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Conclusion générale

Dans le document Rites et rituels dans l'intervention sociale (Page 156-159)

Après un certain nombre d’observations et de constats, il importe d’établir une forme de synthèse critique autour des questions de l’idéologie, de la mobilisation des usagers, des actions collectives, des pratiques rituelles.

L’idéologie et le discours des « maîtres »

Idéologie1ou le discours des maîtres désignent de manière tout à fait ex-

plicite les « productions » (textes, discours, législations, etc.) qui émanent d’institutions comme l’État central (ministères, administrations), les conseils départementaux, les villes, les agglomérations. Cette question de l’idéologie, axée sur l’action des pouvoirs publics, permet de souligner que le problème de l’altérité et tout particulièrement une altérité qui se construit dans les formes de l’exclusion, est évacué par des actions conçues par d’autres. Autre- ment dit, qui décide de ma vie ? Pourquoi décide-t-on à ma place ? Le « bien être », le « bien être pour tous ». Qui sait ce qu’est mon « bien être », voire aussi mon bonheur ? Par continuité, se pose aussi la question de l’utilisation

. Sans entrer dans le détail d’une compréhension et d’une définition de la notion d’idéo- logie, il est possible d’en établir les fonctions premières à partir des recherches de Jean-Pierre Sironneau. Ainsi l’idéologie se caractérise en premier lieu par sa fonction « d’intégration », fonction concernant : « La représentation, l’image qu’un groupe se donne de lui-même. [...] Tout groupe humain se représente son rapport à l’origine, élabore un mythe fondateur qui sera le garant du lien social et le “ciment” de la conscience collective ». Elle se caractérise ensuite par sa fonction de « domination » : « Cette fonction de l’idéologie se rapporte au phénomène du pouvoir dans le groupe, aux aspects hiérarchiques de l’organisation... Dans cette fonction de domination, l’idéologie ne va pas sans une certaine dissimulation des rapports de pouvoir, corollaire de leur légitimation ». Enfin l’idéologie se caractérise par sa fonction de « renverse- ment » : « Celle [...] qui nous fait prendre le réel pour l’imaginaire ». Jean-Pierre S, « L’idéologie entre le mythe, la science et la gnose », L’Imaginaire du Politique, Les Cahiers de

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de « concepts creux », usés par des pratiques démagogiques, que l’on généra- lise comme allant de soi : la « Démocratie », la « Citoyenneté », l’« Égalité », les « Discriminations », le « Développement durable » (à la sauce sociale), la « Solidarité », le « Bien commun public », etc. Véritable invention d’une nov-

langue comme outil servant de masque, de paravent, et d’alibi à des réalités

humaines et sociales éthiquement inacceptables1. Si l’on rapporte tous ces

éléments à une dimension sociologique, on peut comprendre que l’action de ces institutions publiques s’inscrit dans une triple « démythification » : le tout volontarisme politique est de l’ordre d’une mise en scène (une théâtralisation du politique) ; l’État, au sens large, homogène et impartial est un mythe. Les prises de décisions en matière sociale ne sont pas toutes rationnelles et adaptées.

Ainsi débarrassé d’une vision hiérarchique et hiératique de l’État, il convient de centrer le regard sur l’action politique concernant les formes de l’articulation entre une régulation politique et une régulation sociale. Et aussi, entre ce qui relève de la maîtrise des politiques publiques et de ce qui lui échappe. Ce qui lui échappe intéresse directement les actions collectives, c’est ce qu’il faut appeler les « dimensions interstitielles du social ». Lieux possibles d’action collective. Dit encore d’une autre manière, il convient de faire avec ou contre, l’illusion d’un intérêt général, la puissance de groupe d’intérêt, les différentes recompositions des élites (et pas seulement politiques). Il ne faut pas oublier aussi que la légitimité et la domination politiques doivent beaucoup aux petits groupes publics ou privés, formels ou informels, (lobbies). C’est-à-dire aux « petits intérêts particuliers » pour le dire pudiquement. Ce sont ces « petits intérêts » qui vont contre toutes les formes de l’intervention sociale2. En un mot, nous sommes dans une forme inédite de « fragmentation

des pouvoirs de l’État » (État central, conseils départementaux, villes) et d’une intrusion massives d’« autres acteurs » qui s’institutionnalisent (groupes pu- blics ou privés, groupes formels ou informels, intérêts particuliers et lobbies).

. Dans cette perspective restreinte, l’idéologie se rapproche de la conception de Pour Michel Meyer : « Corpus d’idées développées dans un but spécifique : la légitimation ou la critique d’un ordre socio-politique », Michel M, Langage et littérature, Paris, PUF, , p. .

. Cette dimension de la domination politique offre une nouvelle perspective à Catherine Kerbrat-Orecchioni : « Un système de représentations (une forme de contenus) de nature interprétative (et non “objective”) jouant un rôle historique et politique précis (le travail idéologique vise à justifier les intérêts d’une classe donnée) qui tend, fallacieusement, à s’uni- versaliser et se naturaliser (l’idéologie ne s’avoue jamais comme telle ; elle ne cesse au contraire de dire : je suis pas l’idéologie) et qui, tout en investissant le langage verbal, constitue elle- même un langage relativement autonome », Catherine K-O, La connotation, Lyon, Presses universitaires de Lyon, , p. .

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Constat brutal, le social n’est pas la priorité, voire même la finalité première de l’action des pouvoirs publics.

Les politiques sociales passent par une compréhension multidimension- nelle non seulement structurelle mais aussi idéologique. Tout d’abord la dimension structurelle correspond à l’action publique territoriale qui évolue vers une standardisation des pratiques, donc l’intervention sociale aussi. Pré- cédemment, il a été souligné le fait que la standardisation s’exprime par une professionnalisation des élites politiques locales et par l’importance donnée à l’expertise de certains acteurs principaux (techniciens, experts fonctionnaires territoriaux spécialisés). De plus cette standardisation s’exprime aussi par des contraintes liées au contexte territorial. C’est par exemple, la nature du tissu social et économique recouvrant un certain nombre de contraintes et de disparités territoriales. Ensuite la dimension idéologique correspond au fait que l’on assiste à un mouvement de plus en plus sensible, qui est celui du déclin de l’engagement militant et un recul d’idéologies dominantes. Effet direct de ce qui précède, on constate que l’alternance politique au niveau de l’élection locale, relève plus d’un changement symbolique que d’un véritable changement idéologique et partisan. Il n’y a plus de politique strictement de gauche ou de droite au niveau local. La logique du pouvoir transcende les clivages traditionnels entre les partis de gauche et ceux de droite1.

En termes de conséquences, à partir de ces deux dimensions, il semble émerger une nouvelle forme de « clientélisme » fondée sur la compétence dans l’action publique, l’expérience technique, et une manière élargie une capacité d’écoute des demandes particulières des citoyens. Avènement d’une figure du « citoyen client », émergence d’une « société civile éclairée ». Mais, l’expérience politique montre sur quelques questions collectives que cette « société civile éclairée » n’aime pas le social. Il suffit pour s’en convaincre de constater les polémiques et les oppositions sur les implantations de lo- gements sociaux, sur l’ouverture de salles de consommation de drogue à moindre risque2, sur la mise en place de lieux d’accueil pour personnes sans-

abri ou encore de l’établissement de maisons spécialisées pour personnes handicapés mentaux. Pour comprendre les conséquences de cette situation il faut tenir compte des raisons de ce constat qui résultent des effets de la décen- tralisation et des transferts de compétence obligeant de manière structurelle

. Voir l’article de Lionel A, Christian L B, Romain P, « Standardisa- tion de l’action publique territoriale et recomposition du politique » dans Lionel A, Christian L B, Romain P (sous la direction de), Idéologies et action publique

territoriale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, , p. -.

. Ces lieux sont souvent définis sous le vocable de « salle de shoot », ce qui en fait un objet rédhibitoirement négatif et porteur de tous les fantasmes sur les usagers de drogues.

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à une recomposition des standards de l’action publique. Nouvelle organi- sation du travail, nouveaux acteurs locaux, nouvelles compétences, arrivée d’innovations techniques, etc. Les raisons de ce constat résultent aussi par une augmentation l’imposition locale contraignant les acteurs politiques à une gestion de plus en plus comptable (coût/efficacité, stabilisation des dépenses, mutualisation des investissements). Enfin, il ne faut pas oublier, les nouvelles problématiques de l’action publique territoriale : la sécurité publique, la diversité locale et les réseaux locaux, la vision idéologique du ter- ritoire (mixité sociale), la demande de lieu de culte, l’évolution de prestation sociale (PSD/APA1). Tout ceci conduit au passage d’une idéologie partisane

et politique à une idéologie professionnelle. Tout ceci offre peu (voire pas) de place à d’authentiques actions collectives qui ne peuvent se faire que sur du long terme et avec un risque important d’échec.

Les usagers des services sociaux et leur

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