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Source : INAO (2005), conception : J. Frayssignes, réalisation : Atelier Cartographie UTM, 2005.

La structure productive des filières AOC savoyardes se caractérise par une grande complexité. Outre le clivage producteurs de lait / transformateurs (privés ou coopératifs, artisanaux ou industriels), on retrouve comme pour le Centre une production fermière très importante, que l'on peut évaluer autour de 5 000 tonnes pour les cinq appellations, et une activité d'affinage encore significative. Globalement, la part des produits AOC avoisine 60 % de la collecte laitière, auquel on peut rajouter 30 % supplémentaires pour les deux IGP Tomme de Savoie et Emmental de Savoie. Une particularité des Savoies réside dans la part prépondérante des structures coopératives pour la collecte laitière. Il convient de souligner ici l'important clivage concernant la gestion de ces coopératives, clivage d'abord fondé sur la limite départementale entre Savoie et Haute-Savoie. Ainsi, la majorité des fromageries de

Savoie sont majoritairement des coopératives dites "à gestion directe", c'est-à-dire assurant elles-mêmes la collecte et la transformation du lait. A l'inverse, les coopératives haut- savoyardes sont le plus souvent "à gestion indirecte", elles ne prennent en charge que la collecte et vendent ensuite le lait à des transformateurs privés, qui travaillent parfois dans des locaux appartenant aux producteurs, parfois dans leurs propres locaux. Dans ce dernier cas, les producteurs ne possèdent plus de bâtiment, on parle alors de "coopérative sans atelier", ou de groupement de vente. Ces deux modes d'organisation renvoient à des trajectoires productives différentes. Les agriculteurs de Haute-Savoie ont fait le choix de se regrouper pour vendre la matière première le plus cher possible, en se désengageant de la transformation. A l'inverse, les Savoyards ont préféré conserver le contrôle des ateliers pour s'assurer une valeur ajoutée la plus élevée possible et conserver leur autonomie. Déterminante dans l'activité au quotidien des coopératives, nous verrons dans le chapitre 6 que cette différence l'est également pour ce qui concerne les démarches touristiques.

En dépit de la forte atomisation des intervenants, il est possible d'identifier quelques acteurs majeurs au sein du pôle Savoies. Parmi les transformateurs privés, quatre entreprises contrôlent aujourd'hui près de 80 % des litrages produits en Haute-Savoie : la fromagerie Chabert, la Société Fromagère d'Eteaux (groupe Lactalis), la fromagerie Verdannet et la fromagerie Pochat, cette dernière ayant également une importante activité d'affinage, ce qui en fait le principal interlocuteur pour le Reblochon fermier132. En ce qui concerne la Savoie, les coopératives en gestion directe ont la particularité de ne pas être en relation avec la grande distribution, mais avec des grossistes, spécialisés ou non dans le fromage, dont les principaux ne sont autres que les fromagers de Haute-Savoie qui viennent d'être évoqués, au premier rang duquel on retrouve la fromagerie Pochat, qui est de ce fait également l'acteur principal de la commercialisation du Beaufort. Cette complexité supplémentaire renforce donc le rôle majeur joué par ces quatre entreprises au sein du pôle Savoies133. Malgré cette domination croissante des privés, les filières se caractérisent par une structuration interprofessionnelle ancienne. Créés par les producteurs, les syndicats se sont progressivement organisés pour intégrer les professionnels de l'aval (fromagers, affineurs). La plupart des décisions sont aujourd'hui encore portées par l'amont, notamment le contenu des cahiers des charges, très précis en ce qui concerne les conditions de production. Les deux fédérations départementales des coopératives laitières sont également des interlocuteurs incontournables.

La présence de préoccupations communes conjuguée à la forte tradition de coopération sont à l'origine de la création en 1997 d'une structure supplémentaire, regroupant l'ensemble des syndicats de produits laitiers savoyards (AOC et IGP) : l'AFTALP (Association des Fromages Traditionnels des Alpes Savoyardes). Née d'une initiative professionnelle, l'AFTALP est venue officialiser des relations informelles déjà anciennes entre les filières AOC existantes à l'époque (Reblochon, Beaufort et Abondance). Les premières activités d'AFTALP ont concerné la promotion des produits à l'échelle régionale. Les filières ont également mis en commun des moyens financiers pour réaliser des actions de recherche & développement, tant sur le plan économique que technologique. Enfin, un travail de concertation a été réalisé au sujet de la qualité des produits, avec la mise en place d'un cahier des charges commun à toutes les AOC pour les aliments concentrés autorisés.

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L'activité laitière de l'entreprise Pochat se réalise par le biais de la Société Laitière des Hauts de Savoie (SLHS), dont Pochat est actionnaire majoritaire. La SLHS possède un contrat d'exclusivité avec "Les Fermiers Savoyards", un des plus importants groupements de coopératives, qui prend en charge la collecte.

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Le dernier événement en date dans cette région réside dans le rachat intégral de la fromagerie Pochat par Lactalis (2005), qui possède déjà la Société Fromagère d'Eteaux. Le groupe contrôle désormais la moitié de la collecte des deux départements, ainsi que la majeure partie des fabrications de Reblochon fermier et de Beaufort.

Ces multiples actions ont ainsi contribué à l'émergence d'un horizon stratégique supplémentaire. AFTALP constitue aujourd'hui un lieu informel de réflexion et d'échange pour tout ce qui concerne les AOC fromagères savoyardes, et par extension, pour la production laitière bi-départementale. Pour autant, l'absence d'organe de décision au sein de l'association ne signifie pas une absence d'autonomie institutionnelle. Contrairement aux AOC bas-normandes, totalement intégrées à l'interprofession régionale pour le calcul du prix du lait, les deux départements savoyards relèvent d'un régime spécifique déconnecté de l'interprofession laitière de Rhône-Alpes. La prépondérance des coopératives implique en effet un calcul fondé sur la valorisation des fromages et sur le prix moyen de l'emmental, sans que la recommandation nationale soit appliquée. Cette spécificité est renforcée par l'existence du CIELS (Comité Interdépartemental de l'Economie Laitière Savoyarde), qui sans être formel, réunit l'ensemble des professionnels laitiers des deux départements (filières, chambres, fédérations des coopératives) pour coordonner les actions sur certains dossiers. Notons également qu'en Savoie et en Haute-Savoie, les quotas laitiers sont gérés de manière collégiale par les acteurs de l'amont134, avec des préoccupations davantage portées sur une répartition spatiale la plus équitable possible des droits à produire.

En conclusion, le rapide tour d'horizon du contexte productif et institutionnel du pôle AOC souligne le rôle aujourd'hui encore prépondérant joué par les producteurs de lait (via les coopératives), qui contrôlent l'essentiel de la collecte. Les processus de concentration à l'œuvre en aval sont malgré tout à même de remettre en cause cette organisation fragile. Dans ce contexte, la montée en puissance du groupe Lactalis apparaît comme une importante source d'incertitude pour beaucoup d'interlocuteurs, sur le plan commercial et organisationnel.

4.2. Les cinq AOC constitutives du pôle "Savoies"

L'extrême hétérogénéité des composantes du pôle AOC (taille, ancienneté, structure des filières) n'a pas empêché l'émergence d'une dynamique d'ensemble. Cette situation est à comparer, toutes proportions gardées, au pôle "Centre", où la coopération entre les filières, a priori plus homogènes, apparaît beaucoup plus ténue.

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Cette particularité n'est valable que pour deux autres départements en France, le Jura et le Doubs, également caractérisés par une prégnance des structures coopératives.

Tableau 12 : fiches d'identité des filières AOC du pôle "Savoies"

Source : INAO, CNIEL, Syndicats AOC, 2004.

D'un point de vue commercial, le très important développement qui a prévalu durant les quinze dernières années (en prix comme en volume) laisse maintenant la place à une période de stagnation et d'incertitude, comme en témoigne la baisse de plus de 4 % enregistrée par le Reblochon sur les deux dernières années. Globalement, le pôle AOC Savoies a connu une régression de 0,6 % entre 2002 et 2004. Par ailleurs, l'enchevêtrement des différents maillons des filières AOC savoyardes renvoie aussi bien à la production laitière que fermière. Chaque appellation conserve malgré tout des caractéristiques qui lui sont propres. Le Reblochon a ainsi la particularité de regrouper au sein du SIR les quatre familles représentatives de la filière laitière savoyarde dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle (Fédération Départementale des Coopératives Laitières de Haute-Savoie pour les producteurs de lait, Union des Producteurs de Reblochon Fermier, Syndicat des Fromagers pour les transformateurs privés, Syndicat des Affineurs).

La production de Beaufort relève également d'une structuration originale. Si les coopératives sont prépondérantes vis-à-vis des transformateurs privés (près de 75 % du tonnage), une petite partie des fabrications est issue de producteurs individuels et de

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Pour la Tome des Bauges et le Chevrotin, l'évolution concerne la période 2002-2004.

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La dénomination "fermier" n'existe pas dans l'AOC Beaufort, sont comptabilisés dans cette catégorie les producteurs individuels et les groupements pastoraux. Le tonnage fermier renvoie à ces deux types d'acteurs. Dénomination Reblochon Beaufort Abondance Tome

des Bauges Chevrotin

Technologie Pâte pressée non cuite Pâte pressée cuite Pâte pressée mi-cuite Pâte pressée non cuite pâte pressée non cuite, croûte lavée Type de lait Lait de vache Lait de vache Lait de vache Lait de vache Lait de chèvre Localisation aire AOC Une partie de la Haute-Savoie et de la Savoie Une partie de la Savoie et de la H.-S. Une partie de la H.-S. Une partie de la Savoie et de la H.-S. Une partie de la H-S. et de la Savoie Date d'obtention

de l'AOC 7 août 1958 4 avril 1968 23 mars 1990 15 nov. 2002 2 mai 2002 Tonnage 2004 (en t.) 16 637 4 410 1 509 594 91 Evol. brute 1991-2004135 + 5 239 + 1 453 + 1 161 + 144 + 7 Evol. 1991-2004 (%) + 46,0 % + 49,1 % + 333,6 % + 32,0 % + 8,3 % Nbre de prod. de lait 1 050 625 200 80 0 Nbre prod. fermiers136 160 26 51 24 32 Importance du tonnage fermier 21 % 11 % 23,7 % 21,9 % 100 % Nbre de transformateurs (from. et affin.) 25 10 21 5 4 Principaux acteurs Pochat, Lactalis, Chabert, Verdannet Coopératives, grossistes Pochat, Lactalis,

Chabert, Verdannet Coopératives

Producteurs fermiers Organisme de gestion Syndicat Interprofessionnel du Reblochon Syndicat de Défense du Beaufort Syndicat Interprofessionnel du Fromage d'Abondance Syndicat Interprof. de la Tome des Bauges Syndicat Interprof. du Chevrotin

groupements pastoraux, qui sont des structures coopératives un peu particulières dans la mesure où les éleveurs impliqués apportent leur troupeau personnel et bénéficient d'une rémunération proportionnelle à cet apport. Majoritairement situés en vallée de Tarentaise, ces groupements sont constitués d'un certain nombre de salariés et assurent le plus souvent la commercialisation de leur production auprès de grossistes (certains adhèrent à des coopératives et n'ont pas d'activité de transformation). Ces groupements ne fonctionnent que l'été lors de la montée en alpage. C'est ainsi que trois types de fromages existent : le Beaufort d'hiver, fabriqué en coopérative, le Beaufort d'été, fabriqué en alpage, et le Beaufort "chalet d'alpage", devant être fabriqué à plus de 1 500 mètres d'altitude avec le lait d'un seul troupeau, réservé aux producteurs individuels pratiquant l'alpage. Si l'Abondance est technologiquement plus proche du Beaufort, la filière est quant à elle intimement liée à celle du Reblochon, les intervenants étant en grande partie les mêmes. Cette situation a d'ailleurs longtemps conféré à l'Abondance un statut de "produit de substitution" lorsque le Reblochon connaissait des crises. Les difficultés de ce fromage concernent ainsi l'absence d'une dynamique propre, aucune entreprise n'étant spécialisée dans cette production. Ayant tout récemment obtenu leur appellation, la Tome des Bauges et le Chevrotin sont deux productions spécifiques. La Tome des Bauges est née d'une volonté de différenciation de l'ensemble des tommes fabriquées dans les Savoies. Le Chevrotin est quant à lui pour l'instant une production exclusivement fermière dont la commercialisation s'appuie en grande partie sur le réseau du Reblochon fermier.

L'évolution globale suivie par le pôle AOC "Savoies" différencie très fortement ce territoire vis-à-vis de la production laitière nationale, dans la mesure où le maintien d'un grand nombre structures contraste avec les processus de concentration observés ailleurs. La bonne valorisation de la matière première qui a découlé de cette trajectoire est malgré tout remise en question. Les Savoies semblent être à un tournant, dont les manifestations sont aussi bien internes (développement de Lactalis) qu'externes (baisse du prix du lait à l'échelle nationale).

5.

La diversité des contextes territoriaux comme fondement de la

deuxième hypothèse de recherche relative au développement territorial

C'est sur ces quatre terrains de recherche qu'il s'agit d'appliquer le dispositif méthodologique. Les informations relatives aux différents pôles laissent entrevoir la très grande diversité des contextes territoriaux et des enjeux de développement qui y sont liés. Si la filière Roquefort évolue dans un espace rattaché à "la France du vide"137, les AOC savoyardes sont quant à elles inscrites dans un contexte de forte croissance démographique, qui concurrence l'activité agricole au travers d'une pression foncière toujours plus forte. Les AOC du Centre et de Basse-Normandie se situent dans une situation intermédiaire, mais sont confrontées à une concurrence d'origine agricole : celle des autres productions fromagères en Normandie, et celles des céréales dans le Centre. En termes de développement et de qualification territoriale, les différences sont aussi imputables aux images générées par les territoires. La Savoie et la Normandie sont des régions à forte notoriété et bénéficiant d'une image attractive en termes de produits. A l'inverse, le Sud-Aveyron et le Centre ne sont pas des territoires porteurs de sens, mais renvoient à des divisions administratives. La question qui sous-tend notre recherche ne doit donc pas s'appréhender en termes de contribution à un processus de développement qui serait le même partout, mais doit plutôt envisager la propension des filières à se positionner vis-à-vis d'enjeux spécifiques. Une réflexion sur les "besoins" de chaque territoire est donc un préalable à l'analyse proprement dite.

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C'est sur cette acception du développement territorial que se fonde notre deuxième hypothèse. Les démarches "d'ouverture territoriale" initiées par les filières AOC, ou auxquelles celles-ci participent, prennent des formes diverses (implication dans des projets collectifs, manifestations locales…), elles ne relèvent pas de stratégies ponctuelles, mais d'une tendance de fond. Ces démarches sont envisagées comme des moyens de réponse à des préoccupations sectorielles (commercialisation, image de marque...). Relativement ignorées jusqu'à une période récente, les ressources territoriales constituent aujourd'hui des enjeux fondamentaux qui sont au cœur même des questions liées à la pérennité des filières.

L'explicitation de notre démarche méthodologique a donc mis en lumière ses principaux fondements : l'entretien semi-directif, l'approche compréhensive à partir des acteurs de la filière et la notion de pôle AOC. Les deux chapitres suivants vont être consacrés à la présentation des résultats, chacun étant fondé sur un éclairage particulier du processus de développement. Le chapitre 5 insistera ainsi sur la dimension productive et le processus de spécification de ressources, tandis que le chapitre 6 mettra davantage l'accent sur les synergies entre activités et les coordinations entre acteurs.

Volume 2

THESE

présentée pour obtenir

LE TITRE DE DOCTEUR DE L’INSTITUT NATIONAL POLYTECHNIQUE DE TOULOUSE

Ecole doctorale : Temps, Espaces, Sociétés, Cultures Spécialité : Espaces, Sociétés Rurales et logiques économiques

Mention Géographie

par Julien FRAYSSIGNES

Soutenue le 12 décembre 2005 devant le jury composé de :

M. Bertil SYLVANDER, Directeur de Recherches, INRA-SAD, Toulouse Président M. Michel ROUX, Professeur des Universités,

UFR Sciences Espaces Sociétés, Université Toulouse Le Mirail 2

Directeur de thèse

Mme Valérie OLIVIER, Maître de Conférences, Institut National

Polytechnique, Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse

Codirectrice de thèse

Mme Nicole MATHIEU, Directrice de Recherches Emérite, CNRS, Université Paris I, Panthéon Sorbonne

Rapporteur

M. Bernard PECQUEUR, Professeur des Universités,

Institut de Géographie Alpine, Université Joseph Fourier, Grenoble

Rapporteur

Mme Anne RICHARD, Directrice du Conseil National des Appellations d'Origine Laitières

Membre

Les AOC dans le développement territorial

Une analyse en termes d'ancrage

Deuxième partie

Le concept d'ancrage à l'épreuve du réel :

l'inscription des AOC dans les dynamiques

Avertissement

Pour une manipulation plus aisée du document, en particulier par les

acteurs de terrain, une reprise des principaux enseignements de chaque grande

partie est présentée dans des pages de couleur différente. Intitulées "Synthèse des

résultats", ces pages ne sont pas uniquement conçues comme des résumés, mais

tentent aussi de mettre en perspective ces résultats, notamment du point de vue

des conditions de réussite des filières AOC.

Chapitre 5

Les apports des AOC à la dynamique agricole

et agroalimentaire

Activité et ressources productives

L'analyse de l'inscription des AOC dans les dynamiques de développement passe par une évaluation de leur importance économique. Les mutations à l'œuvre dans les espaces ruraux ont reposé la question de la place de l'agriculture. Les exigences d'efficacité, de rentabilité et d'ouverture au marché doivent désormais être mises en compatibilité avec les nouvelles préoccupations liées à la protection de l'environnement, à l'entretien des paysages, à la qualité des produits et à l'aménagement du territoire. Même si elle s'est considérablement réduite au cours des dernières décennies, la part de l'agriculture dans l'activité des espaces ruraux demeure encore significative dans certaines régions. A travers les emplois agricoles et agroalimentaires qu'elles représentent, les filières AOC participent donc d'une manière plus ou moins forte au "fonctionnement" économique des territoires. Cette contribution est d'autant plus intéressante à analyser qu'il s'agit d'une activité fixée à une zone par décret, et donc difficilement délocalisable. Dans un contexte de compétitivité et de concurrence accrue, où les délocalisations industrielles suscitent un sentiment d'impuissance chez les acteurs politiques, l'enjeu n'en est que plus important. Toutefois, au-delà de ces données quantitatives brutes, il s'agit également de nous inscrire dans une perspective historique et de mettre en lumière la protection juridique des produits. Les acteurs se sont souvent mobilisés en réaction à ce qu'ils estimaient être une usurpation de leur savoir-faire, portant préjudice à leurs intérêts. Les démarches qu'ils ont entreprises ont occasionné des batailles judiciaires, et éventuellement donné lieu à des compromis, encore déterminants dans la protection de certains produits AOC. L'analyse en termes d'ancrage doit faire apparaître cet héritage juridique, parfois à l'origine d'importantes confusions pour les consommateurs.

Les acteurs des filières (exploitations agricoles, unités de transformation) étant eux aussi inscrits dans un territoire, il importe également de s'intéresser aux apports liés à la présence de l'AOC dans leur activité à titre individuel, en partant du postulat que l'éventuelle bonne santé économique des filières AOC profite en partie à l'ensemble du territoire. Les critères quantitatifs habituels de performance économique (prix du lait, prix du fromage) peuvent être reliés à la présence d'une AOC. Toutefois, certains résultats issus de nos entretiens font apparaître le caractère ancré des produits d'appellation dans des bassins de production et des organisations institutionnelles. Deux remarques s'imposent dès lors :

- l'AOC prise isolément ne peut expliquer à elle seule la performance des acteurs, - la prise en compte de critères qualitatifs est nécessaire dans cette évaluation. Enfin, l'activité agricole et agroalimentaire générée par une filière AOC contribue au développement territorial à travers la construction de ressources spécifiques (c'est-à-dire non reproductibles) matérielles et immatérielles (compétences, savoir-faire). Ce dernier point met l'accent sur la trajectoire des systèmes ancrés à des bassins de productions spécifiques. Ce cinquième chapitre reprendra ces différents éclairages. Dans une première partie, nous nous intéresserons d'une part à la contribution des AOC en tant que dispositif juridique apte à la fixation des emplois, nous montrerons notamment l'importance d'une approche historique des processus. D'autre part, l'analyse portera sur le rôle joué par les AOC dans l'attractivité et l'évolution des bassins de production, ainsi que sur leurs apports concernant les pratiques et les représentations des acteurs. Dans une deuxième partie, il s'agira d'analyser les trajectoires productives de développement liées à chaque terrain d'étude. Les AOC seront alors appréhendées à travers leur capacité à produire des ressources et à contribuer à la spécification des systèmes productifs laitiers et fromagers.

I. Différents éclairages de la place des AOC dans l'emploi agricole

et agroalimentaire : fixation de l'activité, attractivité des

bassins, pratiques et représentations des acteurs

Si la construction de ressources productives spécifiques constitue le cœur de ce