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Chapitre 3 : La conception de la spatialité dans le judo

3.1 La mondialisation de la pratique du judo

Au cours du XIXe siècle, la pratique du judo commence à s’exporter au-delà de la frontière japonaise par l’intermédiaire d’étudiants japonais poursuivant leurs études en Europe et aux Etats-Unis. Cette vague migratoire des jeunes japonais a contribué à l’expansion de la pratique du judo dans ces nouveaux lieux et à faire connaître cet art martial auprès d’un public novice.

Suite à l’engouement de cette nouvelle pratique chez les nouveaux adeptes, Jigoro Kano effectue de nombreux voyages en occident pour inculquer et transmettre les principes fondamentaux du judo.

Durant cette période, le sport est perçu comme un processus dynamique de développement des sociétés. Les pays précurseurs d’une pratique sportive ont vu leur société se construire une identité nationale autour du sport, comme le Japon avec les arts martiaux. Le sport se révèle donc comme un outil de mondialisation et de globalisation à travers lequel des échanges sportifs se produisent. Une organisation territoriale et spatiale particulières se mettent en place : l’uniformisation des lieux de la pratique sportive.

Le processus de mondialisation comme le présente Jean-Pierre Augustin consiste en une :

« mise en relation, d’interaction entre toutes les parties de la planète qui fonctionne en système et dont les éléments sont interdépendants, reliés par des circuits de rétroaction qui selon une échelle allant du local au mondial établit des jeux d’acteurs entre les individus, les collectivités, les entreprises et les Etats »103. Autrement dit, le sport est un système « mondial » fondé sur les échanges culturels et sportifs et sur la codification des règles.

Uniformisation et codification de la pratique des arts martiaux

La codification des combats dans les arts martiaux a permis d’établir une standardisation de la pratique et sa diffusion dans le monde : « […] les diverses formes de combat se positionnent, oscillent et se déplacent entre des pôles que sont sportivisation et symbolisation, universalité et

103AUGUSTIN, Jean-Pierre. Géographie du sport. Spatialités contemporaines et mondialisation., opt.cit., p.6.

42 spécificité culturelle, efficacité et esthétique, diffusion internationale et repli communautaire »104. La mise en place des combats codifiés a considérablement modifié la structuration des combats qui auparavant était à caractère réel et violent : « là où l’on cherchait à blesser, voire à tuer l’adversaire, on ne recherche plus qu’à imposer sa supériorité physique ou technique sur l’autre, sans attenter radicalement à son intégrité physique »105. Cette forme de « pacification » de la pratique des arts martiaux s’est caractérisée par l’instauration du

« salut » soulignant une marque de respect envers son adversaire lors des combats : « le geste de salut indique ici que les règles en vigueur dans le monde « normal » sont mises en suspens et qu’une certaine dose de violence interpersonnelle est alors tolérée »106. Le « salut » peut être considéré comme un marqueur de temps structurant le combat. Cette gestuelle s’effectue juste avant l’affrontement pour caractériser le début du combat et s’exécute à la fin pour signaler que le combat est terminé. Il est également un indicateur de spatialité car, il imbrique le combat dans un lieu déterminé. Dorénavant, les combats s’effectuent dans des espaces prédéfinis : « ces combats retenus ne sont plus pratiqués n’importe où, mais dans des espaces précis (aires, salles, enclos, etc.) qui ont peu à peu été réservés à leur exercice »107. La codification des combats a entraîné la normalisation de la pratique des arts martiaux par l’établissement de codes et de règles supervisés par les arbitres : « la codification des combats inverse donc la relation du combattant à l’activité : les combattants ne sont plus décideurs des conditions de leur affrontement, mais doivent se conformer à des injonctions préétablies et valables pour tous »108. L’uniformisation de la pratique des arts martiaux et notamment celle du judo à travers le monde a nécessité la mise en place d’une pédagogie « universelle » reposant sur des ouvrages écrits intitulés « Méthode ». Cet outil pédagogique permet de structurer l’apprentissage des arts martiaux et de transmettre une éducation généralisée pour tous : « en effet, la nouvelle façon de transmettre les savoirs mène à une standardisation gestuelle et à une homogénéité motrice parmi les apprenants. Les ouvrages de méthode permettent une diffusion au-delà de la simple salle du maître : la méthode peut être reprise par d’autres enseignants, la pratique peut se diffuser et le nombre de pratiquants croître […] »109.

104 GAUDIN, Benoît. La codification des pratiques martiales. Une approche socio-historique., opt.cit., p.6.

43 En judo, la méthode utilisée par Jigoro Kano s’oriente sur la : « « disciplinarisation » des corps et des esprits »110 et se standardise par l’enseignement des katas : « […] il élabore une gradation des étapes de l’apprentissage, qu’il nomme Gokyo, qui décompose la progression pédagogique en groupes de mouvements classés par ordre de difficultés et correspondant à des niveaux menant au dan, la ceinture noire »111. On assiste ainsi à l’uniformisation et à la normalisation de la pratique du judo caractérisées par l’usage d’une tenue d’entraînement réglementaire et uniforme pour tous. La mondialisation de la pratique du judo a permis l’émergence et l’accroissement de nouveaux pratiquants ayant les mêmes enseignements que ceux prodigués au Japon. De ce fait, on observe une recrudescence des victoires menées par des pratiquants étrangers : « […] les Japonais apprennent à leurs dépens que la sportivisation a un coût : celui de la perte de l’ancrage national de l’excellence. En devenant codifiée selon des règles qui s’appliquent à tous, une activité peut ainsi mener à la victoire d’un non-national »112. L’exportation de cet art martial dans le monde a permis la diffusion de la culture japonaise et celle du judo.

Malgré la standardisation du judo et des équipements structurels permettant l’activité de cet art de combat (dojo, tatami, etc.). On note quelques particularités qui se sont développées par les effets de la globalisation.

Standardisation des lieux de pratique avec toutefois des particularités

Le judo comme tous les autres sports n’a pas échappé au processus de globalisation de sa pratique. Au niveau de l’organisation structurelle des espaces de pratique, on constate une standardisation du lieu marquée par une normalisation de l’agencement du matériel. Toutefois, à l’échelle locale chaque lieu d’entraînement est original car, il s’est adapté à l’environnement et à la société : « […] chaque dojo offre un cadre particulier à la pratique selon sa taille, son architecture, les matériaux utilisés, sa « décoration », la texture des tatamis, le son des chutes »113. Dans chaque pays où le judo s’est implanté, il s’est accommodé des éléments culturels et sociaux de la société comme par exemple la composition des matériaux d’équipements : « […] les tatamis de Tenri, légèrement glissants, durs mais rebondissants, ne permettent pas la même prise d’appuis que les tapis du dojo orléanais »114. Ces particularités

110 Ibid., p.16.

111 Ibid.

112 Ibid., p.22.

113 HILPRON, Michaël et ROSSELIN, Céline. Vécu corporel du judo et globalisation du sport., op.cit., p.5.

114 Ibid.

44 permettent de remarquer une diversité de faire du judo et demande au pratiquant de s’adapter continuellement aux différents lieux où il exerce son judo. L’appropriation d’un nouveau lieu d’entraînement nécessite un certain temps d’acclimatation pour le pratiquant.