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CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE

2. C ADRE CONCEPTUEL : L A VULNÉRABILITÉ DES FEMMES RÉFUGIÉES DÉTENANT LA RESPONSABILITÉ PRINCIPALE DU SOUTIEN DE

2.2. La vulnérabilité situationnelle et relationnelle

Comme je viens de l’évoquer, il apparaît que certaines dispositions de la vulnérabilité dont les individus font l’expérience relèvent de circonstances qui les dépassent, et qui les inscrivent dans un rapport d’interdépendance avec ceux qui les entourent. Ces dimensions relèvent de dynamiques structurelles et systémiques, que la notion de vulnérabilité situationnelle et relationnelle vise à exposer.

Selon Butler, Gambetti et Sabsay et leurs collaborateurs (2016), la vulnérabilité apparait comme une caractéristique des relations sociales, ce qui signifie que de manière générale, elle doit être comprise comme étant relationnelle, mais que ces relations doivent être analysées concrètement dans leurs dimensions historiques et sociales spécifiques (situationnelles). C’est donc dire qu’il est nécessaire d’exposer que la vulnérabilité relève d’un contexte et qu’elle peut être causée ou exacerbée par les situations personnelles, sociales, politiques, économiques ou environnementales des individus ou des groupes sociaux, incluant des relations abusives, l’oppression ou l’injustice (Mackenzie, Rogers et Dudds, 2014 cités par Atak, Nakache, Guild et Crépeau, 2018). Les réfugiés et demandeurs d’asile, ainsi que les femmes et les minorités racisées, entrent dans la catégorie de la vulnérabilité situationnelle qui décrit des expériences d'adversité, des transgressions ou des groupes de personnes qui peuvent se trouver dans des circonstances de difficultés sociales (Brown, Ecclestone et Emmel, 2017).

Une autre dimension importante de la conceptualisation relationnelle et situationnelle de la vulnérabilité réside dans l’idée qu’au-delà du vocable de son universalité, la vulnérabilité

apparaît comme étant inégalement partagée entre les individus et au sein des groupes ciblés (Oliviero, 2016). Les expériences de vulnérabilité vécues individuellement permettent de faire ressortir les forces systémiques qui génèrent le privilège et l’oppression à travers des vecteurs de différence (Oliviero, 2016). Bien que la vulnérabilité apparaisse comme condition inévitable et inhérente à notre condition humaine, il est important de situer comment la distribution inégale des ressources fait que certains individus et groupes en ressentent les effets plus que d’autres. Ces derniers peuvent être liés aux caractéristiques du groupe ou de l’individu (p. ex. genre ou origine ethnique) mais aussi aux circonstances fluctuantes qui les affectent (p.ex. sécurité économique, santé, handicap ou statut de citoyenneté). Cette idée rejoint les travaux de Châtel et Roy (2008) qui soulignent l’importance de dépasser la vulnérabilité ontologique précédemment abordée pour l’inscrire dans la problématique plus large du lien social. En cela, elles évoquent la nécessité de dépasser les descriptions et les « silos théoriques » pour « produire un sens qui dépasse les seuls objets étudiés pour les inscrire dans le questionnement sur les rapports sociaux » (Chatel et Roy, 2008, p. 14). Soulet (2005, p. 25) va dans le même sens lorsqu’il mentionne qu’il est important de voir la vulnérabilité dans ses dimensions structurelles et de mettre l’accent sur « […] la nature spécifique de certains types de liens sociaux qui fragilisent ou qui maintiennent dans la fragilité ». Ainsi, « les individus singuliers sont vulnérables dans certaines conditions variables et inégalement distribuées selon les individus » et dans celles-ci seulement » (Soulet, 2005, p. 25). Chatel et Roy (2008, p. 82) abondent en ce sens lorsqu’elles soulignent que « […] les facteurs sociaux […] pèsent sur les parcours biographiques ». Au cœur de la réflexion sur la vulnérabilité se trouve donc une réflexion sur les inégalités en vertu de phénomènes qui dépassent les individus.

Tout comme c’était le cas pour la conception ontologique de la vulnérabilité, des questions se posent à propos de l’opérationnalisation de la conception relationnelle et situationnelle de la vulnérabilité. En plus de nous toucher à des degrés divers, les liens d’interdépendance entre les individus nous exposent aux actions des autres et à celles des institutions qui régissent nos vies de manières inégales. Une proposition intéressante en ce sens est celle de Goodin (1985 cité par Gilson, 2014) qui développe un modèle de la responsabilité envers les personnes vulnérables basé sur l’idée que nos responsabilités envers les autres sont proportionnelles à leur vulnérabilité face à nous. La responsabilité reviendrait donc à celui ou

celle qui est dans une position capable d’améliorer ou de remédier à la situation. Sa conception aborde aussi l’idée de justice globale en tant que responsabilité englobant tous ceux qui sont vulnérables face à nous sans égard à leur « proximité » de nous. On rejoint ici les principes qui sous-tendent les conceptions des réponses à la vulnérabilité des personnes réfugiées évoquées par Shuman et Bohmer (2016) qui soulignent que le système d’asile politique est basé sur la reconnaissance éthique de nos obligations envers les autres qui sont distants de nous56. Or, son

opérationnalisation (la reconnaissance du statut de réfugié aux individus qui sollicitent la protection) repose plutôt sur la possibilité de vérifier la véracité de la demande de la personne qui cherche la protection en vertu de lois nationales et de conventions internationales qui définissent qui a droit ou pas à la protection. S’appuyant sur une étude empirique portant sur l’expérience des personnes handicapées demandant l’asile en Grande-Bretagne, les autrices montrent que dans les faits, la reconnaissance de la vulnérabilité sur laquelle se base l’octroi du statut de réfugié témoigne d’un manque de prise en compte des spécificités situationnelles de la vulnérabilité des demandeurs d’asile handicapés, bien qu’ils appartiennent à un groupe de personnes ciblées d’emblée comme étant vulnérables. Leur étude montre comment la vulnérabilité est sociopolitiquement créée mais aussi invisibilisée à travers des interactions entre des institutions et des individus (Oliviero, 2016), et s’avère beaucoup plus complexe que la simple reconnaissance des facteurs relevant du risque d’être blessée, tout autant que de l’appartenance à un groupe ciblé comme étant d’emblée vulnérable.

La vulnérabilité conceptualisée dans ses dimensions relationnelles et situationnelles nous invite donc à mettre l’accent sur les processus sociaux et les interactions sociales qui les inscrivent dans une situation ou un contexte, en vertu de logiques qui relèvent plutôt d’un processus de vulnérabilisation (Soulet, 2005). Chatel et Roy (2008) évoquent la nécessité de déplacer le regard sur des groupes, des populations ou des personnes vers des situations, des processus ou des conditions au sein desquelles la vulnérabilité se déploie. Ce changement de perspective permet d’élargir le périmètre de ce qui est observable en lien avec l’expérience des personnes qui se trouvent en situation de vulnérabilité. C’est précisément ce que des chercheuses

inscrites dans le courant féministe transnational proposent par le biais du concept de