratique se veut, se sait, ou se croit efficace" (Pinchemel, 1997, p. 153). Enfin, lorsqu'il

évoque la territorialité plutôt que le territoire, X. Piolle s'intéresse aux mécanismes grâce auxquels les groupes sociaux s'approprient les espaces dans lesquels ils évoluent (Piolle, 1991). L'appropriation serait le processus par lequel l'espace, le support initial, deviendrait territoire. Ce processus est également évoqué par D. Pumain, qui introduit également l'idée de sens : "Le territoire est un espace où se déroulent des processus sociaux, une construction

sociale dotée de sens pour un groupe social donné" (Bailly, Ferras, Pumain, 1991, p. 87).

L'émergence d'un territoire se fonde donc sur l'appropriation d'un espace par un acteur ou un groupe d'acteurs. Dans cette perspective, ce sont les modalités d'appropriation qu'il convient d'examiner maintenant, étant donné qu'elles sont au cœur même de la construction territoriale. G. Di Méo met l'accent sur l'ensemble des dimensions de la réalité sociale : "le

territoire témoigne d'une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale donc) de l'espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d'eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité" (Di Méo, 1998, p. 107). Cette acception

témoigne de l'ouverture disciplinaire qui caractérise la Géographie Sociale. Le territoire émerge à partir des rapports sociaux entre les individus et les groupes. Un zonage institutionnel, une activité économique ou la projection d'un sentiment d'appartenance sont autant de processus aptes à approprier un espace, et donc à produire du territoire.

3.

Les modalités de construction des territoires

Ces formes de production territoriale renvoient à différentes dimensions qu'il est nécessaire d'expliciter, avant de s'intéresser à leur articulation. Cette perspective combinatoire nous a dès lors amené à nous appuyer sur les travaux de G. Di Méo, qui à travers le concept de formation socio-spatiale propose une grille de lecture des dynamiques territoriales.

3.1. Les fondements identitaires, politiques et économiques du territoire

Partiellement reprise par M. Pouzenc, la distinction entre les dimensions politiques, économiques et identitaires apparaît pertinente pour rendre compte du processus de territorialisation. Malgré tout, comme le note l'auteur : "Cette représentation du territoire peut

être discutée et doit être prise avec réserve. Notamment, elle ne suffit pas à elle seule à rendre compte de toute la richesse de la notion de territoire" (Pouzenc, 1999, p. 9).

L'appropriation institutionnelle du territoire renvoie directement à la notion de pouvoir. L'existence et l'intégrité d'un Etat impliquent une assise territoriale, qui est une des manifestations du pouvoir de cet état. Néanmoins, il faut inclure ici l'ensemble des collectivités territoriales, et plus largement l'ensemble des organisations qui existent à travers des relations de pouvoir. Cette appropriation consiste en la mise en place de repères qui affirment l'emprise d'un pouvoir sur un espace (monuments, panneaux, drapeaux…). La finalité de ce marquage est de s'inscrire dans l'imaginaire et de légitimer le pouvoir qui en est à l'origine. Outre ce marquage symbolique, l'instauration d'un pouvoir se réalise dans un cadre institutionnel plus ou moins formalisé, qui fixe ses limites et garantit l'assujettissement des individus à un état ou une institution. L'idée selon laquelle le pouvoir va au-delà de la sphère étatique renvoie aux travaux de C. Raffestin, pour qui les relations entre les individus sont constitutives de la notion de pouvoir. Ces relations se réalisent dans un cadre territorial donné, que l'auteur appelle "enveloppe spatio-temporelle", et participent à sa construction (Raffestin, 1980). Outre l'émergence d'une filière de production, la mise en place d'une AOC induit également des règles de fonctionnement créées sur la base de rapports de force qui s'appliquent à un espace donné, en l'occurrence l'aire AOC. En tant qu'instrument politique, l'AOC est donc un facteur de territorialisation.

L'appropriation d'un espace à travers un processus identitaire tend à faire du territoire une entité intégrée par un individu (ou un groupe) comme faisant partie de son vécu. Le territoire devient alors un médiateur de l'identité, et contribue à la construction d'une mémoire, d'un imaginaire collectif, de symboles, d'un patrimoine… En référence directe à l'espace kantien, le territoire identitaire est inscrit dans la psyché individuelle et collective, il est susceptible de ce fait de constituer une référence commune, sans cesse reconstruite, mais en partie héritée : "Le territoire est un fournisseur d'identité extrêmement sollicité" (R. Brunet, 1992, p. 244). Fondée sur la distinction et la différence par rapport à l'altérité (les autres), l'identité renvoie à l'unicité de chaque territoire et marque les pratiques et les représentations des individus. La dimension temporelle est ici fondamentale. G. Di Méo estime que la construction identitaire du territoire correspond à une sélection de séquences historiques jugées aptes à consolider une unité socio-spatiale, le passé se reconstruisant en fonction des besoins du présent (Di Méo, 1998). Cette fonction de consolidation se réalise toujours par rapport à la société englobante. S'appuyant sur les travaux de P. Tap, le géographe E. Vitrac fait référence à l'identité collective comme "un processus actif

lesquelles un groupe social actualise son rapport à la société globale" (Vitrac, 2002, p. 150).

Le caractère territorialement situé de l'AOC renvoie également à un processus identitaire. Les motivations inhérentes à l'obtention d'une appellation sont bien entendu de nature économique, mais à travers la définition d'un produit, les acteurs mettent également en avant une part de leur savoir-faire, et donc de leur identité professionnelle. Une illustration de cette construction nous est donnée par l'exemple du Chevrotin, fromage de chèvre fermier de la région des Aravis (Haute-Savoie). La démarche AOC a permis l'émergence et la reconnaissance d'une "communauté caprine", et prouve s'il en était besoin l'influence de la dimension identitaire dans une dynamique économique : "S'ils avaient voulu faire une activité

lucrative qui réponde directement à une attente des consommateurs, ils auraient pu faire des

fromages lactiques et les vendre sur les marchés à Annecy très rapidement"80. En outre, les

choix inhérents à la construction d'un cahier des charges fournissent de nombreuses illustrations du processus de sélection historique dont parle G. Di Méo.

Enfin, l'appropriation d'un espace s'effectue également à travers les différentes activités humaines qui utilisent ses potentialités. L'espace devient alors à la fois un support et une ressource. Ainsi, l'activité économique tend à produire du territoire, dans la mesure où elle s'approprie une portion d'espace. Pour illustrer ce processus, on renvoie le lecteur à la partie consacrée aux liens filière / territoire, qui évoque la question des IAA et de leur propension à construire des bassins de production. Au-delà de la dimension agricole, et dans une perspective marxiste, le passage d'un régime d'accumulation à un autre s'accompagne toujours d'un redéploiement spatial des activités et d'une évolution de leur rapport au territoire. G. Di Méo met en évidence l'impact territorial limité des entreprises fordistes, fondées avant tout sur une logique fonctionnelle et sur des nœuds de communication. Cette situation contraste avec la période précédente, caractérisée quant à elle par des structures économiques de petite taille, et dont la localisation était alors indissociable des matières premières et des sources d'énergie. Ce mode de production avait donné naissance à des formes d'appropriation territoriale très fortes, où la dimension identitaire était également présente (expression des "pays noirs", correspondant aux régions industrielles traditionnelles du nord- est de la France). L'organisation économique était alors fortement liée à une organisation sociale particulière, organisation totalement remise en cause par le régime d'accumulation de masse. L'auteur parle d'ailleurs à ce sujet de "déterritorialisation fordiste" (Di Méo, 1998).

La remise en cause de ce modèle à partir des années 1960 est due entre autres à une différenciation de la demande et à un important développement des innovations. Le modèle fordiste apparaît désormais comme beaucoup trop rigide pour pouvoir faire face à ces nouvelles exigences. On assiste alors à un changement dans l'organisation et les stratégies des firmes. Face à un besoin accru de flexibilité, les organisations pyramidales et hiérarchisées laissent progressivement la place à des réseaux de sous-traitants et de fournisseurs plus autonomes. Le renforcement des liens avec l'environnement économique local correspond sans conteste à une "re-territorialisation" de l'activité économique. Les logiques inhérentes à la localisation des entreprises se trouvent également remises en cause. L'optimisation des coûts de transport apparaît de moins en moins pertinente. P. Veltz insiste sur le caractère primordial de l'organisation des territoires : "Si les firmes continuent à investir dans des zones

où apparemment les coûts sont défavorables, ce n'est pas nécessairement par irrationalité (…). Cela veut dire simplement que l'effet-compétitivité d'une structure territoriale se mesure surtout par sa contribution à la qualité de l'organisation productive" (Veltz, 1993, p. 675). La

80

coordination locale des acteurs économiques et la flexibilité des organisations productives deviennent dès lors des facteurs majeurs dans la construction des territoires.

La Géographie comme science territoriale aurait donc vocation à rendre compte des différentes modalités de construction des territoires que nous venons d'évoquer, et surtout de leurs interrelations sur un espace donné. En effet, les logiques identitaires, politiques et économiques renvoient à des appropriations différentes. L'analyse d'un territoire ne mobilise jamais une seule de ces dimensions, mais au contraire une combinaison des trois. Sur le terrain, les configurations territoriales apparaissent donc comme infinies, avec éventuellement une emprise plus forte de telle ou telle logique.

Incluse dans l'aire AOC Roquefort, le Sud-Aveyron nous donne une bonne illustration du caractère combinatoire des logiques économiques, politiques et identitaires. La prépondérance de l'activité liée à la production de lait de brebis fait de ce territoire un espace productif en partie dédié au fromage d'appellation, au point de faire dire à la géographe L. Barthe que la filière aurait inconsciemment joué un rôle "d'inhibiteur de projet de développement local" (Bonniol, Saussol, 1995). L'appropriation se réalise également par le biais identitaire, le Sud-Aveyron englobe en effet une partie du Causse du Larzac, territoire à l'identité fortement marquée, connue en raison contestation paysanne dans les années 1970, en réaction au projet d'agrandissement du camp militaire du Larzac81. La sphère politique n'est pas absente, comme en témoignent les "bassins d'activité" mis en place par le Conseil Général à partir de 1993, ayant pour vocation un regroupement de cantons sur la base de projets de développement. F. Mandrou-Taoubi souligne d'ailleurs très bien le caractère "politiquement verrouillé" de ces démarches : "Les bassins d'activité sont des politiques financées par des

organismes publics, donc strictement réglementés (…). Il devient donc difficile à une initiative privée de pénétrer à l'intérieur de ces bassins" (Mandrou-Taoubi, 2001, p. 19). Dans le Sud-

Aveyron, les démarches initiées par les bassins d'activité se heurtent d'ailleurs à la présence du parc naturel régional des Grands Causses, créé en 1995, lui-même fondé sur une "récupération" par les acteurs politiques départementaux d'une volonté locale issue au départ de la mouvance soixante-huitarde (Frayssignes, 1998).

Dans cette construction théorique du territoire, la temporalité des processus est fondamentale. En dépit du caractère divergent des logiques, certains territoires se caractérisent