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CHAPITRE 3: CADRE MÉTHODOLOGIQUE

1. C ONTEXTE ET OBJECTIFS DU PROJET DE RECHERCHE « F EMME , SYRIENNE ET RÉFUGIÉE : Ê TRE ET DEVENIR P ERSPECTIVE

1.4. Approche privilégiée : approche qualitative exploratoire

Ce mémoire s’inscrit dans une approche qualitative de type exploratoire visant à documenter les expériences de femmes réfugiées en provenance de Syrie à travers l’analyse de leurs récits de vie, et à enrichir la compréhension que nous avons des situations de vulnérabilité dans lesquelles peuvent les placer le fait de détenir la responsabilité principale du soutien de leur famille en plus de vivre en contexte de déplacement forcé. Tel que je le mentionnais plus tôt, il appert que la voix des femmes a été peu entendue à ce sujet, la vulnérabilité étant le plus

souvent mesurée dans ses dimensions économiques et définie en vertu du sens commun. En ce sens, une approche exploratoire a été choisie pour combler que ce que Freedman (2017) identifie en tant qu’un manque de compréhension de ce que cette vulnérabilité signifie pour différentes femmes à travers les frontières de classe, de nationalité, d’âge, de « race », d’orientation sexuelle, etc. Je souhaitais ainsi laisser la parole des femmes rencontrées guider les entrevues et l’analyse afin d’enrichir et de complexifier les représentations de ces femmes considérées d’emblée comme étant vulnérables par les ONG, les instances internationales de gouvernance des migrations forcées ainsi que les États-nations qui pratiquent la réinstallation comme le Canada. À l’instar de Chemillier-Gendreau (2013), il m’apparait nécessaire de développer une conception de l’altérité humaine fondée sur la rencontre avec des interlocutrices inconnues mais reconnues. C’est donc dire que mon approche place la compréhension du vécu des femmes réfugiées en partant du point commun de notre humanité partagée.

L’approche qualitative retenue s’inscrit dans le courant subjectiviste qui fait porter l’intérêt premier de la recherche sur la personne ou la collectivité comme sujets de l’action inscrits dans le temps et l’espace (Gingras et Côté, 2009 ; Paillé et Mucchielli, 2012). L’idée n’est donc pas de proposer des conclusions menant à une généralisation des constats de l’étude à l’ensemble des femmes réfugiées d’origine syrienne détenant la responsabilité du soutien de leur famille établies au Liban et au Québec, ni dans d’autres contextes. Il s’agit plutôt de dégager une interprétation de leurs récits de vie afin de donner un sens aux données recueillies dans les contextes particuliers au sein desquels les femmes rencontrées évoluent (Mongeau, 2011).

Ma démarche peut être qualifiée d’inductive dans la mesure où elle accorde une place centrale à l’analyse des matériaux empiriques dans la recherche du sens des expériences vécues par les « sujets acteurs » (Desmarais, 2009). Elle adopte donc le point de vue des acteurs sociaux en se donnant comme vocation de donner une voix à ceux et celles qui n’en ont que peu ou pas au sein de la société (Caron, 2012). L’approche privilégiée accorde une importance primordiale aux dimensions éthiques de la « rencontre de recherche », dans la mesure où elle vise à décrire les expériences de vulnérabilité des femmes de manière à ne pas renforcer, ou encore réitérer, la vulnérabilité des personnes dont nous cherchons à comprendre le vécu (King, Lulle, Sampaio et Vullnetari, 2017). Je reviendrai sur cette dimension dans la section « Considérations éthiques » du présent chapitre.

Mon approche s’inspire aussi de méthodes qui visent à dépasser les schémas de recherche empirique classiques où une chercheuse tente de comprendre une situation/un objet d’étude en vertu d’une posture « extérieure objective », faisant peu de place à la compréhension de sa positionnalité et de sa propre subjectivité. En ce sens, j’emprunte des conceptions tirées aux courants féministes postcolonial, intersectionnel et transnational (Hill Collins, 2000; hooks, 2000, Hill Collins et Bilge, 2016 ; Mohanty, 2003) qui, selon Abu Lughod (2008) « […] encourage[nt] une conscience plus élevée des deux problématiques que sont la positionnalité et les dynamiques de pouvoir entre soi et les autres ». Il s’agit donc d’arriver à une reconnaissance de l’inscription même de la démarche de recherche dans un ensemble de relations de pouvoir à l’œuvre au sein du milieu académique, entre le « Nord » et le « Sud », mais surtout entre femmes issues de ces deux espaces, tels que nous l’avons évoqué précédemment dans le chapitre sur l’approche théorique et conceptuelle.

Afin d’adopter cette posture réflexive consciente des relations de pouvoir, je m’inspire également de l’approche autoethnographique (Rondeau, 2011; Anderson, 2006; Manning, Holmes, Pullen Sansfaçon, Temple Newhook et Travers, 2015), que ma directrice de recherche Roxane Caron et moi-même avons exploré dans le cadre de la rédaction d’un article qui s’est effectuée en parallèle avec la rédaction du chapitre de présentation et d’analyse de résultats (Richard et Caron, à paraitre). Cette approche, peut à la fois être vue comme une « méthode de recherche et d’écriture, un genre autobiographique, […] [qui] met en lumière diverses couches de la conscience de l’expérience, ralliant le personnel au culturel » (Rondeau, 2011, p. 52). C’est ainsi que l’autoethnographie incite une « distanciation de soi par le travail de réflexivité et de mise en mots du vécu » (Rondeau, 2011, p. 53) afin de reconnaitre sa propre présence dans le contexte social au sein duquel s’est déroulé la recherche. Notons toutefois que ce dialogue réflexif et éthique entre Roxane et moi s’est amorcé dès les premiers moments de la rédaction de la demande de subvention obtenue pour le projet (été 2016) et qu’il s’est poursuivi à travers les multiples discussions et étapes de préparation et de réalisation du projet que nous avons réalisé toutes les deux. Nous avons notamment suivi des cours d’arabe ensemble à chaque semaine pendant 6 mois avant de partir sur le terrain, nous avons eu de nombreux échanges sur l’approche théorique, la démarche de terrain, les éléments de complexités historiques, sociaux,

politiques qui caractérisent le Liban et la Syrie. Sans ce dialogue profond et authentique, le présent mémoire n’aurait jamais pu voir le jour, ni prendre la forme qu’il en est venu à prendre.