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Chapitre 3 : La conception de la spatialité dans le judo

3.3 Le tatami, un indicateur de territorialité et de spatialité dans la pratique du judo :

Il y a bien un espace au sein du dojo, qui a vu de nombreux judokas évolués et progressés, qui a servi d’espace d’apprentissage, de pratique et de compétition et sur lequel les individus ont développé des capacités physiques, mentales, sociales et identitaires. Cet espace et cet équipement qui structurent la base de la discipline du judo : c’est le tatami : « si la salle, le dojo doit être, comme nous l’avons vu, l’objet de notre respect, le lieu précis où nous allons nous exercer, au sein du dojo, c’est le tapis. C’est pourquoi, en pénétrant dans le cercle enchanté, le pratiquant s’incline encore et salue le lieu où il va tenter de découvrir les techniques de l’efficacité, en même temps que les mécanismes subtils de son corps, de ses émotions et de ses pensées »122. Le tatami fait donc partie intégrante du quotidien des judokas et constitue l’espace privilégié de ces pratiquants.

119Art martiaux de Collonges. Histoire et règles du dojo [en ligne]. [consulté le 28.03.2018]. Disponible sur : http://www.arts-martiaux-collonges.com/86+histoire-et-regles-du-dojo.html

120 JAZARIN, Jean-Lucien. Le judo école de vie., op. cit., p.95.

121 Fédération Française De Judo. Culture judo [en ligne]. [consulté le 07.04.2018]. Disponible sur : http://www.cdjudo47.fr/cariboost_files/FasciculeVersion_20defi.pdf

122 JAZARIN, Jean-Lucien. Le judo école de vie., op. cit., p.95.

47 Dans les traditions japonaises, le tatami sert de support pour les rituels et constitue un des éléments fondamentaux de l’habitat japonais : « au Japon, l’attachement de la population au tatami est évident tant par les souvenirs qu’il contient que les traditions qu’il véhicule »123. Cette natte rectangulaire faite de jonc et de paille de riz constitue à la fois un outil de spatialisation et un symbole de la culture japonaise : « pour l’Occidental, il évoque un objet représentatif de la culture japonaise : sommier, partie du sol sur laquelle on se déchausse ou tapis pour la pratique des arts martiaux »124. Dans le dojo, le tatami est posé sur un plancher et recouvre entièrement le sol de celui-ci pour amortir les chutes. Aujourd’hui, la diffusion de la pratique du judo a développé la fabrication industrielle de tatamis qui est désormais à base de matériaux synthétiques (mousse agglomérée). Toutefois, des artisans continuent de confectionner des tatamis selon les règles traditionnelles japonaises.

Outre son aspect culturel et traditionnel, le tatami peut être considéré comme un marqueur de territorialité et de spatialité car, il sert à bâtir un espace spécifique au sol lorsque celui-ci est assemblé avec d’autres tatamis. Dans le dojo, la disposition et l’assemblage des tatamis constituent l’espace de pratique sur lequel, chaque pratiquant judoka va chercher à se l’approprier pour y exercer le judo. Cette forme d’appropriation fait appel au principe de

« territorialité » selon lequel l’individu établit une relation privilégiée avec un territoire.

D’après la définition fournie par le site Géo confluences : « la territorialité exprime, outre un contenu juridique d’appropriation, un sentiment d’appartenance, mais aussi d’exclusion, et un mode de comportement au sein d’une entité, qu’elle qu’en soit l’étendue, quel que soit le groupe social qui le gère. Les territoires sont l’objet d’affects collectifs et individuels »125. Claude Raffestin apporte aussi une définition de la territorialité qui selon lui : « reflète la multi dimensionnalité du vécu territorial par les membres d’une collectivité, par les sociétés en général »126. En d’autres termes, la territorialité se construit à travers l’individu socialisé : « elle relève de sa logique, de sa sensibilité, de ses capacités réflexives et imaginaires personnelles.

Elle se calque sur son espace vécu, tissé de ses rapports intimes mais néanmoins interactifs avec les lieux et les gens qui les fréquentent. Elle s’enrichit de ses expériences, de ses apprentissages

Armand Colin, « Collection U », 2005. p.82.

48 sociaux »127. Dans la pratique d’une activité sportive, le principe de territorialité prend tout son sens car, ce concept permet au pratiquant d’identifier l’espace sur lequel il va s’entraîner et contribue à son développement des représentations sociales, identitaires et territoriales :

« l’identité d’un individu n’est possible que parce que ce dernier existe. Et comme cet individu se situe toujours quelque part, il est de facto en relation avec un territoire qu’il habite et qui l’habite en retour. Un territoire qu’on discerne, pense et aménage en fonction de la signification qu’on lui prête et des usages qu’on en fait. C’est dire que l’identité de toute personne, communauté ou collectivité comporte une forte condition territoriale »128. Dans le cas de la pratique du judo, l’individu territorialise le tatami comme l’espace d’entraînement, de développement physique et mental de soi, de zone d’apprentissage pour construire son propre judo et d’espace de convivialité : « les territorialités, saisies à différentes échelles, dévoilent les manières dont les territoires s’édifient et s’identifient, s’articulent les uns aux autres, se reproduisent en fonction des représentations […] »129.

Au-delà de l’appropriation de l’espace tatami par le judoka, il semble intéressant d’analyser cet espace en tant que support de la pratique sportive. En effet, chaque discipline sportive tient compte de la conception de l’espace de pratique pour se définir. En prenant le facteur

« déplacements des sportifs », on caractérise l’espace de pratique selon l’usage effectué par les athlètes. Ainsi, l’espace tatami se définit comme « surfacique » car, l’exercice de cet art martial se déroule sur une surface plane et uniforme et nécessitant le déplacement des pratiquants dans toutes les directions. Il n’y a pas de trajectoires prédéterminées au judo ce qui a suscité l’instauration d’une pédagogie spécifique sur les déplacements et les mouvements. La caractérisation de l’espace de pratique permet de catégoriser les sports et de développer une typologie des espaces sportifs symbolisée par des formes géométriques : lignes, cercle, carré/rectangle, etc. Cette typologie des espaces sportifs permet de mettre en évidence le rapport du sport avec l’espace : « les rapports du sport à l’espace permet d’avancer deux propositions quant à « l’essence des sports ». Selon nous, les sports visent fondamentalement soit à conquérir l’espace, soit à s’en affranchir »130. Dans la pratique du judo, l’espace tatami se matérialise sous la forme carrée. En effet, lors des rencontres sportives la surface des tatamis est divisée en deux

127 Ibid.

128 BEDARD, Mario. Les vertus identitaire, relationnelle et heuristique de la territorialité – D’une conception culturelle à une conceptualisation tripartie. [Document électronique] Cybergeo : European Journal of Geography, Espace, Société, Territoire, document 838, 2017. p.2.

http://journals.openedition.org/cybergeo/28853

129 DI MEO, Guy et BULEON, Pascal. L’espace social. Lecture géographique des sociétés., op. cit., p.82.

130 VIGNEAU, François. Le « sens » du sport : conquête de l’espace, quête du plaisir., op.cit., p.10.

49 aires distinctes : l’aire de combat et l’aire de sécurité. Selon l’ancienne norme toujours tolérée, l’aire de combat présente deux zones : « une zone centrale carrée et une zone de danger qui doit être représentée par une bande de couleur d’une largeur de 1 m autour de la zone centrale »131. Toutefois, les normes de l’espace tatami peuvent changer selon l’importance des compétitions :

« l’aire de combat est constituée de tatamis d’une seule couleur qui tranche la zone de sécurité.

Cette règlementation est obligatoire uniquement pour les championnats de France 1re division et les tournois internationaux organisés en France »132. Ainsi, la forme géométrique de l’espace de pratique est essentielle dans la qualification et la construction de la pratique. En ce qui concerne l’aire de combat du judo, la forme carrée évoque la « conquête physique de l’espace » à travers un jeu de domination entre les adversaires. Pierre Parlebas évoque ici de duel de corps à corps caractérisé par des projections et des immobilisations au sol marquant une forme d’appropriation du territoire. La dualité sur l’espace tatami fait naître chez les adversaires des sensations et des sentiments spécifiques à la situation.

On peut donc constater que l’objet tatami présente de multiples fonctions notamment d’être producteur de territorialité auprès des pratiquants de judo, de support pour la pratique et d’être vecteur de spatialité. Même si le pratiquant occupe de manière temporaire le dojo et le tatami (pendant les horaires d’entraînements et lors des compétitions), celui-ci s’inscrit dans l’espace tatami car, il constitue un territoire de rencontre et de confrontation. Il est à la fois un espace où régulièrement des tournois et des compétitions s’organisent et rendent ce territoire hostile aux compétiteurs. Nous l’avons vu précédemment que l’aire de combat développe chez les judokas des émotions en lien à la situation de compétition. Néanmoins, lors des entraînements, cet espace tatami devient un lieu de convivialité où chaque pratiquant se côtoie, s’entraide et où des amitiés naissent.