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Figurations sociales

Dans le document Rites et rituels dans l'intervention sociale (Page 146-148)

Le premier tableau, « l’entretien d’aide » en service social, peut être décrit comme l’expression d’une forme de ritualité et de sacralité, conçues comme la rencontre particulière entre deux personnes aux trajectoires sociales diffé- rentes : l’usager et le professionnel de l’aide sociale. Du « premier contact » aux différentes rencontres successives apparaissent des séquences codifiées qui inscrivent l’entretien dans une pratique ritualisée allant au-delà de la seule compréhension d’une situation sociale d’exclusion et du simple ajustement d’une demande à des besoins personnels. Ainsi l’usager pourra non seule- ment retrouver une certaine image sociale tout en initiant une adaptation ou une modification d’une certaine situation d’exclusion, mais aussi il pourra établir une position statutaire au regard du professionnel et de l’institution. Ce « rituel d’une reconnaissance » ne peut pas se réduire à de simples effets de structure, mais il est bien une modalité même de l’action sociale provoquant parfois le premier retour d’un sentiment d’appartenance à la société.

Le deuxième tableau, s’intéressant aux cadeaux offerts aux assistants de service social, constitue l’occasion de souligner l’existence d’une relation paradoxale entre un usager et un professionnel du travail social dans la mesure

 Rites et rituels dans l’intervention sociale

où tout semble signifier (et de marquer) la fin et le prolongement d’une relation d’échange. Au cœur de cette relation se noue non seulement un acte d’échange et de reconnaissance (interaction), mais aussi un acte représentatif (symbolique).

Le troisième tableau pose la question du domestique et de l’intime. Le domestique n’est pas un lieu du repli sur soi, mais plutôt un théâtre ritua- lisé où peut se recréer, dans l’intime et le minuscule, une socialité jusque- là malmenée. Aux travailleurs sociaux qui y interviennent de percevoir et d’accompagner cette socialité « non-dite » et essentielle qui contredit tous les discours sur la disparition des relations et des solidarités sociales. Ce tableau dépasse la stricte intervention des assistants de service social, et ouvre de fait l’espace aux autres acteurs de l’aide, de l’accompagnement, de l’intervention. Le quatrième tableau s’inscrit au cœur de la ville moderne qui constitue un théâtre d’images où la représentation et la mise en scène des formes sociales permettent à l’individu de se confronter à l’exacerbation et à la valorisation de la différence sous de multiples formes. Ainsi ce qui se joue ou peut po- tentiellement se jouer pour l’individu dans le domaine de la représentation vestimentaire, c’est l’effacement de soi ou son « hypereprésentativité », la simplicité ou l’extravagance, la neutralité ou la provocation. L’individu ano- nyme des villes est toujours dans une relation de confrontation à l’illimitation des possibles. À partir de cette apparente liberté, une question essentielle se pose : peut-on parler d’un vêtement spécifique de l’exclusion sociale ? Ce tableau tente d’offrir une réflexion à travers l’usage du vêtement sur les repré- sentations sociales et les apparences dans les situations vécues d’exclusion ou de marginalité.

Le cinquième tableau explore la notion de kaffeeklatch. Notion qui renvoie directement au fait de partager un café et de bavarder. Cette « cérémonie » du café établit non seulement une forme de communication singulière, mais aussi renforce une part des relations sociales. Il ne s’agit pas d’un fait ba- nalement inscrit dans la vie quotidienne, mais bien de l’expression d’un microrituel. Ainsi, dans le domaine de l’intervention sociale, mais pas seule- ment, se manifeste une sorte de pratique contribuant à sacraliser, par une liturgie profane, l’« être-ensemble » d’un couple aussi dissemblable, que le professionnel du social et l’usager de ces mêmes services.

Enfin, le dernier tableau, à partir d’une approche spéculative, propose une réflexion générale sur la mort des personnes sans-abri. Le propos s’inscrit dans le cadre de nos sociétés modernes qui, par une sorte de transfert de la mort à des cadres restreints (individuels), ont d’une certaine façon « dé- ritualiser » et « désocialiser » la dimension collective des rituels funéraires (ou déplacé). À partir d’un tel constat que signifie la mort des personnes

D’une figuration sociale à l’invention d’un système de différenciation normatif 

sans-abri ? Est-ce la manifestation absolue d’une forme de négation sociale ? Que disent les tentatives faites pour réintroduire une forme de rituel lorsque ces personnes socialement disparues disparaissent physiquement ? Au-delà des réponses à ces questions fondamentales, le tableau devient miroir. Miroir inversé de notre propre condition pour le dire comme Patrick Declerck1.

Tous ces tableaux témoignent en faveur de l’existence d’une scène sociale. Les représentations sociales apparaissent comme un vaste théâtre où se joue tragiquement et douloureusement le jeu des rapports sociaux. En effet, comme toute représentation, notamment théâtrale, les pratiques ritualisées en service social possèdent une dimension d’artifice. Artifice symbolique centré sur la personne unique de l’assistant de service social désigné par l’institution, que de ce fait il incarne et à laquelle il s’identifie. Artifice aussi au sens d’artificium, désignant un certain art, intimement lié à la fonction (au « métier »), aussi bien qu’à utiliser les savoirs d’une connaissance pratique et le maniement d’usages calculés. Par ailleurs, ces artifices symboliques que sont les interventions sociales ritualisées sont des formes « vivantes », évolutives, conjuguant habilement archaïsme et modernité, des formes qu’il faut mon- trer, entretenir, nourrir et quelquefois faire naître ou renaître, des formes enfin se réclamant (selon l’expression de Pierre Bourdieu) d’un consensus

omnium et qui donc relèvent indiscutablement de l’ordre du rituel2.

Dans le document Rites et rituels dans l'intervention sociale (Page 146-148)