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L'ancrage territorial est envisagé comme un concept par le courant des Dynamiques de Proximité, qui met l'accent sur son caractère construit à travers les dimensions géographiques, organisationnelles et institutionnelles. Le comportement des firmes est analysé sous un angle nouveau, même si persiste une certaine tendance à la personnification du territoire, qui demeure cantonné dans une acception relativement passive. Les recherches menées dans le cadre de la Sociologie Economique permettent de répondre à une partie des questions posées par la Proximité, dans la mesure où le territoire peut être appréhendé en termes d'encastrement. Ces deux détours disciplinaires contribuent à enrichir la construction du concept d'ancrage dans une perspective géographique.

1.

L'ancrage vu par le courant des Dynamiques de Proximité

L'expression d'ancrage territorial est relativement fréquente dans les écrits des géographes, mais elle est employée le plus souvent de manière assez neutre, et non pas comme un concept à part entière. L'ancrage renvoie à l'insertion d'un acteur sur un territoire, quand il n'est pas synonyme de localisation. C. Margetic évoque ainsi l'ancrage au tissu local, défini comme "une bonne insertion des pratiques des éleveurs dans les fonctionnements

biologiques et sociaux locaux". L'ancrage d'un produit fait alors référence à son adéquation

avec les pratiques des producteurs et leurs contraintes économiques : "L'objectif étant que la

nouvelle filière soit accessible à la majorité des élevages et non seulement à un "club de producteurs" plus ou moins fermé" (Margetic, 1999, p. 67). L'ancrage territorial est

notamment mobilisé par l'économiste J. B. Zimmermann, dont les travaux s'inscrivent directement dans le courant de l'Economie de la Proximité. Né au début des années 1990, ce courant émerge à l'initiative d'un groupe de chercheurs issus de l'Economie Spatiale et de l'Economie Industrielle91. La rencontre entre ces deux champs de recherche fait suite aux travaux menés sur les systèmes productifs localisés (SPL), les nouveaux rapports entre firmes et territoires nécessitant un renouvellement des appareillages théoriques. Ce courant remet notamment en cause un certain présupposé "localiste" et prône une approche constructiviste du local. Comme programme de recherche, la proximité se veut une théorie de la coordination des acteurs faisant une large place à la dimension spatiale. La proximité – au sens strict le fait d'être proche – renvoie à un potentiel d'interactions formelles et informelles entre agents, susceptibles de déboucher sur une coordination. Malgré une finalité centrée sur l'action collective, il s'agit d'une approche qui privilégie avant tout les individus eux-mêmes. La proximité est une notion plurielle qui se décline selon trois dimensions principales :

- la proximité géographique, qui renvoie à la localisation des acteurs et des entreprises dans l'espace. Ce dernier étant pris au sens géonomique, mais également considéré en termes de construction sociale,

- la proximité organisationnelle, qui concerne les interactions entre acteurs et groupes d'acteurs au sein d'organisations formelles ou informelles. Elle implique l'appartenance à un même espace stratégique de référence,

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Citons notamment : M. Bellet, G. Colletis, C. Dupuy, J.-P. Gilly, J. Perrat, B. Pecqueur et J.-B. Zimmermann. Le lecteur est invité à consulter les références de ces auteurs en bibliographie.

- la proximité institutionnelle, qui fait référence à l'adhésion des acteurs à un ensemble de règles, de représentations et de valeurs qui vont orienter leur stratégie et aboutir à des comportements réguliers de coordination92.

Cette distinction a pour but de démontrer que l'espace local n'est pas antérieur, qu'il n'est pas un réceptacle homogène des relations de coordination entre acteurs, mais au contraire qu'il émerge et se structure à partir des relations de proximité. L'évolution par rapport aux travaux sur les SPL est importante, ces derniers étant au contraire fondés sur une certaine homogénéité territoriale. Comme l'explique Isabelle Leroux dans sa thèse, on passe effectivement "du territoire postulé au territoire construit" (Leroux, 2002, p. 192).

Les recherches menés sur l'ancrage territorial par J.-B. Zimmermann correspondent en quelque sorte à une analyse en termes de proximité des rapports entre firme et territoire. Partant des travaux consacrés à la localisation de l'entreprise et à la concurrence entre territoires (politiques d'attractivité), l'auteur propose une approche dialectique fondée sur le clivage entre ancrage et nomadisme. L’ancrage correspond alors à une "rencontre productive" entre deux histoires, deux logiques, en l’occurrence celle de la firme et celle du territoire. Certes, la firme conserve toujours une marge de manœuvre dans son implantation (recherche de réversibilité), mais des phénomènes d’engagements mutuels sont également possibles, ceci en vue de construire des ressources spécifiques. L’auteur précise également que l’ancrage territorial peut impliquer l’émergence d’une communauté de destins, notamment à travers la mise en compatibilité de trajectoires et d’objectifs au départ divergents. Concrètement, cette communauté de destins peut se manifester sous la forme d’un profond enracinement d’une activité dans une région. L’auteur donne l’exemple des régions industrielles traditionnelles du nord-est de la France, où la crise économique a été vécue comme un drame par la population : "L'ancrage territorial d'une firme, quand il est effectif, crée de l'histoire, qui fonde une

communauté de destins. C'est le parcours bien marqué des régions d'industrialisation ancienne (…). C'est une communauté de destin qui scelle les devenirs, à tel point que la crise de l'entreprise devient crise du territoire, le déclin industriel se mue inéluctablement en drame social (Zimmermann, 1995, p. 4). L'intérêt de cette approche réside notamment dans sa

dimension dynamique, en rupture avec les théories antérieures fondées sur la localisation. L’auteur propose une démarche méthodologique permettant d’évaluer l’ancrage d’une firme donnée, il s’agit pour cela de considérer cette firme dans sa triple insertion :

- dans un groupe plus vaste (autonomie, intégration, marge de manœuvre...), - dans une industrie ou un secteur (implication dans une organisation plus vaste...), - dans un territoire (prédation, ancrage, nomadisme...).

Le processus d’ancrage, ou de non-ancrage, résulte donc de la "tension organisationnelle" entre ces trois ensembles, dont les logiques et les finalités divergent fortement93. Il dépend de la capacité de la firme à "jouer" sur les potentialités des territoires. Cette nouvelle appréhension du comportement territorial de la firme renvoie notamment aux travaux de J. Perrat, qui à travers l'exemple de Thomson et Hewlett Packard, évoque la notion de positionnement vis-à-vis des ressources, qui va varier en fonction des besoins de l'entreprise. L'auteur distingue dès lors deux types de stratégie : l'étanchéité (fonctionnement autocentré, faible autonomie des acteurs locaux, cas de Thomson) et l'osmose (culture

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Les fondements de l'approche proximité sont exposés dans l'ouvrage dirigé par A. Rallet et A. Torre (1995).

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J.-B. Zimmermann fait ici référence aux travaux du LEREPS (Laboratoire d'Etudes et de Recherches sur l'Economie de la Production et les Systèmes sociaux). Sur le mode d'enracinement territorial d'un groupe, voir C. Dupuy, J.-P. Gilly, Les stratégies territoriales des grands groupes, in A. Rallet, A. Torre (1995).

d'entreprise décentralisée, liens forts avec l'environnement local de sous-traitants et d'organismes de formation, cas d'HP). Durant la période récente, J. Perrat constate néanmoins une évolution significative, qui se traduit par une relative convergence de ces deux types de comportements. Si Thompson semble vouloir s'ouvrir davantage sur son environnement local et créer des partenariats avec de nouveaux acteurs, HP ressent au contraire le besoin de recentrer ses relations dans un cadre plus cohérent, plus rationnel, davantage en rapport avec ses intérêts (Perrat, 1992)94. J.-B. Zimmermann s'emploie malgré tout à ne pas raisonner uniquement à partir du point de vue de la firme. Il privilégie de ce fait l'engagement mutuel et insiste sur le caractère spécifique des ressources. Celles-ci ne sont pas données a priori mais construites. Le territoire n'est plus un simple stock de ressource, il participe activement à leur construction. Les facteurs de localisation classiques (coût, main-d'œuvre, distance) ne suffisent plus à expliquer la stratégie des firmes, d'autres éléments entrent en ligne de compte en liaison avec un marché qui évolue (organisation, compétences95, flexibilité…). La proximité avec les réflexions menées par M. Savy et P. Veltz apparaît ici évidente96.

2.

Ancrage et proximité, des questions qui restent en suspens

Même si l'auteur s'intéresse essentiellement aux activités industrielles et technologiques, sa démarche peut être transférée à d'autres types d'activités. Certes, l'agriculture se caractérise par un lien au lieu particulier, lien d'autant plus spécifique lorsqu'il s'agit d'une AOC. Les phénomènes de mobilité ne sont malgré tout pas totalement absents, on a pu ainsi observer des logiques de relocalisation (voire de construction) de fromageries directement imputables à la présence d'une ou plusieurs aires d'appellation. De même, nous verrons que si les exploitations agricoles ne sont pas concernées par la mobilité, l'attractivité induite par une AOC peut influencer les choix géographiques d'installation des agriculteurs. Une transposition de la démarche reste donc possible.

En premier lieu, le caractère dynamique de l'approche laisse une large place à la dimension historique. L'ancrage est pensé comme un processus inscrit dans le temps, et non pas un phénomène ponctuel ayant lieu au moment de la localisation de l'entreprise : "Cette

rencontre quand elle se produit et débouche sur un fait productif (…), alors révèle un ancrage territorial, entendu comme partage d'un bout d'histoire commune de l'entreprise et du territoire" (Zimmermann, 1998, p. 218). Ensuite, la mise en évidence du caractère

construit des ressources territoriales rappelle fortement de nombreux travaux géographiques sur la production de territoire. J.-B. Zimmermann emploie le terme de "tissu industriel" pour désigner une configuration productive particulière fondée sur des interactions entre des acteurs privés (firmes) et des acteurs institutionnels (organismes de formation, technologiques, collectivités territoriales…). Tissu et territoire sont finalement assez proches l'un de l'autre : "(…) Lequel peut ou non déboucher sur une rencontre productive, et aboutir à

l'identification des acteurs industriels et technologiques qui participent à un processus de construction territoriale, à un tissu (…). En ce sens, le tissu émerge comme un construit, qui

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Voir aussi l'exemple de Sony dans le sud de la France développé par M. Daynac, C. Dupuy et Y. Panadero, in B. Boureille, B. Guesnier (textes réunis par), (1994), Dynamiques des activités et évolutions des Territoires.

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Lorsqu'elles renvoient à des ressources, les compétences sont définies comme des aptitudes à résoudre un problème productif spécifique.

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Voir M. Savy, P. Veltz (1993), Les nouveaux espaces de l'entreprise. Voir également P. Veltz (1993), D'une

Géographie des coûts à une Géographie de l'organisation : quelques thèses sur l'évolution des rapports entreprises – territoires.

n'est pas le simple fait d'une densité et d'une volonté institutionnelle de la part des collectivités territoriales, mais avant tout celui d'une territorialisation effective des acteurs industriels" (Zimmermann, 1998, p. 223). Défini comme forme productive territorialisée, le

tissu apparaît comme l'équivalent technologique du bassin de production de la Géographie Agricole. En ce sens, l'analyse proposée par J.-B. Zimmermann constitue une formalisation théorique du processus de construction territoriale dans son acception économique.

Pour autant, dans l'analyse de cette relation entre une firme et son territoire, certaines questions restent en suspens. Ces questions renvoient d'une part à l'appréhension du territoire par l'auteur, et d'autre part au caractère stratégique du processus d'ancrage. Il nous semble en effet important de revenir sur cette notion de rencontre productive qui fonde l'ancrage. Selon l'auteur, cette rencontre concerne deux logiques a priori divergentes, tant dans leur inscription spatiale que temporelle. S'il apparaît pertinent de parler de logique pour une firme (rationalité de comportement), il nous semble en revanche plus discutable de réduire le territoire à une entité cohérente, même si l'auteur est conscient de l'enchevêtrement parfois contradictoire des différents niveaux d'intervention publique (échelle locale, nationale, européenne). La logique territoriale est ici réduite aux stratégies initiées par les collectivités territoriales visant à attirer des entreprises. J.-B. Zimmermann estime quant à lui que le développement d'un territoire passe par une recherche accrue de plasticité : "La dualité de l'entrée par la firme ou par le

tissu (le territoire) amène à considérer la pérennité d'un tissu sous l'angle d'une notion de plasticité du territoire, c'est-à-dire sa capacité à engendrer de nouvelles combinaisons de ressources" (Zimmermann, 1998, p. 215). Cette tendance à la personnification du territoire est

un autre élément à noter. Les travaux des géographes envisagent certes le territoire au travers de sa cohérence, mais insistent dans le même temps sur la diversité, les dynamiques hétérogènes, les contradictions et les conflits. Une construction géographique de l'ancrage doit selon nous éviter autant que possible toute personnification abusive du territoire. Il nous semble donc important d'intégrer cette hétérogénéité dans notre construction théorique, en mettant d'ores et déjà au pluriel le terme de "logiques territoriales".

Par ailleurs, il nous faut également nuancer l'idée d'un ancrage territorial vu comme la tension organisationnelle entre une triple insertion (dans un groupe, dans un secteur et dans un territoire). Si la place de la firme dans le groupe et dans le secteur sont appréhendés comme des contraintes plus ou moins subies (autonomie, intégration dans une organisation industrielle plus large, marge de manœuvre…), l'insertion territoriale est davantage analysée en termes stratégiques (prédation, ancrage ou nomadisme) : "Celle-ci (NDLR : l'unité industrielle) apparaît donc au carrefour de formes d'organisation de nature industrielle

(groupe, industrie), d'une part, et de formes d'organisations de nature territoriale, d'autre part. De cette confrontation résulte (…) la spécificité d'un rapport au territoire et par conséquent la nature de l'ancrage" (Zimmermann, 1995, p. 50). Tout se passe comme si

c'était l'insertion dans le groupe et le secteur qui dictait à l'entreprise sa stratégie territoriale, ceci dans une relation à sens unique. Ainsi, malgré des avancées certaines, l'idée d'un territoire pensé comme un stock de ressources semble toujours prégnante. Si cette notion n'est plus conçue comme un espace neutre et homogène, elle n'en reste pas moins un support de la stratégie des entreprises, un potentiel d'opportunités à saisir. Cet "utilitarisme territorial" s'inscrit le paradigme de la concurrence des territoires, pour lequel le but ultime des territoires est de répondre aux besoins des entreprises en mettant en place un environnement optimal (infrastructures, politiques d'aides…).

Dans une réflexion antérieure, nous avions employé le terme de "possibilisme" pour qualifier cette posture : "Une hypothèse souvent inhérente à ces travaux est de le considérer

(NDLR : l'ancrage territorial) comme un choix stratégique pour l'entreprise, qui décide – ou

non – de mobiliser les ressources au sens large du territoire concerné. Cette option méthodologique peut s'apparenter à un certain possibilisme où le territoire propose et

l'entreprise dispose97" (Frayssignes, 2001, p. 90). Ce possibilisme ce retrouve également dans

les travaux menés par A. Fischer et J. Malezieux, qui appréhendent le territoire certes comme un construit, mais correspondant à un facteur stratégique pour l'entreprise, plus ou moins attractif. Ces auteurs vont même plus loin, en estimant que le maillage administratif français n'est plus apte à répondre aux besoins des entreprises et qu'il serait bon de réfléchir à des zonages davantage pertinents (Fischer, 1994 ; Fischer, Malezieux, 1999).

En dépit de ces limites, les travaux relatifs au lien firme / territoire menés notamment par J. B. Zimmermann proposent un cadre théorique fécond pour rendre compte du processus d'ancrage en tant que construction de formes productives territorialisées. En revanche, ils se révèlent discutables dans l'analyse de la relation réciproque, qui concerne la manière dont les caractères d'un territoire affectent la logique économique. L'ancrage territorial ne résulte pas uniquement d'un choix d'optimisation, il se réalise également au gré des opportunités et des contraintes locales. Pour l'entreprise, le territoire n'est pas seulement un ensemble de ressources, de potentialités, il implique aussi une série de pesanteurs, qui s'inscrivent dans l'ensemble des dimensions de la sphère sociale. Formalisée pour l'instant autour de l'idée d'imprégnation, cette seconde face de l'ancrage est tout aussi fondamentale. Déjà évoquée par les géographes, cette idée nécessite un approfondissement dans une perspective d'ancrage, et justifie un nouveau détour disciplinaire, cette fois-ci vers la Sociologie Economique.

3.

De l'ancrage territorial à l'encastrement : les apports de la Sociologie

Economique

L'intérêt de la Sociologie Economique pour l'analyse de l'imbrication entre les réseaux sociaux de relations et le marché tend à rapprocher cette discipline des préoccupations des économistes et des géographes travaillant sur le lien entre activité économique et territoire. Pour rendre compte de cette imbrication, le sociologue américain M. Granovetter reprend en 1985 un concept proposé au départ par K. Polanyi98 : celui d'encastrement (en anglais : "embeddedness"). Le principe qui fonde l'idée d'encastrement est le suivant : les logiques économiques de rationalité (minimisation des coûts, maximisation des profits) sont inscrites dans des règles sociales, culturelles et politiques qui exercent sur elles une contrainte. M. Granovetter met donc dos à dos ce qu'il appelle les visions sur et sous-socialisées de l'action humaine, où les individus seraient entièrement déterminés par des normes de comportement préétablies (vision sur-socialisée, structuraliste), ou bien inscrits dans un contexte de concurrence parfaite, avec une recherche permanente de l'intérêt personnel (vision sous-socialisée, individualiste) : "Les acteurs n'agissent ni ne décident comme des atomes en

dehors de tout contexte social, pas plus qu'ils n'adhèrent servilement à des destins écrits pour eux par l'intersection des catégories sociales auxquelles ils appartiennent" (Granovetter,

1985, p. 487). L'auteur prend également ses distances avec la théorie williamsonienne des coûts de transaction, pour qui une organisation donnée (firme, institution) est toujours une

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En Géographie, Le possibilisme est une attitude scientifique qui consistait à supposer que la nature offre un certain éventail de "possibilités" entre lesquelles l'Homme pouvait choisir. La marge de manœuvre d'une société donnée était donc en grande partie dépendante de son avancement technique et ses capacités d'organisation. Des auteurs tels que Paul Vidal de la Blache, sans toutefois jamais revendiquer cette appellation, ont été qualifiés de possibilistes.

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réponse spontanée efficiente à un problème productif donné. L'encastrement met au contraire en évidence le fait que les organisations sont construites socialement à partir de réseaux de relations existants, et de ce fait extrêmement contingentes à une situation donnée. Dans cette perspective, il n'existe pas de "one best way", mais une infinité de formes organisationnelles (Granovetter, 2000)99.

L'idée d'encastrement s'inscrit également dans une perspective historique. A l'origine, K. Polanyi estimait que l'économie pré-capitaliste se caractérisait par une dépendance plus forte vis-à-vis des structures sociales, et que l'avènement des sociétés capitalistes modernes correspondait à un certain découplage entre logique économique et société : "Pour Polanyi en

effet, la création de la société de marché a pour effet d'isoler l'échange marchand des relations sociales antérieures, c'est donc plutôt une sorte de processus de désencastrement, ou un processus de découplage" (Grossetti, Bès, 2001, p. 330). M. Granovetter s'oppose à ce

dernier sur ce point. Loin d'être de simples épiphénomènes du marché, les processus sociaux sont au contraire à l'origine de l'émergence des logiques économiques. Ainsi, c'est pour compléter notre modèle théorique de l'ancrage que nous nous appuyons sur cette idée d'encastrement, en faisant l'hypothèse que les dynamiques territoriales peuvent être partiellement assimilées aux structures sociales dont parle l'auteur. La remise en cause des visions sur et sous-socialisée de l'action humaine est une démarche finalement très proche de la "Géographie de l'entre-deux", défendue notamment par H. Gumuchian.

Appliqué à la filière Roquefort, ce modèle avait permis de mettre en évidence le caractère territorialement construit des règles formelles et informelles en vigueur au sein de l'interprofession. La notion "d'encastrement territorial" avait été proposée pour rendre compte de ce processus : "L'encastrement renvoie ici à l'imprégnation territoriale des acteurs, c'est-à-

dire à la manière dont la territorialité d'un individu va influer sur son comportement, et notamment sur ses actions économiques" (Couzinet, Frayssignes, Nguyen, Olivier, 2001,

p. 10). Ces règles de fonctionnement concernent d'une part la gestion de la collecte entre les transformateurs, et d'autre part la rémunération des producteurs, qui se réalise via un système complexe de prix négociés en fonction de la destination du lait. Elles résultent toutes de longues et parfois difficiles négociations entre producteurs et transformateurs, menées dans le cadre d'une interprofession régionale relativement autonome vis-à-vis des réglementations nationales ou européennes. Les rapports de force entre acteurs sont donc "encastrés" dans des réseaux sociaux d'interconnaissance, qui renvoient eux-mêmes à un contexte agricole et rural