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L’art et la création, l’identité de l’ACR

DES ÉMISSIONS QUI EMBRASSENT LES PRÉOCCUPATIONS DE LEUR TEMPS

I. L’art et la création, l’identité de l’ACR

La création, présente dans le titre de l’émission, fait partie intégrante des ambitions de l’ACR. Même au sein des thématiques traitées, l’art et la création sont très présents. Il est possible d’observer divers types de documentaires liés à l’art, à la littérature ou à la culture.

La création, un thème présent sur l’ensemble de la période

Dès le projet initié par ses fondateurs1, l’Atelier de création radiophonique apparaît comme une émission vouée à la création, et ayant pour ambition de découvrir et de promouvoir l’art contemporain et les jeunes artistes. Sur l’ensemble de la période de diffusion de l’ACR, les sujets traitant de l’art et de la création sont omniprésents. De plus, l’ensemble des producteurs réguliers de l’ACR proviennent majoritairement des milieux artistiques. Lorsqu’il s’agit de producteurs de passage, ils sont souvent écrivains, poètes, ou hommes et femmes de théâtre. Il semble logique que les préoccupations de ces producteurs rejoignent leur milieu d’origine ou leur profession.

D’après le diagramme effectué pour connaître l’évolution des thématiques liées à l’art et à la littérature entre 1969 et 20012, il semble que ces thématiques soient de manière générale très présentes dans l’ACR. On peut néanmoins observer deux moments de hausse significative, le premier entre 1980 et 1985 et le second entre 1990 et 1995. Le thème reste néanmoins présent sur le reste de la période, de 1970 à 1979, de 1985 à 1991, de 1996 à 2001. Participant de l’identité de l’Atelier de création radiophonique, les sujets liés à l’art et à la littérature sont omniprésents sur l’ensemble de la période de diffusion de l’émission.

Si la majorité des émissions ont un sujet lié à l’art, la création ou la littérature, il est fréquent que les autres émissions répertoriées et traitant d’une thématique différente aient également un lien avec la création. Certaines émissions ayant un sujet plus proche de questions sociales ou sociétales les traitent également sous un angle culturel ou artistique.

1. Jean Tardieu, « Pour un Atelier de création radiophonique – projet », proposition de Jean Tardieu et Alain Trutat rédigée le 24 avril 1968, publiée dans Roger Pradalié, Robert Prot, dossier « Jean Tardieu et la radio »,

Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion n°48, mars-mai 1996, p. 149-153.

L’émission « Le chant des saisons (Finlande)3 » produite par Barbro Holmberg et diffusée le

23 mars 1986 traite de la Finlande et du rapport des Finlandais à leur pays d’origine. Cependant, l’ensemble des personnes interrogées dans le cadre de l’émission sont des artistes. L’émission interroge ainsi Einojuhani Rautavaara, compositeur, Outi Nyytäjä, scénariste, Lasse Poysti, comédien, Kjell Lindblad, écrivain, Olli Mustonen, compositeur ou encore Pentti Saarikovski, poète. Si l’émission traite de la Finlande, c’est la parole des artistes qui est utilisée comme biais. L’émission « Barbès Stalingrad : Ya Rayi ! », produite par Marie-Hélène Bernard et diffusée le 7 mai 2000 traite, elle, du quartier de Barbès à Paris. La productrice et son équipe décident néanmoins d’utiliser un lieu sppécifique comme porte d’entrée dans le sujet, le Bedjaïa Club, dernier café de Barbès à accueillir des concerts de raï traditionnel. L’équipe revient sur un pan de l’histoire du quartier de Barbès, celui des années 1950 à 1980. Le quartier était alors un haut lieu du rai, hébergeait de très nombreux disquaires et laissait place aux concerts. Ici, si le sujet traité est celui d’un quartier, c’est l’angle de la musique qui est choisi pour entrer dans son histoire. L’art et la culture semblent omniprésents dans l’Atelier de création radiophonique entre 1969 et 2001.

Traiter d’un artiste, d’un objet culturel ou d’un mouvement, différents sujets liés à l’art et la création

Parmi les émissions ayant un sujet lié à l’art, il existe différents types de documentaires. Certains d’entre eux apparaissent comme une immersion dans l’œuvre ou l’univers d’un artiste. D’autres traitent d’un objet culturel et de son histoire. Enfin, certaines émissions se concentrent sur un mouvement artistique ou littéraire.

Plusieurs documentaires de l’Atelier de création radiophonique se concentrent sur un artiste ou une œuvre. Ils apparaissent alors comme une immersion dans l’univers d’un artiste. L’émission peut être construite comme un hommage à l’œuvre d’un créateur ou construite autour et avec un artiste. Elle est alors le plus souvent composée d’entretiens en compagnie de celui-ci. Parmi ces émissions, on peut prendre l’exemple de l’émission « CORDOBA GONGORA4 », produite par René Farabet et diffusée le 12 octobre 1980. Cette émission cherche à faire entendre le hors champ de la poésie de Luis de Góngora y Argote (1561-

3. « Le chant des saisons (Finlande) », Atelier de création radiophonique, Barbro Holmberg, 23 mars 1986, France Culture, 120 min.

4. « CORDOBA GONGORA », Atelier de création radiophonique, René Farabet, 12 octobre 1980, France Culture, 137 min.

1627), poète espagnol baroque. Elle est composée d’ambiances sonores enregistrées à Cordoue, ville d’origine du poète, de lectures de poèmes et d’extraits d’entretiens. René Farabet donne à entendre le paysage sonore ayant accompagné la vie et l’œuvre de Góngora. Il cherche à faire résonner la ville de Cordoue comme un poème et construit l’émission elle- même de manière baroque5. Cette émission de René Farabet apparaît comme une immersion dans l’œuvre de Luis de Góngora par le biais de l’écoute de la ville du poète.

D’autres émissions se concentrent sur un artiste de manière posthume, c’est le cas de « P.P.P. : Pier Paolo Pasolini6 », produite par René Farabet et diffusée le 1er novembre 1981. Conçue comme un hommage à Pasolini, écrivain, poète, scénariste et réalisateur, l’émission revient sur plusieurs aspects de sa vie et de son œuvre tels que son assassinat en 1975, son appartenance au parti communiste, sa poésie, le regard qu’il a pu porter sur l’Italie, ou encore sa dénonciation de la culture de masse. Certains producteurs de l’ACR prennent quant à eux le parti de créer des émissions sur des artistes contemporains avec leur participation. Les émissions sont alors construites autour d’entretiens avec ces artistes. C’est le cas de « La distraction7 », émission produite par Christian Rosset et diffusée le 7 janvier 1996 sur et avec la poète et romancière Marie Étienne. Le producteur qualifie cette émission comme « une rencontre, une écoute, un échange8 », ce qui fait de « La distraction », une émission véritablement réalisée en compagnie de l’artiste. C’est également le cas de « Ars Sonora (Igès-Jerez) 9», produite par René Farabet et diffusée le 10 juin 2001. Immersion dans

l’œuvre des deux artistes espagnols José Igès et Concha Jerez, cette émission mêle extraits d’entretiens avec les artistes et enregistrements de leurs spectacles acoustiques. Si certains documentaires de l’ACR traitent de l’art et de la littérature en se concentrant sur un artiste et son œuvre, d’autres traitent d’un objet culturel et de son histoire.

Certaines émissions de l’ACR ont un objet bien spécifique, tel que l’œuvre ou l’univers d’un artiste, mais d’autres peuvent avoir des thématiques plus larges et s’intéresser

5 . « Les "films sonores" de Farabet. L’ombre du réel. », Laure Bedin, colloque « Atelier de création

radiophonique (1969-2001) : la part des écrivains », oct. 2018 [en ligne, http://komodo21.fr/presentation-7/,

consulté le 22 mai 2019].

6. « P.P.P. : Pier Paolo Pasolini », Atelier de création radiophonique, René Farabet, 1er novembre 1981, France

Culture, 139 min.

7. « La distraction », Atelier de création radiophonique, Christian Rosset, 7 janvier 1996, France Culture, 115 min.

8. Résumé du producteur, notice Ina de l’émission « La distraction », Atelier de création radiophonique, Christian Rosset, 7 janvier 1996, France Culture, 115 min.

9. « Ars Sonora (Igès-Jerez) », Atelier de création radiophonique, René Farabet, France Culture, 10 juin 2001, 85 min.

par exemple à un objet culturel. L’émission « Memento Libri10 » prend pour sujet le livre et

son histoire, ainsi que la réutilisation par divers artistes de cet objet. Partant de l’autodafé ordonné le 10 mai 1933 par Joseph Goebbels, René Farabet et son équipe traversent par la suite les œuvres de différents artistes qui travaillent sur l’objet du livre. L’écrivaine Claudie Hunzinger évoque par exemple les raisons qui la poussent à travailler sur l’objet du livre, l’artiste Jacqueline Guillermain explique son travail de fabrication de manuscrits en terre cuite et Jean-Paul Marcheschi relate son rapport aux livres en tant que peintre. Le livre est traité en tant qu’objet, grâce à une plongée dans son histoire, et en tant que concept, utilisé par de nombreux artistes.

Enfin, certaines émissions traitent d’un mouvement artistique, comme c’est le cas de « La culture cyberpunk11 » ou de « Deixa Falar ou la musique populaire brésilienne12 ». « La culture cyberpunk », produite par Daniel Riche et Pierre Crestin, revient sur le mouvement éponyme qui évolue aux Etats-Unis dans les années 1980, dont l’un des objectifs était de réconcilier la poésie, la littérature et les nouvelles technologies. L’émission se concentre donc sur un mouvement culturel et artistique né quelques années avant sa fabrication. « Deixa Falar ou la musique populaire brésilienne » est une émission qui s’intéresse à l’histoire de la musique populaire brésilienne, depuis la découverte du territoire par les Portugais. L’émission traite à la fois d’un objet culturel et social, puisque la musique populaire brésilienne est à la fois artistique par sa forme et politique comme le montre son histoire. Au sein de la catégorie des émissions traitant de l’art et de la littérature, il existe ainsi plusieurs types de sujets, portés sur un artiste, sur un objet ou sur un mouvement.

Jean-Loup Rivière, Daniel Caux et les écrivains

Les producteurs de l’Atelier de création radiophonique ne traitent pas tous des mêmes sujets. Certains privilégient des sujets liés aux questions sociales et sociétales, d’autres des sujets liés à l’art et à la création. Parmi eux, on peut noter quelques noms de producteurs réguliers qui privilégient les sujets littéraires ou artistiques, comme Jean-Loup Rivière ou

10. « Memento Libri », Atelier de création radiophonique, René Farabet, France Culture, 18 octobre 1992, 120 min.

11. « La culture cyberpunk », Atelier de création radiophonique, Daniel Riche, Pierre Crestin, France Culture, 24 novembre 1991, 115 min.

12. « Deixa Falar ou la musique populaire brésilienne », Atelier de création radiophonique, Geraldo Nunes, Jean-Loup Rivière, Ivanka Stoianova, Elisco Verone, France Culture, 22 mai 1977, 139 min.

Daniel Caux. Les producteurs de passage, souvent écrivains ou poètes, privilégient également ces thématiques.

D’après Marie-Ange Garrandeau13, René Farabet et Jean-Loup Rivière ont pour habitude de traiter de sujets littéraires à travers leurs documentaires. Jean-Loup Rivière arrive à l’Atelier de création radiophonique en 1973 après avoir étudié la philosophie. Il devient par la suite dramaturge, chargé d’études au centre Georges Pompidou et critique dramatique pour le journal Libération, puis maitre de conférences en études théâtrales à l’Université Paris III Sorbonne Nouvelle et professeur d’études théâtrales à l’École normale supérieure de Lyon. Jean-Loup Rivière reste attaché à l’héritage du théâtre radiophonique et produit ainsi des adaptations théâtrales pour la radio14. Il produit également des documentaires radiophoniques. Au sein de l’ACR, il prend part à la fabrication d’émissions en lien avec le théâtre notamment. En 1976, il cosigne avec René Farabet une émission sur l’écrivain et dramaturge Pierre Guyotat15. Cette émission donne à entendre des extraits d’entretiens, des extraits de spectacles, des lectures, des jeux sonores.

D’autres producteurs, qui ne font pas partie de l’équipe fixe de l’ACR mais créent régulièrement des documentaires pour l’émission ont également certains sujets privilégiés. C’est le cas de Daniel Caux, producteur à l’Atelier de création radiophonique de 1970 à 1987. Après des études d’arts plastiques à l’École des arts appliqués à Paris, il devient musicologue et critique musical, ce qui le conduit au sein de l’ACR à signer principalement des émissions en lien avec la musique.

On faisait aussi beaucoup d’émissions musicales, on en a fait notamment avec Daniel Caux. Il savait tout de la musique contemporaine américaine, c’était une somme. Je me souviens, on a par exemple fait une émission sur Nina Hagen16.

Comme en témoigne Marie-Ange Garrandeau, Daniel Caux est notamment spécialisé en musique contemporaine. À la fin des années 1960, il se spécialise dans les avant-gardes musicales américaines et les nouvelles tendances du jazz. Au sein de l’ACR, il apporte cette

13. Entretien avec Marie-Ange Garrandeau, voir annexe II, p. 179-189.

14. Pierre-Marie Héron, « Présentation. Billetdoux, Ollier, Sarduy, Thibaudeau, Beckett, Butor, Sarraute… », textes du colloque « Atelier de création radiophonique (1969-2001) : la part des écrivains », oct. 2018 [en ligne, http://komodo21.fr/presentation-7/, consulté le 22 mai 2019]

15. « Pierre Guyotat 73-76 », Atelier de création radiophonique, Jean-Loup Rivière, René Farabet, France Culture, 29 novembre 1981.

passion pour les nouvelles tendances musicales. En 1978, il signe « La Maquina de cantar ; Biofeedback plus17 ». Dans une première partie intitulée « La Maquina de cantar »,

l’émission plonge l’auditeur dans l’œuvre du compositeur argentin Horatio Vaggione, qui présente ses œuvres de musique électronique. Cette partie est composée d’extraits d’entretiens et d’extraits musicaux. Dans une seconde partie intitulée « Biofeedback plus », Daniel Caux donne à entendre plusieurs œuvres musicales de David Rosenbloom, compositeur américain de musique électronique. Parmi elles, une « Improvisation à deux orgues électroniques », l’enregistrement d’une installation sonore et celui d’un « concert solo pour ordinateur »18. Les œuvres présentées par Daniel Caux dans cette émission sont bel et bien comprises dans le terme de « musiques nouvelles », puisqu’il s’agit ici de musique électronique.

Parmi les producteurs d’émissions de l’Atelier de création radiophonique, nombreux sont les écrivains. Dans les années 1970, parmi les producteurs de passage, qu’ils aient été producteurs de documentaires ou d’autres formats radiophoniques, on note plusieurs noms d’écrivains, tels que François Billetdoux, Jean Thibaudeau, Severo Sarduy, Jean-Pierre Faye, Claude Ollier, Alain Jouffroy, Jacques-Pierre Amette, Samuel Beckett, Georges Perec, Hélène Cixous, Colette Fellous, Michel Chaillou, Jean-Clarence Lambert, Matthieu Bénézet19. Dans les années 1980, les noms d’écrivains se font plus rares. Pour beaucoup, c’est la publication d’un ouvrage qui donne lieu à une collaboration avec l’ACR. Quelques écrivains ont néanmoins produit ou coproduit des émissions au cours de la décennie. Parmi eux, Jean Daive, Valère Novarina, Christian Prigent, Jean-Christophe Bailly ou encore Michel Deguy20. Dans les années 1980, la parole des écrivains prime sur leurs écrits21. S’ils collaborent moins à l’ACR, peut-être ont-ils un rôle plus important dans la fabrication des émissions. Il semble qu’il y ait lors de cette période moins de lectures de textes que d’extraits d’entretiens. « Le jeu consistait, de plus en plus, à monter morceaux de conversations et

17. « La Maquina de cantar ; Biofeedback plus », Atelier de création radiophonique, Daniel Caux, France Culture, 4 juin 1978, 137 min.

18. « La Maquina de cantar ; Biofeedback plus », Atelier de création radiophonique, Daniel Caux, France Culture, 4 juin 1978, 137 min., générique de l’émission.

19. Pierre-Marie Héron, « Présentation. Billetdoux, Ollier, Sarduy, Thibaudeau, Beckett, Butor, Sarraute… », textes du colloque « Atelier de création radiophonique (1969-2001) : la part des écrivains », oct. 2018 [en ligne, http://komodo21.fr/presentation-7/, consulté le 22 mai 2019].

20. Ibid.

21 . Christian Rosset, « Une expérience de frottages », textes du colloque « Atelier de création

radiophonique (1969-2001) : la part des écrivains », oct. 2018 [en ligne, http://komodo21.fr/presentation-7/,

fragments de lectures, sans qu’il n’y ait illustration de l’une par l’autre22 ». Si les paroles

d’écrivains sont peut-être moins présentes, celles-ci se font plus travaillées, mêlées et fragmentées par des jeux de montage et de mixage. La parole des écrivains, comme les sujets en lien avec la poésie, le théâtre, la littérature, mais aussi l’art et la création dans son ensemble représentent une part très importante de l’Atelier de création radiophonique de 1969 à 2001. Sur l’ensemble de la période, d’autres tendances se dessinent en termes de thématiques et de sujets traités.