• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Mémoire de travail et stratégies dans les tâches

A. MDT et utilisation de stratégies efficaces

1. Les tâches de mémoire

Comme nous l'avons évoqué, certaines tâches de mémoire peuvent être considérées

comme des tâches de cognition de haut niveau dans la mesure où ces tâches impliquent une

combinaison de fonctions cognitives. Cette définition concerne entre autres les tâches de

mémoire à long terme nécessitant un encodage délibéré en vue d'une récupération ultérieure,

tâches qui peuvent être associées à des comportements stratégiques. Dans cette partie, nous

nous intéresserons donc au lien entre capacité de MDT et comportement stratégiques dans des

tâches de MLT. Nous examinerons les études portant sur les stratégies utilisées lors de

l’encodage, puis les études portant sur les stratégies de récupération. Nous terminerons en

évoquant les interactions entre l’encodage et la récupération.

Chapitre 3 : Mémoire de travail et stratégies dans les tâches cognitives

55

a) Stratégies d’encodage

Pour mettre en évidence des différences de stratégies d’encodage sur une tâche de

MLT, une étude intéressante a utilisé le paradigme d’indiçage d’une partie de liste (ou part-list

cueing ; Cokely, Kelley, & Gilchrist, 2006). Ce paradigme repose sur l’effet perturbateur

d’une présentation d’indices (constitués de la moitié des informations préalablement

mémorisées) au moment du rappel. La méthode consiste à présenter des listes de mots à

mémoriser, puis à les faire rappeler par les participants. Le rappel peut être soit libre,

c’est-à-dire sans indices, soit indicé, c’est-à-c’est-à-dire qu’on « aide » les participants en leur fournissant la

moitié des mots de la liste comme indice de rappel. En réalité, les indices n’aident pas et le

rappel est proportionnellement moins bon lorsqu’ils sont présents.

L’une des explications de cet effet porte sur une perturbation du plan de rappel

stratégique construit au moment de l’encodage (D. R. Basden & Basden, 1995 ; D. R. Basden,

Basden, & Galloway, 1977). Cette explication considère qu’au moment de l’encodage, les

participants mémorisent les informations selon un plan stratégique bien défini, et que ce plan

sert d’appui au moment de la récupération. Ce plan stratégique de récupération pourrait par

exemple reposer sur un regroupement des stimuli à encoder ou sur la création de liens entre

les stimuli ; la récupération se ferait alors en suivant la structure de ce plan, dans un ordre

déterminé. Dans le cas où une partie de la liste est présentée comme indice, la situation de

récupération n’est plus celle à laquelle s’attendaient les participants. Le plan ainsi mis en

place lors de l’encodage est perturbé car il ne s’applique pas à la nouvelle situation.

Cokely et ses collaborateurs (2006) se sont intéressés à l’influence des différences

interindividuelles de capacité de MDT sur cet effet. La tâche des participants consistait à

mémoriser puis rappeler une succession de listes de 16 mots, sachant que la moitié de ces

listes était indicée au moment du rappel. De façon intéressante, les résultats ont montré que

seuls les participants avec une forte capacité de MDT étaient perturbés par les indices. Bien

que leur performance ait été globalement plus faible, les participants avec une faible capacité

de MDT ne semblaient pas pénalisés par la présentation d’indices (Études 1 et 2A). Les

auteurs ont alors supposé, conformément à l’explication théorique associée à l’effet

d’indiçage d’une partie de liste, que les participants avec une forte capacité de MDT avaient

mis en place un encodage stratégique des mots se traduisant par la mise en place d’un plan de

récupération. Quand les conditions de récupération étaient bouleversées par les indices, ce

plan de récupération était perturbé et la performance de ces participants s’effondrait.

Inversement, les participants avec une faible capacité de MDT ne mettaient pas en place ce

Chapitre 3 : Mémoire de travail et stratégies dans les tâches cognitives

56

type d’encodage stratégique et, bien que globalement moins performants, ils n'étaient pas

affectés par les indices.

Afin de tester cette explication plus en profondeur, les auteurs (Cokely et al., 2006 ;

Étude 2B) ont donné comme instructions à leurs participants d’encoder les mots en faisant

une histoire. Chaque nouveau mot devait ainsi être relié au suivant (on remarque que cette

instruction est très proche de la stratégie efficace de génération de phrases). Dans cette

situation où tous les participants étaient encouragés à mettre en place une stratégie d’encodage

efficace, l’effet d’indiçage d’une partie de liste était retrouvé chez tout le monde,

indépendamment de la capacité de MDT. Cette étude montre donc que les participants avec

une forte capacité de MDT ont naturellement tendance à utiliser une stratégie efficace lors de

l’encodage de listes de mots. D’autre part, il semblerait que les participants avec une faible

capacité de MDT soient capables de mettre en place ce type de stratégie après instruction, ce

qui se traduit par une apparition de l’effet perturbateur des indices.

Dans le cadre d'une autre étude portant sur les stratégies d’encodage en MLT, trois

listes successives de 10 noms communs étaient présentées aux participants, et la tâche

consistait à effectuer un jugement « vivant ou non vivant » pour chacun des mots (Unsworth

et Spillers, 2010a). La tâche de jugement était entrecoupée d’une tâche distractrice : après

chaque jugement, les participants devaient classer quatre nombres en ordre décroissant avant

de passer au jugement suivant. À la fin de la présentation des 10 noms communs, les

participants réalisaient la tâche distractrice pendant 30 secondes supplémentaires, puis

devaient rappeler tous les mots dont ils se souvenaient. Les auteurs ont examiné les stratégies

d'encodage sur cette tâche via la méthode du report essai par essai en fin de tâche (les

stratégies possibles étant lecture, autorépétition, imagerie, génération de phrases, groupement,

autre).

Les résultats ont montré que l’autorépétition était la seule stratégie pour laquelle on

observait une différence de fréquence d’utilisation en fonction des performances obtenues

dans les empans complexes. Les participants avec une forte capacité de MDT utilisaient

significativement plus l’autorépétition (dans 79% des essais) que ceux avec une faible

capacité de MDT (56% des essais). On ne retrouvait pas de différences pour les autres

stratégies. Ces résultats sont intéressants car en contradiction avec les conclusions précédentes

selon lesquelles les participants avec une forte capacité de MDT utilisent plus fréquemment

des stratégies d'encodage considérées comme efficaces. Cette apparente contradiction pourrait

être expliquée par la présence d’une tâche distractrice ; cette idée sera développée à la fin de

ce chapitre.

Chapitre 3 : Mémoire de travail et stratégies dans les tâches cognitives

57

b) Stratégies de récupération

Comme nous l'avons vu, le modèle de la mémoire de travail proposé par Unsworth et

Engle (2007) suggère que les différences interindividuelles en MDT sont partiellement dues à

l’efficacité à utiliser des indices pour guider le processus de recherche en mémoire secondaire

(voir p. 25). Selon ces auteurs, les informations encodées en mémoire secondaire sont

associées à de nombreux niveaux contextuels (par exemple le contexte global ou le contexte

spécifique à une liste ou spécifique à une information). Au moment de la récupération, ces

caractéristiques contextuelles sont utilisées comme des indices pour contraindre la recherche

aux informations les plus pertinentes. Dans le cadre de ce modèle, la récupération de

l’information est considérée comme un processus central, et dépendrait en partie de la

stratégie que les participants utilisent pour générer des indices de récupération.

Les auteurs soulignent qu’en termes de différences interindividuelles de MDT, les

participants avec une faible capacité de MDT sont moins efficaces que ceux avec une forte

capacité de MDT pour sélectionner des stratégies de récupération appropriées, ce qui les

conduit à avoir beaucoup d’informations non pertinentes dans leur étendue de recherche. De

façon congruente avec cette interprétation, on observe que les deux groupes de participants

diffèrent notamment dans leurs performances dans des tâches requérant un rappel auto-généré

(comme le rappel libre) mais pas dans des tâches proposant des indices externes (comme la

reconnaissance, Unsworth, 2009). Pour illustrer comment ces différences de récupération

stratégique peuvent se manifester en pratique, nous allons maintenant présenter quelques

études empiriques s’appuyant sur cette approche.

Spillers et Unsworth (2011) ont abordé cette question à l’aide d’une tâche de rappel

libre. Dans cette étude, les auteurs se sont intéressés à la variabilité dans l’utilisation des

indices temporels et contextuels qui organisent stratégiquement le rappel, et au lien entre cette

variabilité et la capacité de MDT. Les auteurs supposaient qu’une récupération en mémoire

effectuée de façon stratégique se manifesterait par une performance de rappel organisée selon

des critères identifiables. L'utilisation d'une stratégie de récupération était donc

opérationnalisée par le pattern de réponse : des informations récupérées dans un ordre

aléatoire étaient interprétées comme l'indice d'une absence de stratégie de récupération.

Inversement, un rappel systématique et organisé, avec une récupération des stimuli dans

l'ordre en fonction de leur contigüité temporelle au moment de l'encodage, était considéré

comme indicateur d'un comportement stratégique.

Chapitre 3 : Mémoire de travail et stratégies dans les tâches cognitives

58

Afin d’examiner cette hypothèse, les auteurs présentaient des listes de mots, découpées

en cinq essais. À la fin de chaque essai, les participants devaient réaliser une tâche distractrice

pendant 16 secondes. Les résultats ont globalement montré que les participants avec une forte

capacité de MDT récupéraient plus de mots, et se montraient plus systématiques dans leur

récupération : les mots qu’ils rappelaient étaient souvent contigus. Autrement dit, lorsque ces

participants récupéraient un mot, ils utilisaient ensuite les indices contextuels et temporels

associés à ce mot de façon à poursuivre le processus de récupération. Cette utilisation

d’indices les conduisait à récupérer ensuite un autre mot présenté dans une position très

proche (typiquement le mot présenté juste après au moment de l’encodage). Ces résultats

indiquent donc que dans une tâche de rappel libre, les participants avec une forte capacité de

MDT sont plus stratégiques dans leur récupération : ils se servent des indices contenus dans

les mots qu’ils ont déjà récupérés pour en rappeler de nouveaux. En revanche, les participants

avec une faible capacité de MDT ont un rappel plus aléatoire : ils ne sont pas stratégiques et

ne capitalisent pas sur les indices issus des mots qu’ils ont déjà récupérés.

Les résultats d'une autre étude, utilisant des tâches de rappel libre et indicé (Unsworth,

Spillers, & Brewer, 2012b), peuvent également être interprétés en faveur de différences

interindividuelles de stratégies de récupération. La tâche des participants consistait à retenir

des listes de mots. Dans une première expérience, les mots étaient soit présentés de façon

aléatoire, soit organisés par catégories. Le rappel était soit libre, soit indicé par les noms des

catégories. Les résultats ont montré que par rapport aux participants avec une faible capacité

de MDT, les participants avec une forte capacité de MDT récupéraient des mots appartenant à

un plus grand nombre de catégories différentes en rappel libre, et récupéraient plus de mots

par catégorie dans les deux conditions de rappel. Dans la seconde étude, les participants

réalisaient uniquement le rappel indicé, mais les auteurs faisaient varier le nombre de mots

appartenant à chaque catégorie (3 ou 9). Dans cette situation, les deux groupes de participants

ne différaient pas dans le nombre de mots récupérés pour les catégories composées de 3 mots,

tandis qu’on retrouvait toujours une différence pour les catégories composées de 9 mots. Du

point de vue des différences interindividuelles de MDT, les auteurs ont interprété ces résultats

comme montrant que les participants avec une faible capacité de MDT avaient des déficits

pour rechercher stratégiquement à la fois les indices de récupération généraux (les labels des

catégories) et les informations liées à ces indices (les mots appartenant à chaque catégorie).

Autrement dit, les participants avec une faible capacité de MDT ne pourraient pas récupérer

autant d’informations que ceux avec une forte capacité de MDT du fait d’une moins bonne

mise en œuvre des stratégies de récupération.

Chapitre 3 : Mémoire de travail et stratégies dans les tâches cognitives

59

Afin d’enrichir les données relatives à cette interprétation, les mêmes auteurs ont

conduit une autre étude portant sur la recherche en mémoire autobiographique (Unsworth,

Spillers, & Brewer, 2012a). Dans cette étude, les participants devaient lister les « amis » avec

lesquels ils étaient connectés via un célèbre réseau social. Les auteurs partaient du principe

qu’une récupération efficace en mémoire autobiographique devait être stratégique : les

participants devaient auto-générer des contextes afin de récupérer les bonnes informations, et

affiner ensuite la recherche en mémoire en utilisant leurs productions.

Les résultats de cette étude étaient relativement similaires à ceux observés dans l’étude

précédente. Bien que les deux groupes de participants aient en réalité le même nombre

d’ « amis », les participants avec une forte capacité de MDT en récupéraient un plus grand

nombre en mémoire. De façon importante, ces participants récupéraient des amis appartenant

à un plus grand nombre de « contextes » différents (lycée, université, activités extra scolaires,

etc.), et récupéraient également un plus grand nombre d'amis au sein de chaque contexte. Cela

suggère que ces participants auto-généraient spontanément un plus grand nombre de contextes

de recherche au sein desquels récupérer les informations. Les auteurs soulignent, comme pour

les études précédentes, que la récupération de ces participants était mieux organisée, ce qui est

consistant avec l’idée d’une récupération plus stratégique des souvenirs autobiographiques,

par rapport aux participants avec une faible capacité de MDT.

c) Contribution relative des stratégies d’encodage et de récupération

Après avoir examiné l’impact des différences interindividuelles de MDT sur

l’utilisation de stratégies d’encodage, et sur la récupération stratégique en mémoire, nous

allons nous intéresser à une étude qui suggère que ces deux processus ne sont pas

indépendants l’un de l’autre.

Afin d’examiner les contributions relatives des stratégies d’encodage et de

récupération, une étude a fait varier le degré auquel les participants étaient informés d’un

rappel ultérieur (Unsworth & Spillers, 2010). L’objectif était d’examiner dans quelle mesure

l’encodage stratégique, la récupération stratégique, ou les deux, expliquaient les différences

interindividuelles de rappel en fonction de la capacité de MDT. Les participants devaient

étudier une liste de noms communs en effectuant un jugement « vivant » ou « non vivant » sur

chacun des mots, cette tâche étant entrecoupée d’une tâche distractrice. La liste de noms était

encodée soit de façon incidente, soit de façon explicite.

Chapitre 3 : Mémoire de travail et stratégies dans les tâches cognitives

60

Dans la condition d’encodage incident, les participants n’étaient pas informés du

rappel ultérieur et n'avaient donc pas de raison de mettre en place une stratégie d'encodage.

Les auteurs supposaient que dans ce cas, l’effet des stratégies d’encodage serait largement

minimisé, et que la performance reposerait principalement sur les stratégies de récupération.

En revanche, dans la condition d’encodage explicite, les participants étaient informés du

rappel ultérieur. Les auteurs supposaient que les participants dans cette condition mettraient

en place des stratégies d'encodage pour mémoriser les mots.

Il a été observé que les participants avec une forte capacité de MDT rappelaient

globalement plus de mots que les participants avec une faible capacité de MDT, mais la

différence entre les deux groupes était d’autant plus importante que le rappel était explicite.

Cela suggère donc que les participants avec une forte capacité de MDT sont plus stratégiques

dans leur récupération (puisqu’ils rappellent plus de mots en situation d'encodage incident),

mais également qu’ils profitent beaucoup plus que les participants avec une faible capacité de

MDT de l'utilisation de stratégies d’encodage (puisque l’écart se creuse entre les deux groupes

en situation d'encodage explicite). Il est cependant impossible de dire, à partir de ces résultats,

si l’important écart de performances en encodage explicite est dû seulement à une plus grande

efficacité des stratégies d’encodage, ou s’il s’agit d’un effet de synergie entre les stratégies

d’encodage et de récupération.

d) Synthèse sur les stratégies en mémoire

Pour résumer, dans le cadre de tâches complexes de mémoire à long terme, les

participants avec une forte capacité de MDT mettent en place des stratégies d’encodage

efficaces et effectuent également leur récupération de manière plus stratégique. La différence

de performance entre les participants avec une faible et une forte capacité de MDT semble

reposer en grande partie soit sur les stratégies d’encodage, soit sur la combinaison des

stratégies d’encodage et de récupération (Unsworth & Spillers, 2010). Nous pouvons donc

conclure que le comportement stratégique observé dans les empans complexes se généralise

aux tâches de mémoire à long terme, et que les participants avec une forte capacité de MDT

ont tendance à utiliser des stratégies efficaces, que ce soit lors de l’encodage ou lors de la

récupération.

Chapitre 3 : Mémoire de travail et stratégies dans les tâches cognitives

61