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La question des actions collectives en travail social et de la place des travailleurs sociau

Dans le document Rites et rituels dans l'intervention sociale (Page 160-164)

Le constat est dur et injuste : les actions collectives sont souvent de l’ordre de l’animation « socio-culturelle », de l’occupationnel, sans véritable finalité à long terme. En passant volontairement sur les différentes dénominations : in- tervention de groupe, intervention communautaire, intervention collective, intervention de développement, il faut souligner que la finalité des actions collectives est de permettre, de provoquer un changement définitif avec un gain qualitatif (de l’autonomie sociale des personnes à un changement so- cial) et quantitatif (transformation réelle pour l’ensemble d’une population concernée). Cette finalité doit (peut-être) se comprendre dans une dimension de changement social dans la mesure où il n’y a rien qui soit vraiment spé- cifique. Autrement dit, il existe des propriétés quasi universelles autour de l’exclusion qui sont la socialisation, l’insertion, l’identité/l’altérité, l’autono- mie. Une critique, toute relative, se fonde donc sur le danger par exemple, que l’intervention sociale d’intérêt collectif relève d’une « animation collective » qui provoque du changement individuel dans un cadre collectif (somme des problématiques sociales individuelles). Il faut insister, une véritable action collective doit, peu ou prou, provoquer du changement social au-delà du strict changement individuel. La question de l’assistanat est sous-jacente d’autant plus qu’elle est instrumentalisée idéologiquement dans le discours politique. Pour être juste et atténuer les formes de la critique, il convient de noter que

 Rites et rituels dans l’intervention sociale

les rares actions collectives qui sont proposées en travail social montrent que ces actions se font en marge des institutions, voire de manière « clandestine ». L’ISIC1existe déjà dans une certaine la « clandestinité ». Autrement dit,

et cela devient essentiel, les actions collectives apparaissent comme des réponses à des formes de résistances institutionnelles. D’où une question fon- damentale : est-ce que les actions collectives peuvent s’institutionnaliser ? Ou encore, est-ce que les actions collectives doivent être « dé-institutionnalisées », au départ pour en finalité être « ré–institutionnalisées » ? Cela sous-entend aussi, incidemment, la possibilité de rechercher obligatoirement des finan- cements hors institutions : fondations, entreprises, souscriptions collec- tives, dons en argent de particuliers mais aussi en nature. Il faut disposer de « moyens mercenaires », pour des « actions subversives » (subvertere, renver- ser). Ainsi la légitimité des actions collectives dans l’action sociale viendra de la reconnaissance de l’illégitimité de leur action initiale.

Dans une telle perspective quelle peut-être la place des travailleurs sociaux ? Le travailleur social peut être un initiateur, un orienteur, un accompagna- teur, un médiateur. Mais le travailleur social est toujours et avant tout un catalyseur. Il rend possible ce qui ne serait pas possible spontanément. Les travailleurs sociaux n’ont rien (ou si peu) à attendre de leurs Institutions face à des logiques utilitaristes et gestionnaires. Il n’y a plus de politiques de gauche ou de droite. Qui sont les chefs de service ? Des gestionnaires et des juristes. Il y a une transformation à mener quant au langage utilisé, il faut se débarrasser de la langue des « maîtres » : parler d’espaces sociaux en termes de population, de pratiques sociales, de circulations et de répartitions dans les espaces, plutôt que de parler de Territoires (langage de politiques publiques) ; parler de temps sociaux (voire de « temporalités différentielles »), plutôt que d’Urgence (la question du temps est essentielle) ; parler de personnes avec éventuellement un qualificatif mais éviter le terme de Publics ou d’Usagers ; parler d’observation, de trajectoires de vie, plutôt que de Diagnostic de terri-

toire ; parler de mobilisations au sens large plutôt que de Projets ; parler de

Changement individuel et collectif plutôt que d’Évaluation2; enfin, parler de

relations humaines et sociales, de solidarité collectives plutôt que de Lien

social. Ces questions anodines dans l’usage d’un vocabulaire se situent au-delà

de simples formulations générales ; elles contiennent les finalités du sens et de la pratique de toutes interventions collectives dans le champ du social.

. ISIC : Intervention sociale d’intérêt collectif.

. La question de l’évaluation ne doit pas pour autant être évacuée des actions collectives. Il importe même lors de la mise en œuvre d’une action de construire concomitamment les moyens d’un suivi et d’une évaluation pour non seulement mesurer l’évolution de l’action en termes de changement social, mais aussi de contrôle de la pertinence des moyens utilisés.

Conclusion générale 

Les actions collectives sont « subversives ». Les actions collectives se si- tuent dans les « dimensions interstitielles » du social. Les actions collectives n’existent pas en soi. Elles sont le résultat de la cristallisation d’éléments parfois disparates, hétérogènes qu’il convient d’orienter, de canaliser dans une finalité en valeurs et en normes. Ces « pratiques interstitielles » en marge des conventions et des institutions sont toujours non seulement de l’ordre de l’expérimental dans son effectuation et de l’expérience individuelle et de l’invention d’une action conçue comme un prototype et un modèle de série. Une action collective répond à un ensemble de règles précises : un intérêt commun, un espace social défini, une finalité construite, une synergie de collaborations, un pouvoir partagé, un engagement réel, des règles du jeu de cogestion. C’est ici que se situe cette « éthique éprouvée » et la nécessité de tenir compte de formes d’action et d’intervention dans des dimensions ritualisées.

Les pratiques rituelles ou ritualisées de l’aide

et de l’intervention sociale

Les formes possibles de pratiques rituelles ou ritualisées dans le domaine de l’aide et de l’intervention sociale valent comme réalité observable et comme encodage de signes. Ils possèdent un sens propre, un certain type d’actes ou de séquences particulières ayant une forte charge symbolique — acte cérémoniel, et un sens métonymique, l’évènement cérémoniel. À partir de ces distinctions purement pratiques, on peut émettre l’idée que le travailleur so- cial construit du sens en exécutant des actes orientés, en utilisant des symboles, en prononçant un discours, voire en manipulant des objets (cf. le chapitre sur « L’échange rituel des cadeaux en Service social ») ; mais aussi qu’il utilise

du sens en profitant de situations particulières : une demande sociale pré-

cise (« transmutée » en besoin social), un évènement de la vie quotidienne (une séparation, une perte, un manque, etc.). C’est en cela, peut être, que le travailleur social tient une place spécifique comme une sorte « d’arbitre sémantique » : il utilise du sens, il organise un changement, il accorde une réponse institutionnelle.

L’arbitrage sémantique du travailleur social est possible, car diverses opéra- tions de « métamorphose » offrent le moyen de composer des représentations faisant sens : une finalisation stricte de chaque geste (entretien, visite, etc.), un effacement de l’individu au profit d’une palette de personnages — l’ai- dant, l’accompagnateur, le médiateur, l’éducateur, l’orienteur, et in fine pour l’usager l’acquisition d’une surface sociale : « devenir pauvre » (cf. Simmel).

 Rites et rituels dans l’intervention sociale

Ainsi l’utilisation d’un système sémantique autonome et spécifique, permet d’investir tous les espaces de la communication et de la transformation so- ciale, dans une finalité pratique à des degrés plus ou moins probants : rien ne garantit la réussite de l’aide et de l’intervention sociale pour l’usager. Il y a à travers la « magie du geste » du travailleur social, un acte qui prend du sens dans sa capacité à signifier la continuité sociale (le fameux « vivre ensemble »), la cohérence et la cohésion du social, l’expression d’une autorité parfois par la coercition, la possibilité d’une conciliation dans les rapports conflictuels. L’un des supports directs de cette capacité réside dans la possibilité d’invention des figures ou « personnages » sociaux constitutifs de « l’être » institutionnel du travailleur social, aussi dissemblables que ciblés dans leur finalité.

À chaque représentation (la relation d’aide) la construction d’un person- nage entraîne la destruction (symbolique) du sujet, de l’individu en tant que personne (physique et psychique). Les « métamorphoses » du travailleur social (en personnage de l’aidant, de l’accompagnateur, du médiateur, de l’éducateur, de l’orienteur) illustrent « ce qui potentialise », rend possible et efficace l’acte d’aide et dont les conséquences se mesurent en termes de sur- face sociale, de références paradigmatiques (« être inséré » ou « être intégré »), « d’actes d’institution » (cf. Bourdieu), de renforcement d’un statut social, de

projection idéale (sortir de l’exclusion).

Enfin, si l’on se situe sur le versant finaliste et utilitariste des pratiques rituelles ou ritualisées dans le domaine de l’aide et de l’intervention sociale, la mosaïque de ces pratiques rituelles ou ritualisées relève d’un trait culturel presque exclusif à la France. La plupart des pays européens ne possèdent pas un système de protection social aussi sophistiqué que celui en place en France. À cela plusieurs raisons, d’une part cette spécificité française de la ritualisation du pouvoir contient en filigrane l’expression d’un patrimoine historique le luttes sociales, une domination du religieux (d’une pauvreté consentie au catholicisme sociale), un goût pour la centralité et le contrôle surplombant de l’administration (politiques sociales).

Dans le document Rites et rituels dans l'intervention sociale (Page 160-164)