Chapitre 7 : Une étude des stratégies allant au-delà du report
B. Étude 7 : Stratégies et tâches verbales : le cas de l’effet de concrétude
2. Discussion générale de l’Étude 7
Dans cette étude, nous avons cherché à nous appuyer sur l’effet de concrétude pour
mieux comprendre les stratégies d’encodage utilisées par les participants avec une forte
capacité de MDT dans une tâche de MLT verbale. La tâche des participants était de
mémoriser une liste de mots abstraits et concrets et de reconnaître ces mots parmi des
distracteurs. Nous nous attendions à ce que les participants avec une forte capacité de MDT
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reconnaissent mieux les mots concrets, et aient une recollection plus efficace pour ce type de
mot.
Notre étude a permis de reproduire un certain nombre de résultats observés dans la
littérature. Nous avons obtenu un effet de concrétude, matérialisé par une performance
globalement meilleure pour les mots concrets ; cet effet est notamment apparu pour le nombre
de fausses alarmes et les temps de réponse, plus élevés pour les mots abstraits, tout comme
dans la littérature (Fliessbach et al., 2006 ; Peters & Daum, 2008 ; Roche, Tolan, & Tehan,
2011). Le seul indicateur qui n'était pas concerné par l'effet de concrétude était le nombre de
détections correctes ; cependant, bien que certaines études montrent un effet de concrétude sur
le nombre de détections correctes (Peters & Daum, 2008 ; Roche et al., 2011), certaines
n'observent aucun effet de la concrétude sur cette variable (Fliessbach et al., 2006). Notre
protocole expérimental a donc permis de mettre en évidence un effet de concrétude.
Cependant, nous n'avons observé aucune interaction entre l'effet de concrétude avec la
capacité de MDT, et ce pour chacun des indicateurs de performance. Il semblerait donc que la
supériorité mnésique des mots concrets liée à l’évocation des images mentales (Paivio, 1971,
2007) ne soit pas plus importante pour les participants avec une forte capacité de MDT.
Il existe plusieurs façons d'expliquer cette absence d'interaction entre capacité de MDT
et concrétude. On pourrait supposer que les participants avec une forte capacité de MDT sont
capables d'évoquer plus d’images mentales pour les mots abstraits, comme peut le laisser
penser le fait qu’ils utilisent plus souvent des stratégies d’imagerie mentale (Dunlosky &
Kane, 2007), ce qui pourrait diminuer l'effet de concrétude pour ces participants. Cependant,
cette idée conduirait plutôt à faire l'hypothèse d'un plus grand effet de concrétude pour les
participants avec une faible capacité de MDT, qui seraient moins à même d’évoquer des
images mentales pour les mots abstraits ; or, les résultats ne soutiennent pas non plus cette
hypothèse.
Une possibilité plus plausible est qu’à cause de leur valeur d’imaginabilité très élevée,
et de l’effet de contraste induit par une présentation mélangée avec les mots abstraits, les mots
concrets aient automatiquement généré des images mentales chez tous les participants. Cela
reviendrait à dire qu’une stratégie d’enrichissement de l’information a été globalement
favorisée par notre matériel, ce qui a conduit même les participants avec une faible capacité
de MDT à mettre en place cette stratégie. L’absence de différences interindividuelles en
fonction de la capacité de MDT sur l’effet de concrétude pourrait donc indiquer une réduction
des différences interindividuelles dans l’utilisation de stratégies d’encodage efficaces, dans le
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sens où tous les participants ont utilisé les images mentales évoquée par les mots concrets
pendant la phase d'encodage.
Cette interprétation pourrait permettre d’expliquer pourquoi nous n'avons pas retrouvé
le lien entre capacité de MDT et recollection observé dans la littérature (Oberauer, 2005 ;
Unsworth & Brewer, 2009 ; Unsworth & Engle, 2007a). Dans la mesure où l'efficacité du
processus de recollection est liée à l'imaginabilité, on peut supposer que le lien avec la
capacité de MDT observé dans la littérature est dû à l'utilisation d'une stratégie d'encodage
fondée sur l'imagerie pour les participants à forte capacité de MDT. Si tous les participants
ont encodé les mots concrets en utilisant les images mentales automatiquement induites par
ces mots, alors même ceux avec une faible capacité de MDT ont été en mesure d’être
efficaces dans leur utilisation du processus de recollection.
Cette hypothèse pourrait également permettre d’expliquer l’absence d’effet de la
capacité de MDT sur la performance globale pour la plupart des indicateurs. Si les meilleures
performances des participants avec une forte capacité de MDT sont liées à une utilisation plus
fréquente des stratégies d’encodage efficaces, alors augmenter cette utilisation pour les
participants avec une faible capacité de MDT devrait conduire tous les participants à de
bonnes performances, quelle que soit leur capacité de MDT.
Enfin, nos résultats suggèrent également que le bruit visuel statique a pu être été traité
comme une sorte de tâche secondaire et perturbatrice. En effet, lorsqu’on compare la situation
avec un bruit visuel statique présenté lors de l’encodage à la situation où une croix de fixation
était présentée, on observe une disparition de l’interaction entre la capacité de MDT et le
paramètre de discriminabilité d’. Autrement dit, les participants avec une forte capacité de
MDT discriminaient plus mal le signal du bruit lorsque l’encodage avait lieu avec du bruit
visuel statique par rapport à la croix de fixation. Ce résultat peut être expliqué par le fait que
ces participants étaient peut-être ceux qui essayaient le plus fréquemment de retenir le pattern
visuel utilisé comme bruit visuel statique, ce qui a pu diminuer la qualité de l'encodage. Une
limite de cette explication est le fait que le nombre moyen de détections correctes ou de
fausses alarmes était descriptivement similaire dans les deux expériences. Si le pattern du
bruit visuel statique a effectivement eu un effet perturbateur, il semble donc que cet effet n’ait
pas été suffisamment important pour diminuer les performances de reconnaissance.
En résumé, nous avons réussi à reproduire l’effet de concrétude dans cette étude, mais
les données obtenues ne soutiennent pas notre hypothèse selon laquelle les participants avec
une forte capacité de MDT ont une plus forte tendance à enrichir l’information. Il est toutefois
possible que le choix du paradigme expérimental se soit avéré peu pertinent pour l’évaluation
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de cette hypothèse : l'utilisation de stimuli concrets avec une valeur d’imagerie uniformément
élevée a pu réduire les différences d’utilisation de stratégies efficaces en fonction de la
capacité de MDT. Une situation expérimentale où les stratégies varieraient naturellement,
c'est-à-dire une expérience utilisant un matériel plus diversifié, serait peut-être préférable pour
l’étude du phénomène de concrétude en lien avec la capacité de MDT.
Conclusion du chapitre 7
Dans ce chapitre, nous avons cherché à utiliser une autre démarche que le report verbal
afin d’examiner les différences d’utilisation de stratégies d’encodage en fonction de la
capacité de MDT, pour les tâches de mémoire visuospatiale d’une part, et pour les tâches de
mémoire verbale d’autre part.
En ce qui concerne les tâches visuospatiales, les résultats que nous avons observés ne
permettent pas de soutenir notre hypothèse selon laquelle les participants avec une forte
capacité de MDT utilisent plus systématiquement la stratégie de réduction de l’espace de
travail mental au sous-espace pertinent. Nos résultats indiquent que tous les participants ont
utilisé une stratégie de réduction de l'espace de travail, mais les participants avec une forte
capacité de MDT ont tout de même obtenu une meilleure performance mnésique. Deux
interprétations sont possibles : soit la plus grande performance des participants avec une forte
capacité de MDT n'était pas due à une différence de comportement stratégique, soit une autre
stratégie d’encodage des informations visuospatiale a joué un rôle dans la tâche. Approfondir
cette direction de recherche nécessiterait la création d’un modèle intégratif de l’ensemble des
stratégies d’encodage d’informations visuospatiales possible (comme cela a été fait pour les
informations verbales), afin de tester rigoureusement ces stratégies en relation avec la capacité
de MDT.
En ce qui concerne les tâches verbales, nous avons proposé l’hypothèse que le point
commun entre toutes les stratégies considérées comme efficaces et utilisées par les
participants avec une forte capacité de MDT reposait sur un enrichissement de l’information
initiale. Bien que nous ayons reproduit l’effet de concrétude, cet effet n’interagissait pas avec
la capacité de MDT. Cependant, il est possible que la force avec laquelle les mots concrets
évoquaient des images mentales ait conduit tous les participants, même ceux avec une faible
capacité de MDT, à utiliser ces images pour encoder les mots. Autrement dit, les variations de
performance dues aux différences interindividuelles d’utilisation de stratégies d’encodage
efficaces ont peut-être été réduites par notre matériel. Le test de notre hypothèse n’a donc
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peut-être pas été effectué dans des conditions favorables, et nécessiterait d’utiliser un
paradigme qui ne réduirait pas ces différences.
Dans l'ensemble, les résultats des études présentées dans ce chapitre n'ont pas permis
de mettre en évidence un lien entre capacité de MDT, utilisation de stratégies efficaces, et
performance en mémoire. Toutefois, les deux paradigmes utilisés souffraient du même
problème : la nature des stratégies d'encodage pouvant déterminer la performance (Étude 6)
ainsi que les conditions de mise en place de ces stratégies en fonction du matériel (Étude 7) ne
sont pas connues avec précision. Étudier les stratégies à l’aide d’autres méthodes que le report
verbal nécessiterait probablement une meilleure compréhension qualitative des différences
interindividuelles d’utilisation de stratégies.
Dans le Chapitre 8, le dernier de cette partie expérimentale, nous avons cherché à
étudier le rôle médiateur des stratégies dans le lien entre capacité de MDT et performance sur
une tâche d'intelligence fluide, dont le lien avec la MDT semble particulièrement stable et où
l'existence de stratégies amélioratrices de la performance est bien caractérisée.
Chapitre 8 : Médiation du lien entre MDT et cognition de haut niveau par l’utilisation de
Dans le document
La relation entre mémoire de travail et cognition de haut niveau : une approche par les stratégies
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