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Formellement, le taux de nucléation correspond au nombre d’embryons – par unité de temps – qui peuvent poursuivre leur croissance au delà du rayon critique r∗. La connaissance du taux de nucléation permet d’évaluer le nombre d’embryons créés en fonction des conditions du milieu, et d’avoir ainsi accès au nombre de cristaux entrant en croissance. Les taux de nucléation homogène et hétérogène sont notés respectivement Jhom et Jhet.

II.A.3.a Unités

Nous considérons un volume d’atmosphère avec une certaine concentration n(R) de substrats (m−3) ou Noyaux de Condensation de rayon R (appelés CN, pour l’anglais Condensation Nuclei).

Dans le cas de la nucléation homogène, les embryons se formant à même le volume de gaz, nous parlerons du nombre d’embryons se formant par unité de volume et de temps :

Jhom → m−3 s−1.

Dans le cas de la nucléation hétérogène, les embryons se formant sur des surfaces préexistantes, l’unité est surfacique :

Jhet → m−2 s−1.

Le taux de nucléation peut ainsi s’exprimer pour un CN de rayon R, de surface 4πR2 : Jhet,R= 4πR2× Jhet → s−1.

Enfin, connaissant en plus la concentration n(R) des CN (m−3) il est possible de se ramener à l’unité du taux de nucléation homogène (m−3 s−1) :

Jhet,vol = n(R) × Jhet,R= 4πR2× n(R) × Jhet→ m−3 s−1.

Notons dès à présent que dans le cas de la nucléation homogène, le nombre d’embryons créés est égal au nombre de cristaux entrant en croissance. En revanche, dans le cas de la nucléation hétérogène, le nombre d’embryons créés est égal au nombre de cristaux si l’on suppose qu’il ne se forme qu’un seul embryon par noyau de condensation. Ce sera le cas en pratique, et on dit alors que le noyau de condensation est « activé » (pour la croissance).

II.A.3.b Expressions de Jhom et Jhet

Une expression générale du taux de nucléation J, pour un col énergétique ∆F∗ à franchir, peut être formulée ainsi (voir par ex. Määttänen et al., 2005; Vehkamäki, 2006) :

J = Zβc exp(−∆F∗

/kT ), (II.13)

où Z est un facteur sans dimension (facteur de Zeldovich), β le taux de collision des molécules du condensable avec l’embryon critique (s−1), et c leur concentration (en m−3 ou m−2). Ces trois grandeurs revêtent des expressions différentes en fonction de la nature de la nucléation. Leurs expressions sont résumées dans le tableau II.1 et expliquées dans la suite. Les valeurs numériques des grandeurs utiles à la détermination de J sont indiquées dans le tableau II.2.

Le facteur de Zeldovich Z repose sur le fait que la formation d’un embryon est un processus hors-équilibre. Une approche à l’équilibre contraint suppose que le flux net de molécules vers l’em- bryon en formation est nul, c’est à dire qu’il y a autant de molécules qui arrivent et qui partent de l’embryon. Ceci n’est pas réaliste dans le cas où S > 1 (hors-équilibre) : il y a un flux de mo- lécules non nul vers l’embryon. L’approche hors-équilibre permet de tenir compte du flux non nul de molécules, noté J, et de l’exprimer avec une hypothèse de stationnarité (le nombre d’embryons contenant un nombre donné de molécules ne varie pas). L’approche à l’équilibre thermodynamique contraint impliquerait en outre un nombre infini des plus grands embryons.

L’aspect dynamique du processus de nucléation est ainsi pris en compte, avec une cinétique non nulle. Les deux approches (équilibre et hors-équilibre) diffèrent au final par ce seul facteur Z dans l’expression du taux de nucléation : J = ZJequ,th. Notons maintenant que le terme c exp(−∆F

/kT ) correspond à une statistique de Boltzmann, qui donne la population du niveau énergétique ∆F∗dans un environnement à la température T . Cette statistique est satisfaisante pour la seule expression de Jequ,th. L’état d’équilibre thermodynamique favorise la population d’embryons au niveau énergétique le plus faible. Il suffit ensuite de l’apport d’une molécule supplémentaire pour faire basculer un

Table II.1 – Grandeurs intervenant dans l’expression des taux de nucléation homogène et hétéro- gène, à utiliser avec l’équation II.19 donnant le taux de nucléation. (Voir présentations des diffé- rentes grandeurs dans le texte.) Les valeurs numériques des constantes utilisées sont données dans le tableau II.2.

Nucléation Homogène (Jhom) Hétérogène (Jhet) ∆F∗ ∆F∗ hom ∆F ∗ het Z ∆F ∗ hom 3πkT n∗2 hom ∆F∗ het 3πkT n∗2 het n∗ (4/3πr∗3 )/vm [f (m, x)/fn∗(m, x)]1/2n∗ hom c cvol= pv kT csurf = pv kT × vth ν exp ! ∆Fdes kT " β cvol× 4πr∗2 × vth csurf × 2π[r∗ sin(θ)] × δνexp! −∆Fsd kT "

embryon critique en phase de croissance. Cet apport est quantifié par le taux de collision. A noter que la formulation exacte du facteur de Zeldovich pour la nucléation hétérogène est présentée dans Vehkamäki et al. (2007). En pratique la formule utilisée ici est suffisante et ce n’est que pour des substrats de quelques nanomètres qu’une différence (très faible) apparaît sur le taux de nucléation.

Le nombre de molécules dans l’embryon critique n∗ prend une expression différente selon que l’on considère une nucléation homogène ou hétérogène. Si n∗

hom est simplement le volume de l’embryon divisé par le volume occupé par une molécule en phase condensée, n∗

het a une expression tenant compte de la géométrie de la calotte embryonnaire formée sur le substrat, différente d’une simple sphère ou demi-sphère. Ainsi, n∗

het= [f (m, x)/fn∗(m, x)]1/2n∗

hom où f (m, x) est la fonction intervenant dans l’énergie de nucléation hétérogène et fn∗(m, x) est donné dans Määttänen et al.

(2005).

La concentration de monomères c, dépend du processus de nucléation. Dans le cas de la nucléation homogène c est la concentration volumique des molécules, donnée par la loi des gaz parfaits, et notée cvol. Dans le cas de la nucléation hétérogène, c est la concentration surfacique des molécules de vapeur, notée csurf. Elle se détermine en considérant l’équilibre des flux (surfaciques) des molécules qui se fixent au substrat et de celles qui s’en détachent :

csurf × ν exp(−∆Fdes

kT ) = cvol× vth, (II.14)

avec ν la fréquence de vibration d’une molécule (perpendiculairement à la surface) et ∆Fdes son énergie de désorption, ν exp(−∆Fdes/kT ) donne bien le taux moyen de désorption d’une molécule dans l’environnement à la température T . vth est la vitesse d’agitation thermique des molécules.

Le taux de collison β, dépend de la même façon du processus de nucléation. Dans le cas de nucléation homogène, les molécules s’ajoutent directement à l’embryon critique de surface 4πr∗2 et β s’exprime simplement comme le produit de cette surface, de cvol et de la vitesse d’agitation thermique des molécules. Dans le cas de la nucléation hétérogène, le processus le plus favorable énergétiquement (nous justifions cela un peu plus loin) est la diffusion des molécules adsorbées à la surface du CN (avec concentration surfacique csurf) vers l’embryon. On définit δ comme étant la distance moyenne parcourue par une molécule à chaque « saut » à la surface du substrat. A la surface du substrat (sphérique), l’embryon présente un front (circulaire) de périmètre 2πr∗

sin(θ), par lequel les molécules s’incorporent à l’embryon. β s’exprime alors comme le produit de cette longueur, de csurf et d’une vitesse effective de diffusion de surface valant δνexp (−∆Fsd/kT ).

L’incorporation d’une molécule à l’embryon, par diffusion à la surface du substrat, est bien plus efficace que son incorporation directe (depuis la phase vapeur). Dans le cas direct, le taux de collision est βdirect = πr∗

2

vthcvol, l’embryon présentant aux molécules de vapeur une section d’intersection valant πr∗2. Comparons alors au taux de collisions évalué plus haut (en utilisant le lien entre c

vol et csurf donné par l’équation II.14) : βsurf/βdirect ∼ exp [(∆Fdes− ∆Fsd)/kT ] >> 1 aux températures considérées (voir Tableau II.2). Ainsi, bien que les deux processus se déroulent en même temps, le mécanisme de diffusion en surface est largement privilégié et nous ne considérerons que celui-ci. Cela traduit le fait qu’entre la diffusion dans un plan et la diffusion dans un espace la probabilité de rencontre sera plus forte dans le premier cas.

Grandeur Nom valeur

mm Masse d’une molécule 7,3 10−23 kg

Mv Masse molaire 44,01 g mol−1

ρi Densité de la glace(a) 1600 kg m−3

σ Energie de surface de la glace(a) 0,080 J m−2

m Paramètre de contact(b) 0,952

∆Fdes Enérgie de désorption d’une molécule(c) 3,25 10−20 J ∆Fsd Energie de diffusion en surface d’une molécule(d) 3,25 10−21 J ν Fréquence de vibration d’une molécule(e) 2,9 1012 s−1 δ Déplacement moyen d’une molécule(a) 4,0 10−10 m

Table II.2 – Grandeurs relatives au CO2, utilisées dans l’expression du taux de nucléation, ainsi que leur valeur. (a) : Wood (1999) ; (b) : Glandorf et al. (2002) ; (c) : Zent and Quinn (1995) ; (d) : Seki and Hasegawa (1983) ; (e) : Sanford and Allamandola (1990)

II.A.3.c Rapport de saturation critique Sc

Nous pouvons maintenant examiner l’efficacité des deux processus de nucléation en évaluant les taux de nucléation homogène et hétérogène. Cette efficacité s’évalue en considérant le rapport de saturation critique Sc. Pour différentes conditions atmosphériques martiennes nous comparons la saturation nécessaire pour voir l’apparition d’un embryon par seconde et par cm−3 d’air de composition en CO2fixée à xv = 0, 95. Jhomest déjà exprimé dans la bonne unité. Pour la nucléation hétérogène nous allons considérer Jhet,R et considérer que dans 1 cm3, il y a un noyau de rayon R. Nous comparons alors les rapports de saturations critiques, pour lesquels par définition Jhom= 1 cm−3 s−1 et J

het,R= 1 CN−1 s−1 (centre de la bande tracée dans les figures II.8 et II.9). Dans les deux cas nous comparons l’efficacité de le formation d’un embryon (en supposant toujours qu’il suffit d’un embryon pour activer le noyau de condensation dans le cas hétérogène). La Figure II.8 montre que dans le cas de nucléation homogène, pour des conditions de surface, Sc ∼ 105 (à des altitudes

Figure II.8 – Taux de nucléation homogène (Jhom, en cm−3 s−1) en fonction du rapport de sa- turation pour deux pression atmosphériques différentes : ∼600 Pa à la surface et 10−2 Pa dans la mésosphère (∼80 km). La valeur de 1 cm−3 s−1 (centre de la bande horizontale) est usuellement prise pour définir le rapport de saturation critique.

FigureII.9 – Taux de nucléation hétérogène (Jhet) par particule (CN) et par unité de temps (s−1) pour deux pressions atmosphériques différentes et deux tailles de CN différents : R = 1 µm à la surface (600 Pa) et R = 10 nm dans la mésosphère à 10−2

Pa (∼80-90 km). On retrouve bien la saturation critique de 1, 35 pour R = 1 µm (effet de courbure négligeable), valeur déterminée expérimentalement par Glandorf et al. (2002).

troposphériques Sc ∼ 5 · 106). Dans la mésosphère il faudrait des valeurs de Sc bien supérieures à 1011 pour que la nucléation homogène du CO

2 soit efficace. Dans la pratique ces sursaturations n’ont jamais été observées sur Mars et, en outre, comme le montre la Figure II.9, les rapports de saturation nécessaires à la nucléation hétérogène sont plusieurs ordres de grandeurs inférieurs avec Sc ∼ 1, 35 à la surface (R = 1 µm où l’effet de courbure est inexistant) et Sc ∼ 3, 5 dans la mésosphère (R = 10 nm). Pour des conditions de surface nous retrouvons logiquement la valeur de Sc déterminée expérimentalement par Glandorf et al. (2002) sur un substrat plan (effet de courbure nul), puisque nous utilisons leur paramètre de contact m = 0, 952. La nucléation hétérogène, en présence de poussières dans l’atmosphère, est largement plus efficace.

II.A.3.d Probabilité de nucléation hétérogène

Pour déterminer la part des noyaux de condensation qui sera activée, il est commode d’introduire une notion plus intuitive que la seule valeur du taux de nucléation, à savoir la probabilité de nucléation hétérogène Phet. En pratique c’est ce qui sera utilisé dans le modèle présenté dans le chapitre suivant. On peut écrire (Fletcher , 1959; Lazaridis et al., 1992) :

Phet= 1 − exp(−4πR2Jhet∆t) = 1 − exp(−Jhet,R∆t), (II.15) où ∆t est le temps durant lequel la probabilité d’assister à l’événement de nucléation est éva- luée. Il s’agit de la probabilité, compte tenu des conditions atmosphériques, de voir un noyau de condensation donné être activé.

La notion de probabilité de nucléation rend compte de l’aspect stochastique du processus. Plus on attend longtemps (∆t augmentant), plus la chance d’observer la nucléation est importante (Phet augmente), et la quantité de CN activés grande. A l’échelle microscopique un embryon formé entre en croissance spontané si une molécule y est apportée au moment où il a atteint le rayon r∗, c’est-à- dire au « bon » moment pour faire basculer l’équilibre instable de l’embryon critique dans le sens de la croissance. Du fait de ces fluctuations, tout CN peut être activé si assez de temps lui est donné.

Figure II.10 – Probabilité de nucléation en fonction du rapport de saturation S (p = 600 Pa, R=1 µm, ∆t = 1s). Trois valeurs du paramètre de contact sont utilisées : m = 0, 99 (trait mixte), m = 0, 952 (trait continu rouge), m = 0, 91 (tirets). L’axe de droite désigne les valeurs du taux de nucléation J associé à la courbe de probabilité au centre de la figure (m = 0, 952), pour laquelle on retrouve Sc∼ 1, 35 (Glandorf et al., 2002).

Pour une concentration n(R) de CN de rayon R, la fraction de noyaux activée s’exprime comme le produit n(R) × Phet. La Figure II.10 montre sur un même graphe probabilité et taux de nucléation. L’approche en terme de probabilité permet de définir une saturation critique là où on observe le « saut » de probabilité de 0 à 1 (il existe une pente, perceptible en augmentant la résolution de l’axe des abscisses). On peut définir la saturation critique Sc comme la saturation pour laquelle Phet = 50%. On constate qu’alors Jhet,R ∼ 1 s−1 par CN (Figure II.10). L’influence du paramètre de contact m est illustrée sur la Figure II.10 où m vaut successivement 0, 99 puis 0, 95 (CO2 sur glace d’eau Glandorf et al., 2002) et 0, 91 donnant des saturations critiques Sc de 1,06 puis 1,35, et 1,75 respectivement. Pour une particule de 10 nm à p ∼ 10−2 Pa, les valeurs de Sc seraient de 1,9 puis 3,3 et 5,5. Le paramètre de contact a donc une influence déterminante sur le rapport de saturation critique.) Dans cet exemple m ne varie que de ±5% et Sc varie de -20%/+30% pour R = 1 µm. Sc varie de -40%/+60% pour R = 10 nm.

La Figure II.11 permet de saisir la gamme de rapports de saturation critique pertinente pour différentes tailles de poussières, jusqu’aux altitudes mésosphériques et pour différents rayons de CN. On remarque qu’un substrat de 1 nm de rayon (caractéristique des plus petites particules météoritiques après ablation d’un météoroïde) ne sera activé (à 10−2Pa) que si S > 300, alors qu’il suffit que S > 6 pour activer un noyau R=5 nm dans les mêmes conditions. A noter qu’à 10−3 Pa (∼100 km) il faudrait avoir S > 500 pour activer un CN de 1 nm. Le rapport de saturation de l’ordre de S ∼ 10 correspondant aux températures mesurées par l’atterrisseur de la mission Mars Pathfinder aux alentours de 80 km (p ∼ 10−2 Pa) (Schofield et al., 1997) est ainsi supérieur à la saturation critique nécessaire pour activer un CN de 10 nm à cette altitude.

Figure II.11 – Probabilité de nucléation en fonction du rapport de saturation pour deux pressions atmosphériques et plusieurs rayons de CN (m est fixé à 0,95). ∼ 600 Pa correspond à la surface, 10−2 Pa à ∼80-90 km.

II.A.3.e Coefficient d’écart à l’isothermie

La théorie classique de la nucléation suppose que le processus est isothermique, à savoir que la température de l’embryon est égale à celle de son environnement. Un changement de phase implique pourtant un dégagement de chaleur. Cette supposition revient donc à accepter que le temps caractéristique pour atteindre l’équilibre thermique est très petit devant le temps caractéristique d’incorporation ou libération de molécules du condensable. Cette hypothèse devient délicate lorsque

le condensable est le gaz majoritaire, car alors il y a moins de molécules restantes (non condensables) pour permettre la thermalisation du système. De fait, le taux de nucléation doit s’en trouver réduit d’un coefficient fT, appelé coefficient de non-isothermie, défini par Feder et al. (1966) comme :

fT = b 2

b2+ q2, (II.16)

où le coefficient b caractérise l’énergie perdue par collision avec les molécules du mélange gazeux, et q l’énergie gagnée par incorporation d’une molécule à l’embryon. Ainsi dans le cas de la nucléation du CO2 nous nous attendons à ce que fT << 1 car il y a très peu de gaz autre que le CO2 pour évacuer l’énergie accumulée. Dans le cas de la nucléation homogène du CO2Määttänen et al. (2005) ont montré que fT ∼ 10−2 alors que fT

∼ 1 dans le cas de la vapeur d’eau (gaz trace). Cependant, dans le cas de la nucléation hétérogène le substrat lui-même permet d’évacuer la chaleur accumulée et le coefficient fT n’est plus nécessaire (Määttänen et al., 2007). En pratique, nous ne prendrons donc pas en compte ce coefficient fT pour la nucléation hétérogène des cristaux de CO2 martiens.