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CHAPITRE 3: CADRE MÉTHODOLOGIQUE

1. C ONTEXTE ET OBJECTIFS DU PROJET DE RECHERCHE « F EMME , SYRIENNE ET RÉFUGIÉE : Ê TRE ET DEVENIR P ERSPECTIVE

1.5. Terrain de recherche transnational : Liban et Québec

Les données recueillies dans le cadre de ce mémoire et dans le cadre du projet de recherche plus large dans lequel il s’inscrit ont été recueillies à travers une démarche de terrain transnationale sur deux sites. Il se déroulait d’une part au Canada, plus précisément au Québec dans la région de Montréal et d’autre part dans différentes localités au Liban réparties dans l’ensemble du pays. Tel que mentionné précédemment, le choix de ces deux pays s’est effectué en raison de leur importance dans l’accueil des personnes réfugiées en provenance de Syrie, le Canada/Québec en tant que pays de réinstallation et le Liban en tant que pays limitrophe où les personnes d’origine syrienne sont « tolérées » mais sans être reconnues comme réfugiées.

En cohérence avec l’approche théorique féministe transnationale retenue pour ce mémoire, la mise en relation des deux terrains ne repose donc pas sur une logique de comparaison entre ceux-ci, pas plus qu’elle n’entretient de visées de généralisations à plusieurs lieux d’établissement des femmes réfugiées syriennes ou celles issues d’autres groupes au sein de ces mêmes lieux. L’analyse repose plutôt sur la compréhension des parcours de refuge de femmes établies au sein de ces espaces afin de faire émerger leurs expériences à travers les éléments d’adversité, de transformations et de continuités que la situation de refuge les amène à vivre personnellement ainsi que les membres de leur famille.

En plus de faire ressortir des éléments transversaux et uniques dans les parcours des femmes rencontrées, la recherche effectuée sur deux terrains aux contextes somme toutes très différents permet d’éclairer des éléments qui n’auraient peut-être pas émergé dans le cadre d’une analyse à partir de l’échelle nationale. Par exemple, au Québec, la migration humanitaire est régie par un ensemble de lois et par l’adhésion aux principes de la Convention de Genève alors que ce n’est pas du tout le cas au Liban. En effet, le pays ne se considère pas comme un pays d’immigration ni une terre d’asile et n’est pas signataire de la Convention de 1951 ni le Protocole de 1967. Des lois sont passées en réaction à l’arrivée massive des réfugiées et au mécontentement de franges importantes de la population libanaise à cet égard. On pense ici à l’instauration soudaine de visas pour les Syriens qui souhaitent entrer au Liban alors qu’ils

avaient toujours pu circuler librement pour travailler et étudier (Janmyr et Mourad, 2018b). Cette mise en contexte nécessaire a un effet sur la compréhension du parcours des femmes au sein de deux pays.

L’approche féministe transnationale sur laquelle repose cette recherche s’avère un outil de choix dans la mise en dialogue de ces deux contextes, en permettant le développement des compréhensions qui visent le plus possible à éliminer les schémas de pensée binaires (p.ex. centre/périphérie ; « occident/tiers monde ») et qui placent les récits des femmes au centre de la compréhension de leurs expériences. À l’instar des travaux de Mohanty (2003), il s’agit de concevoir la création de savoir à propos du vécu des femmes réfugiées en provenance de Syrie dans une optique de solidarité qui met l’accent sur la réciprocité, la responsabilité et la reconnaissance des intérêts communs comme la base des relations entre diverses communautés.

Il importe de mentionner que la recherche sur ces deux terrains s’est effectuée dans des conditions très différentes. Le terrain québécois a été réalisé « dans mon quotidien » sur une durée de 9 mois (février à novembre 2018). La recherche, bien que centrale dans mes occupations à ce moment, était « accompagnée » de plusieurs autres de mes activités professionnelles et personnelles. J’étais la seule membre de l’équipe impliquée dans la réalisation des entrevues, bien que j’étais en dialogue fréquent avec ma directrice. L’intensité du terrain de recherche libanais était toutefois tout autre. Ma directrice de recherche et moi- même nous sommes rendues au Liban et avons réalisé l’entièreté des entrevues dans une période de 6 semaines. Le terrain libanais était également « intensif » du fait que nous habitions chez notre interprète, au sein du camp palestinien de Burj el Barajneh en banlieue de Beyrouth. J’ai également habité en colocation avec des étudiants étrangers au centre-ville de Beyrouth pendant environ 3 semaines avant et après le séjour dans le camp. Sans dire que notre approche était ethnographique, puisque trop courte pour permettre une immersion approfondie, elle reposait néanmoins sur une immersion dans le milieu de vie des personnes réfugiées (séjour de 8 semaines dont 5 semaines dans un camp palestinien). La deuxième phase de terrain à l’été 2019 (juillet-août) a aussi permis d’approfondir ma compréhension et mon ancrage dans le terrain libanais.

Cette « incursion » rapide dans la réalité des personnes réfugiées a été grandement facilitée par la présence de ma directrice qui est engagée dans la réalisation de projets de

recherche au Liban depuis 2006 et grâce à qui j’ai pu avoir un accès plus que privilégié à certaines personnes et à certains espaces, mais aussi à une compréhension beaucoup plus fine des enjeux. Sans nos nombreux échanges antérieurs à l’arrivée sur le terrain, sa présence une fois et son réseau de contact sur place, il m’aurait fallu des mois (voire des années) de travail pour approcher certains des milieux que j’ai pu fréquenter presqu’immédiatement. Le contact direct avec ces différents espaces de vie ainsi que la participation à plusieurs événements culturels, sorties et rassemblements familiaux avec nos interprètes et leurs amis m’ont permis de m’imprégner du contexte libanais d’une manière qui s’est avérée très riche pour ma compréhension des expériences des personnes que nous avons rencontrées. Cette immersion s’avérait incontournable afin de m’approprier ne serait-ce qu’un tout petit mieux la complexité du phénomène qui m’intéressait et limiter les biais liés à mon manque de familiarité avec le contexte libanais. Ainsi, non seulement devais-je tenter de m’approprier les bases de compréhension de la complexité sociocommunautaire de la population syrienne (groupes sociocommunautaires diversifiés tels que « syriens », syriens palestiniens ou encore syriens kurdes, ainsi que religieux tels que des musulmans sunnites et chiites, des chrétiens maronites et orthodoxes ou encore des druzes), mais aussi avec celle des communautés libanaises qui les accueillent (Libanais de plus de 18 confessions officiellement reconnues, Palestiniens libanais). Les deux terrains réalisés en 2018 et en 2019 ont été en cela riches en complémentarité, permettant d’accéder aux expériences de femmes issues d’un ensemble de profils différents.