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Le temps et l’argent, moyens et temporalité du documentaire à l’Atelier

L’ÉQUIPE DE L’ATELIER

III. Le temps et l’argent, moyens et temporalité du documentaire à l’Atelier

La singularité de l’Atelier de création radiophonique s’incarne dans ses acteurs et leurs ambitions, dans ses équipes, mais aussi dans le temps et les moyens matériels et financiers accordés à chacune des émissions produites par l’ACR. Les documentaires de l’Atelier de création radiophonique sont produits et réalisés sur le temps long et bénéficient de moyens importants.

La fabrication du documentaire à l’Atelier, un travail long et minutieux

La fabrication d’un documentaire à l’Atelier de création radiophonique commence par la proposition d’un projet d’émission. Le projet est proposé à Alain Trutat lors des premières années, puis à René Farabet à partir de 1980, lorsqu’il devient l’unique producteur- coordonnateur de l’ACR. Pour proposer un sujet de documentaire sur France Culture aujourd’hui, il est nécessaire de préparer un projet d’une page environ, entièrement rédigé, qui est par la suite évalué par une commission constituée de plusieurs producteurs et à laquelle assiste la direction de la chaîne40. Il y a quelques années seulement, c’était encore le cas lorsqu’Irène Omélianenko produisait Une vie une œuvre avant son départ en 2018, il n’y avait ni commission, ni rédaction de projet, les producteurs s’adressant directement à la productrice-coordonnatrice pour présenter leur proposition. À l’Atelier de création

radiophonique, le fonctionnement est le même. Christian Rosset dit n’avoir jamais eu à

présenter un projet d’émission rédigé à Alain Trutat ou René Farabet.

Farabet et Veinstein (Trutat aussi) n’écoutaient le résultat que quand ça passait à l’antenne. Jamais avant. C’est souvent encore le cas aujourd’hui avec Création on air. On disposait d’une liberté absolue et, je le répète, je n’ai jamais donné un papier écrit avant réalisation à Farabet – jamais41 !

40. Entretien avec Irène Omélianenko, le 14 mars 2019.

Christian Rosset, qui a également travaillé aux Nuits Magnétiques produites par Alain Veinstein, a toujours proposé ses projets de vive voix aux producteurs-coordonnateurs. Il évoque également la confiance totale que ceux-ci accordaient à leurs équipes, puisque ceux-ci n’écoutaient jamais les émissions avant leur diffusion.

La fabrication d’un documentaire dans l’ACR se fait sur un temps très long. D’après Christophe Deleu, l’ACR fonctionne grâce à des temporalités proches de celles du cinéma42. Aujourd’hui, la fabrication d’un documentaire de narration nécessite trois jours d’enregistrement, environ quarante heures de montage et quatre heures de mixage, en sachant que ces données peuvent être légèrement différentes pour un documentaire de création. À titre de comparaison, le mixage d’une émission à l’Atelier de création radiophonique dure généralement une semaine. Les équipes ne sont soumises à aucune limite de temps pour la fabrication d’une émission.

La réalisation de chaque émission prenait beaucoup de temps. Je ne parle même pas de la période d’enregistrement et de montage (ça m’est arrivé de dépasser les trois mois et je n’ai que très rarement produit plus de deux ACR par an). Le mixage se faisait durant une semaine, en analogique, du lundi au samedi. Lundi après-midi, mercredi matin, jeudi matin, vendredi toute la journée et samedi toute la journée, pour mettre en « prêt à diffuser » entre 1h30 et 2h20, selon les époques43.

Christian Rosset évoque des émissions dont la fabrication a nécessité plusieurs mois de travail. Marie-Ange Garrandeau mentionne également cette temporalité longue de la fabrication des documentaires à l’ACR : « Un sujet ne se faisait pas en quinze jours, parfois il se faisait en six mois, donc il y avait toute la réflexion, toute la maturation de la chose et surtout des sons que l’on glanait au fur et à mesure des intervenants44 ». Cette temporalité permet aux équipes de réfléchir longuement au sujet, à l’alliance du fond et de la forme. Elle permet aux équipes de travailler avec minutie pour atteindre des documentaires relevant de l’œuvre plus que de la simple émission. Ces temporalités exceptionnelles sont indissociables des moyens accordés aux équipes de l’ACR.

42. « À l’ACR, on est sur des temporalités semblables à celles du cinéma : deux minutes utiles par jour. » Entretien avec Christophe Deleu, le 17 octobre 2018.

43. Entretien avec Christian Rosset, le 17 janvier 2019. Voir annexe I, p. 167-177. 44. Entretien avec Marie-Ange Garrandeau, le 28 février 2019. Voir annexe II, p. 179-189.

La mise à disposition de moyens importants

La précision des émissions de l’Atelier de création radiophonique est rendue possible par la mise à disposition de moyens matériels importants. Marie-Ange Garrandeau revient sur les moyens dont elle a bénéficié en tant qu’assistante puis chargée de réalisation.

On avait les moyens ! On avait une cellule de montage à nous. On avait, je pense, quarante heures de mixage par semaine. Et nous, on travaillait à l’infini. À partir du moment où on était devenues chargées, toutes, on a plus eu d’heures supplémentaires donc on pouvait travailler jusqu’à 85 heures, ça n’avait plus aucune importance, ça n’intéressait plus personne. […] Ça a baissé. Je pense à partir des années 1990, les moyens ont commencé à baisser. Il y a eu moins de possibilités, mais il y en a eu encore beaucoup. Le créateur de l’Atelier de création, Alain Trutat, tant qu’il était là, on ne touchait à rien, il était dans la direction de France Culture. Mais René Farabet a vraiment pris sa place, et a conduit l’Atelier jusqu’au bout, en se battant pour avoir le maximum de moyens45.

La cellule de montage mentionnée ici est la cellule 128 de la Maison de la radio, cellule historique mise à disposition de l’Atelier de création radiophonique de 1969 à 2001. Cette cellule est disponible en permanence pour les équipes de l’ACR, ce qui permet de travailler de manière illimitée sur un seul documentaire. Marie-Ange Garrandeau évoque également les limites impliquées par les statuts des assistantes à la réalisation. En tant qu’assistante à la réalisation, Marie-Ange Garrandeau ne pouvait réaliser plus d’un certain nombre d’heures pour une émission. Lorsqu’elle devient chargée de réalisation, cela implique un nouveau statut qui n’accorde plus d’importance au nombre d’heures supplémentaires effectuées. Les chargées de réalisation accordent ainsi un temps très important à la fabrication des émissions de l’ACR. Les producteurs ont également la possibilité de travailler avec un grand nombre de musiciens ou d’acteurs reconnus, ce qui représente autant de dépenses pour France Culture.

Les moyens baissent après le départ d’Alain Trutat en 1997, mais restent relativement élevés. C’est à partir du départ de René Farabet en 2001 que les moyens de l’émission commencent véritablement à diminuer. De 1969 à 2001, l’émission bénéficie donc de moyens importants que les équipes utilisent pour fabriquer leurs émissions avec minutie, sur le temps long. Ces pratiques rapprochent les documentaires diffusés dans l’ACR d’une forme d’art radiophonique, où forme et fond sont d’égale importance et nécessitent une même attention.

Modelé par l’évolution des techniques d’enregistrement sonore, l’Atelier de création

radiophonique s’empare de chacune des technologies successives pour pousser toujours plus

loin l’expérimentation et la création radiophonique. Cela s’accompagne d’une utilisation des moyens matériels financiers importants qui lui sont accordés et de la constitution d’une équipe cohérente, composée de membres qui se complètent dans les tâches qui leurs sont allouées, ainsi que dans leur personnalité. L’Atelier de création radiophonique a renouvelé la création radiophonique et le travail sur le son tout en ayant participé à faire évoluer le genre documentaire à la radio. Si plusieurs genres sont diffusés au sein de l’ACR, le documentaire participe de l’identité de l’émission et occupe une place d’importance dans sa programmation.

CHAPITRE 4