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Des techniques du corps aux soins du corps

Le port de vêtement, à un moment ou à un autre, conduit à s’interroger sur le corps et sur les différentes modalités sociales de son utilisation. Marcel Mauss, en ethnologie, a défini comme les « techniques du corps » : « les fa- çons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps2». Mais Marcel Mauss ne s’arrête pas en chemin et,

au-delà des techniques, il souligne culturellement la double nature du corps, à la fois objet et moyen : « Le corps est le premier et le plus naturel instru- ment de l’homme. Ou plus exactement, sans parler d’instrument, le premier et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen technique, de l’homme, c’est son corps3. » Pour Marcel Mauss, l’un des précurseurs en ce

domaine, toutes ces « techniques du corps » s’articulent selon trois fonctions principales. D’une part, c’est l’art d’utiliser le corps humain dans un contexte que domine la raison d’une pratique collective (habitus), et que sous-tend implicitement l’idée d’éducation, d’apprentissage (nager, courir, par exemple). Ensuite, l’utilisation du corps peut s’accompagner d’une aide instrumentale et technique (des outils par exemple). Enfin, la technique supportée par le corps peut se dispenser de toute forme instrumentale et rester de l’ordre

. Idem, p. .

. Marcel M, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, , p. . . Ibid., p. .

De la « distinction sociale négative ». Codifications et usages ritualisés du vêtement 

d’un « acte traditionnel efficace ». De sorte que le corps apparaît comme pou- vant être tour à tour instrument ou support instrumental, dont « l’éducation fondamentale de toutes ces techniques consiste à faire adapter le corps à son usage1». Si les « techniques du corps » sont non seulement l’une des

dimensions culturelles d’une société, mais représentent aussi la manifesta- tion d’une forme « d’habitus » passant par des étapes importantes comme l’éducation, l’apprentissage, l’imitation, on peut envisager l’extension de cette dimension à des actes corporels non « forcément utiles ».

Marcel Mauss considère essentiellement « l’utilité » du corps (au sens étroit et restrictif qu’il donne à ce terme), nous nous proposons d’étendre le champ de cette réflexion en substituant l’efficacité à l’utilité, et le savoir-faire à l’ha- bitus. Ainsi, l’efficacité d’un savoir-faire permettra d’introduire des notions, marginales chez Marcel Mauss, comme les postures, la gestuelle, les manipu- lations d’objets, la préparation corporelle (la parure dans tous ces aspects), etc. Au-delà d’une stricte considération de la fonction sociale du vêtement, il convient d’ajouter l’ensemble complémentaire de toutes les pratiques qui touchent de près ou de loin à ce que l’on pourrait appeler les soins du corps comme la toilette, la coiffure, le soin des mains, le maquillage, etc.

L’ensemble de ces soins du corps emprunte leurs techniques à celles de l’hygiène en usage dans notre culture occidentale. Mais, par exemple, dans le cas particulier du maquillage s’opère un glissement qui ne réduit pas cette technique à une unique fonction d’hygiène. D’une part il s’agit de pratiques culturelles strictement réservées aux femmes (ou aux gens du spectacle), bien que depuis une dizaine d’année ces pratiques sous la forte poussée de la publicité et du marketing se développent aussi chez les hommes. Et d’autre part, ces techniques permettent de jouer sur les formes, les textures de peau, les reflets, les ombres, etc. en ayant pour finalité de construire une personnalité (persona : le masque) face à une dictature sociale des apparences dont les valeurs se réfèrent à des idéaux de jeunesse, de bonne santé, voire de beauté par l’effacement des disgrâces. Les séquences du vêtement (se vêtir), de l’ornement (se parer), des soins du corps font partie intégrante de formes de ritualisation de l’intime dans la perspective d’une représentation sociale, d’une scène quotidienne qui se joue aussi dans les apparences.

Nous ne sommes pas ici dans le jeu futile et capricieux d’un paraître de surface, l’importance de ces soins du corps se traduit concrètement par la nécessité d’une préparation et donc d’un lieu spécifique pour cette prépara- tion. Pierre Sansot a souligné de manière sensible le rôle joué dans le monde moderne et contemporain par « la salle d’eau » comme lieu privilégié d’une

 Rites et rituels dans l’intervention sociale

préparation du corps : « Elle permet encore et surtout le passage majeur de l’état de nature à l’état de culture1. » Le corps doit être préparé dans un lieu

spécifique, clos, intime, où, au-delà de simples considérations d’hygiène et de propreté se dessine l’idée d’une métamorphose du corps. Un corps ne peut s’offrir tel quel aux autres, il doit être préparé. Il s’agit là d’une véritable méta- morphose. Ainsi la personne exclue de tout peut difficilement envisager une telle préparation, la mise en scène du moi social demande certes de posséder non seulement des vêtements mais aussi d’accomplir un certain nombre de gestes, de soins du corps, et ceci dans un lieu spécifique.

Dans ce domaine, il convient de souligner le travail important effectué par des associations de lutte contre les exclusions qui proposent ce que l’on nomme un « vestiaire », c’est-à-dire un lieu où l’on peut échanger des vête- ments sales contre des vêtements propres, parfaire une tenue (vêtements chauds pour l’hiver ou plus légers pour l’été), chausser ses pieds de chaus- sures adaptées. À cela s’ajoute parfois, dans certaines structures, la possibilité de laver ses vêtements, de prendre une douche, de se raser et se couper les cheveux, en fait tout un ensemble de soins corporels correspondant aux prin- cipes élémentaires de l’hygiène moderne et prenant en considération tant l’environnement climatique que certains modèles idéaux de masculinité ou de féminité.

L’hygiène occidentale passe par la propreté. Dès lors que le poil peut pa- raître sale s’il n’est pas contenu, les cheveux devront être courts (pour les hommes) et le visage rasé. Les mains sont propres ; les ongles sont nets. Mais au-delà de cette normalisation minimale, il existe un ensemble complexe et d’une grande diversité de pratiques sociales qui touchent au corps préparé, voire modifié, et que l’on regroupe sous l’appellation de Body Art comme un certain type de maquillage et de cosmétologie (y compris pour les hommes), le tatouage, le body-building, la chirurgie esthétique et plastique, le piercing, la scarification, le branding, le transsexualisme, les modifications corporelles, les automutilations, etc.2