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II.A.1.a Le rapport de saturation

Le processus de nucléation le plus élémentaire est celui où les molécules s’agrègent directement les unes avec les autres et non sur un support préexistant. L’embryon se forme directement au sein de la phase initiale : on parle de nucléation homogène. Si cet agrégat est de taille suffisante alors il peut donner lieu au développement de la nouvelle phase : l’embryon formé continue de croître. Dans le cas contraire il disparaît aussitôt. Cette logique est illustrée par la présence d’une barrière énergétique à franchir. Une variable essentielle pour la décrire est le rapport de saturation S :

S = pv psat(T )=

xv× p

psat(T ), (II.1)

où p est la pression totale ou pression atmosphérique, xvla fraction molaire de la vapeur (conden- sable), pvla pression partielle de la vapeur1, et psat(T ) la pression partielle de la vapeur à l’équilibre avec la phase condensée (ou pression de vapeur saturante). Dans la suite nous parlerons indifférem- ment de phase condensée ou de glace. La pression de vapeur saturante est définie pour une interface plane entre les deux phases.

Le rapport de saturation S permet d’évaluer — à une température atmosphérique T — l’excès de molécules dans la phase vapeur par rapport à la quantité de molécules à l’équilibre thermodynamique entre phase condensée et vapeur pour une interface plane. On parle également de sursaturation pour désigner la grandeur s = S − 1. Il y a équilibre lorsque S = 1 ou s = 0, alors, pv = psat(T ). L’environnement est dit sursaturé (resp. sous-saturé) lorsque s > 0 et S > 1 (resp. s < 0 et S < 1). A une altitude (ou pression) donnée, un excès se provoque soit par une augmentation relative de la quantité de vapeur (augmentation de xv), soit par une diminution de température (diminution de psat). Or psat(T ) diminuant exponentiellement avec la température, celle-ci a une grande influence sur les valeurs pouvant être prises par S. La Figure II.1 donne une correspondance entre rapport de saturation et écart de température au point de condensation (∆Tc= Tcond− T ) pour deux pressions différentes avec une composition en CO2 fixée à xv = 0, 95.

1. La pression partielle d’un gaz est la pression due aux molécules de ce gaz uniquement – indépendamment des autres espèces gazeuses présentes dans le mélange. Ainsi la pression totale du mélange est la somme des pressions partielles de chaque constituant de ce mélange (loi de Dalton).

En situation d’excès, le changement de phase peut avoir lieu et une partie des molécules de la phase gazeuse « bascule » dans la nouvelle phase initiée par l’embryon, appelé aussi germe de nucléation. Néanmoins, il ne suffit pas d’avoir S > 1 pour que la nucléation conduise au changement de phase, et nous verrons que c’est une condition du type S ≥ Sc qui doit être vérifiée, avec Sc> 1. En terme de température, cette condition se traduit par le fait qu’il ne suffit pas d’atteindre la température de condensation Tcond (on a alors S = 1) d’une espèce pour que ses molécules basculent en phase condensée, mais qu’une température plus faible est requise (T < Tcond).

FigureII.1 – Correspondance entre la valeur du rapport de saturation S du CO2et ∆Tc= Tcond−T . La composition atmosphérique en CO2est fixée à xv = 95%. Le cercle plein indique la cas particulier T = Tcond où S = 1. Les deux pressions correspondent à des conditions de surface (p ∼ 600 Pa, en tirets), et à des conditions mésosphériques (p ∼ 0.01 Pa soit ∼80-90 km, en trait continu).

II.A.1.b Energie de nucléation : création d’une nouvelle interface

D’un point de vue thermodynamique, dès que pv> psat(excès de vapeur par rapport à l’équilibre), l’énergie de la nouvelle phase2est plus basse que celle de la phase initiale et le changement d’état devrait en théorie avoir lieu (basculement d’une partie des molécules dans la nouvelle phase). Mais ce changement d’état implique la création d’une interface, avec ses contraintes mécaniques. Ces contraintes sont caractérisées par une grandeur appelée énergie de surface (σ) dans le cas d’un équilibre solide/vapeur3. D’un point de vue énergétique il y a une compétition entre la création de l’interface et le changement de phase en lui-même tel que prédit par la thermodynamique. Si l’on suppose que l’embryon peut être assimilé à une sphère de rayon r on obtient l’énergie de nucléation :

∆F = 4πr2σ −4πr 3

3vmkT ln S, (II.2)

où k est la constante de Boltzmann, et vm le volume occupé par une molécule de la phase condensée. Dans le cas de la glace, vmvaut mm/ρi où mm est la masse d’une molécule de CO2 et 2. L’énergie dont il est question ici est l’énergie libre de Helmholtz, U − T S, où U est l’énergie interne du système, T la température, et S son entropie.

ρi la masse volumique de la glace de CO2. Dans l’équation II.2 (à droite du signe égal), le terme de gauche est l’énergie surfacique et celui de droite le terme d’énergie volumique. De cette expression résulte l’existence d’un « col énergétique »à franchir, noté ∆F∗ (valeur maximale de ∆F ). A ce col énergétique correspond une taille critique d’embryon, que nous noterons r∗, taille à l’équilibre (instable) entre la vapeur et la phase liquide. Par dérivation et annulation de l’équation II.2 on obtient l’expression de ∆F∗ :

∆F∗ = 4πr

∗2

3 σ, (II.3)

où r∗ est défini par la relation :

r∗

= 2σvm

kT ln S (II.4)

L’équation II.4 est appelée équation de Kelvin et décrit l’équilibre instable de l’embryon de taille r∗. Dans un environnement caractérisé par T et S, un embryon de rayon r se désagrège si r < r. Si r > r∗ on assiste au contraire à la croissance spontanée du cristal et donc à l’apparition de la nouvelle phase de glace.

Une autre forme de l’équation de Kelvin fait apparaître la pression partielle de la vapeur à l’équilibre au dessus du cristal de rayon r, notée psat(T, r). On peut pour cela définir, en inversant la relation II.4, le rapport de saturation à l’équilibre Seq associé à un rayon d’embryon r quelconque. En remarquant que Seq= psat(T, r)/psat(T ) :

psat(T, r) = psat(T ) exp! 2σvm kT r

"

(II.5) Au niveau de l’interface courbe, une molécule de la phase condensée a moins de contact avec les molécules adjacentes que dans le cas d’une interface plane. L’échappement des molécules vers la phase vapeur est ainsi facilité. Une pression plus importante est donc nécessaire dans la phase vapeur pour maintenir les molécules dans la phase condensée lorsqu’est considérée une interface courbe : on a bien psat(T, r) > psat(T ). Cet « effet Kelvin »devient négligeable pour r " 100 nm. II.A.1.c Le rayon critique

Intuitivement, plus la température diminue et plus l’apparition de la phase de glace (et donc la nucléation préalable) sera facilitée. Cela devrait se traduire par un rayon critique r∗ plus petit (alors plus favorable) à mesure que T diminue. Cependant l’expression II.4 de r∗ ne permet pas de s’en rendre compte en l’état. En effet si T augmente, r∗ diminue. Il faut se rappeler que S dépend fortement de la température via la pression de saturation psat. La dépendance en température est la suivante : psat(T ) = A exp(−B/T ). On obtient par substitution :

r∗

= 2σvm kb

1

B − T ln(A/pv), (II.6)

où A,B et pvsont en Pa. La très grande valeur de A (∼1012Pa) nous permet d’affirmer que A & p v (voir Tableau II.5 dans la partie sur la condensation). Ainsi lorsque la température diminue, le rayon critique que l’embryon doit atteindre est effectivement plus petit, et l’énergie à fournir plus petite également, d’après l’équation II.3. Enfin pour que cette formule soit bien définie il faut que r∗

> 0 soit toujours vérifié, c’est à dire que T < Tcond. Logiquement tout ce raisonnement ne tient que si l’on se situe en deça de la température de condensation. La Figure II.2 présente la variation du rayon critique en fonction de la température pour différentes pressions atmosphériques sur Mars. Pour des températures de plus en plus basses, le rayon critique tend vers la taille d’une molécule.

Figure II.2 – Taille de l’embryon critique pour la nucléation homogène en fonction de la tempéra- ture. Les courbes sont tracées pour deux pressions atmosphériques p correspondant à des conditions de surface (600 Pa) et à la mésosphère (10−2 Pa). On suppose une abondance moyenne de CO2 de 95%. Ainsi pv = 0, 95p dans l’équation II.19. La droite horizontale indique la taille d’une molécule de CO2. Les droites verticales en tirets indiquent les températures de condensation Tcond du CO2 dans les deux cas.

Lorsque T = Tcond exactement, le rayon critique tend vers l’infini et il en va de même de l’énergie de nucléation (equation II.3) : la croissance spontanée d’un germe est impossible. Si l’on s’en tient à des refroidissements ∆Tc< 20K (maxima atteints dans la haute mésosphère martienne), l’embryon critique à une taille de l’ordre de quelques nanomètres en moyenne.