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Chapitre 1 : Cadre théorique : En quoi le judo s’intègre-t-il dans la démarche

1.2 Le principe de phénoménologie dans les sciences sociales et en géographie

« renouveler l’approche des sciences sociales à partir de la phénoménologie »34. Cette approche a retenu l’attention du sociologue Alfred Schütz qui dans son ouvrage « Le chercheur et le quotidien » tente d’appliquer la notion de phénoménologie aux sciences sociales. Héritier de la méthode d’Edmund Husserl, Schütz n’hésite pas à l’adapter aux phénomènes sociaux.

L’acquisition de cette méthode permet à Schütz d’expliquer le comportement des individus dans la société et d’appréhender les interactions qui se créent entre l’homme et l’espace environnant : « l’enjeu est d’établir une phénoménologie du sujet et de sa relation à l’autre qui permette une connaissance des phénomènes sociaux »35. La phénoménologie en sciences sociales se veut comme : « une philosophie de l’homme en son monde-vie »36. Cette notion de

« monde-vie » fait référence à l’environnement dans lequel l’homme se développe, s’épanouit

29 Ibid.

30 Courant philosophique. Phénoménologie [en ligne]. Encyclopédie wikipédia, 2010 [consulté le 09.03.2018]. Disponible sur : http://www.histophilo.com/phenomenologie.php

31 Encyclopédie Larousse, op. cit.

32 LYOTARD, Jean-François. La phénoménologie. [Document électronique] Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je », 2004. p.5. https://www.cairn.info/la-phenomenologie--9782130547365.htm

33 Ibid., p.6.

34 SCHÜTZ, Alfred. Le chercheur et le quotidien. Paris, Ed. Klincksieck, 2008, p.2.

35 Ibid., p.262.

36 Ibid., p.172.

19 et se construit : « Moi, l’être humain né dans ce monde et vivant naïvement en lui, je suis son centre dans la situation historique […]. Le monde-vie est au premier chef significatif et signifiant par et pour moi »37. La construction de l’individu et de son « monde-vie » n’existeraient pas sans l’intervention du monde extérieur et sans la prise en compte de l’existence de l’autre : « les objets rencontrés dans l’usage quotidien sont mes instruments, et les hommes avec qui j’entretiens des relations sont mes parents, mes amis ou des étrangers »38. C’est par ce « monde-vie » que les sciences sociales peuvent analyser les phénomènes sociaux de la société : « notre monde quotidien est d’emblée un monde intersubjectif de la culture »39. Ainsi, l’individu développe ses capacités de socialisation et d’adaptation avec les autres.

La phénoménologie du philosophe Edmund Husserl a permis aux sciences sociales d’avoir une plus grande perspective d’étude dans la compréhension de l’homme en tant qu’être dans le monde environnant.

En géographie, l’idée de phénoménologie se développe au début des années 70 au sein du courant humaniste. Ces géographes se préoccupent de la place de l’être humain dans la société et le replace au centre des préoccupations sociétales bien souvent délaissé de certains domaines de la géographie. Pour les humanistes, l’utilisation de la phénoménologie permet au chercheur d’acquérir des informations supplémentaires que la méthode quantitative ne fournit pas.

Toutefois, certains géographes ont privilégié l’usage de la quantification et de l’informatisation au détriment de l’analyse phénoménologique à cause de la complexité de l’interprétation des données. En conséquence, cette méthode qualitative permet d’améliorer l’analyse du comportement de l’individu dans la société par l’observation.

En s’inspirant du modèle de Husserl, fondateur de la phénoménologie, les géographes humanistes redonnent à l’homme son statut : « l’homme en tant qu’être-au-monde, être-en-situation ; on pourrait traduire par l’être dans son apport au monde »40. Autrement dit la phénoménologie, a permis à la géographie humaniste de s’imposer face aux domaines de la géographie humaine classique et quantitativiste : « or la réalité humaine est tout autre puisque l’homme, contrairement aux objets physiques et naturels – roches ou plantes --, possède une conscience, qu’elle est objet, c’est-à-dire que la conscience est liberté (de choix) et que dans la

37 Ibid., p.186.

38 Ibid.

39 Ibid., p.185

40 MORISSONNEAU, Christian et SIROIS, Denis. La quête du sens et du vécu : la phénoménologie en géographie. [Document électronique] Québec : Cahiers de géographie du Québec, 29(77), 1985. p.318.

https://www.erudit.org/fr/revues/cgq/1985-v29-n77-cgq2649/021727ar.pdf

20 mesure où il n’y a que des libertés engagées, il n’y a que des consciences intentionnées.

L’humanisme reconnaît à l’homme, comme individu conscient, le pouvoir de choisir son destin.

L’homme n’est pas le jouet de son environnement »41.

Pour étudier les « processus individuels » des sujets, ces chercheurs se placent en tant qu’observateurs et participant de la situation : « sans rencontre, il ne peut y avoir de saisissement de la condition humaine étudiée »42. Cette démarche d’observation permet d’acquérir des connaissances subjectives et vérifiables. A l’inverse, dès que le chercheur fait abstraction de tous les éléments personnels risquant de compromettre ces recherches, il devient un : « observateur désintéressé »43 : « il n’est pas impliqué dans la situation observée, qui ne présente pour lui aucun intérêt pratique mais seulement un intérêt cognitif »44. Ce raisonnement s’oppose à la phénoménologie puisque le chercheur se présente comme un individu externe à la situation observée et n’intervient pas, ne réagit pas aux interactions qui peuvent se produire avec la personne ou le groupe étudié : « en décidant d’adopter l’attitude désintéressée d’un observateur scientifique – dans notre langage, en délimitant la tranche de vie consacrée au travail scientifique – le chercheur se coupe de sa situation biographique à l’intérieur du monde social »45. Comme le préconise le sociologue Emile Durkheim, dans son ouvrage « Les règles de la méthode sociologique », le chercheur doit développer une forme de neutralité avec son sujet d’étude. Cette distance axiologique permet au chercheur d’élaborer une forme d’objectivité : « il n’agit pas dans la situation, réellement intéressé par les conséquences de ses actions, les espérant ou les redoutant, mais il la regarde avec la même tranquillité d’âme que le chercheur en sciences naturelles prenant connaissance du résultat dans son laboratoire »46. Toutefois, la géographie phénoménologique a suscité quelques controverses de la part des géographes Billinge et Entrikin qui remettent en question la pratique et la méthodologie de la phénoménologie en géographie. Pour ces géographes, la phénoménologie reste du domaine de la philosophie et n’apporte donc peu d’informations pour les sciences sociales. Or la phénoménologie n’est pas que subjectivité, elle présente aussi une part d’objectivité car celle-ci s’intéresse à la fois au sujet et à son expérience vécue. Le chercheur n’est pas seulement observateur, il cherche à apporter des réflexions sur le phénomène étudié et sur la personne qui l’expérimente : « parce qu’elle respecte la liberté de choisir, la phénoménologie englobe la

41 Ibid., p.319.

42 Ibid., p.320.

43 SCHÜTZ, Alfred. Le chercheur et le quotidien., op.cit., p.45.

44 Ibid.

45 Ibid., p.46.

46 Ibid., p.45.

21 subjectivité de l’homme sans être subjective elle-même puisqu’elle ne peut choisir quels sont les sens et essences étudiées »47. La phénoménologie se veut comme une critique des sciences.