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Chapitre 2 : Les stratégies dans les empans complexes

C. Les stratégies : un médiateur de la relation MDT – cognition de haut niveau

1. Etudes corrélationnelles et expérimentales

Nous avons vu que les différentes stratégies d’encodage ont une influence sur la

performance de récupération en mémoire. Or, l’utilisation de stratégies considérées comme

efficaces est liée aux différences interindividuelles de capacité de MDT : les participants avec

une forte capacité de MDT utilisent plus souvent des stratégies considérées comme efficaces.

De plus, la capacité de MDT prédit la cognition de haut niveau, notamment à travers

l’implication de la mémoire secondaire dans les tâches de MDT. Il est donc important de

déterminer si l’utilisation de stratégies efficaces dans des empans complexes pourrait être un

médiateur de la relation entre MDT et cognition de haut niveau.

Dans cette perspective, Engle et al. (1992) ont utilisé la technique de la fenêtre mobile

pour étudier les temps d’observation des différentes parties d’un essai d’empan complexe. Les

auteurs ont observé que la performance dans des empans complexes (empan d’opérations et

empan de lecture) corrélait positivement avec une tâche mesurant la compréhension verbale,

le Scholastic Aptitude Test (ou SAT). De plus, la performance dans les tâches d’empans

complexes corrélait positivement avec le temps d’observation des mots à retenir, supposé

indiquer l’utilisation de stratégies plus ou moins efficaces. Cependant, ce temps d’observation

ne corrélait pas avec la performance au SAT, et les auteurs n’ont pas observé de médiation du

lien entre les empans complexes et la compréhension verbale par le temps d’observation. Pour

les auteurs, cela indiquerait que l’utilisation de stratégies n’est pas impliquée dans la relation

entre MDT et cognition de haut niveau.

Une autre étude (Dunlosky & Kane, 2007) a évalué le rôle médiateur des stratégies en

utilisant la méthode de report essai par essai en fin de tâche après un empan d’opérations.

Pour évaluer la cognition de haut niveau, les auteurs utilisaient trois tests standards d’habileté

verbale qui étaient la compréhension de lecture, les analogies verbales, et une tâche consistant

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à réaliser des inférences. Les résultats ont montré une corrélation positive entre l’utilisation de

stratégies considérées comme efficaces et la performance dans l’empan d’opérations. De plus,

la performance dans l’empan d’opérations corrélait positivement avec la performance dans les

tests d’analogies verbales et de compréhension de lecture. Cependant, lorsque la proportion

d’utilisation de stratégies considérées comme efficaces était statistiquement contrôlée, la

corrélation entre la performance dans l’empan d’opérations et dans les tests d’habileté verbale

n’était pas modifiée. Tout comme celle d’Engle et al. (1992), cette étude suggère que

l’utilisation de stratégies n’est pas impliquée dans la relation entre MDT et cognition de haut

niveau.

Bailey et al. (2008) se sont également intéressés à l’utilisation de stratégies

considérées comme efficaces dans l’empan de lecture et d’opérations comme médiateur du

lien entre MDT et cognition de haut niveau, en utilisant la compréhension verbale mesurée à

travers le test de Nelson-Denny et le SAT. Dans cette étude, l’utilisation de stratégies

considérées comme efficaces dans les tâches d’empans complexes ne corrélait pas

significativement avec la compréhension verbale. Plus important encore, la quantité de

variance partagée entre la performance dans les empans complexes et la compréhension

verbale était de 14% sans contrôle de l’utilisation de stratégies considérées comme efficaces,

et de 13% lorsqu’on contrôlait cette utilisation de stratégies ; autrement dit, l’utilisation de

stratégies considérées comme efficaces n’expliquait que 7% de la variance commune à la

performance dans les empans complexes et dans la compréhension verbale. Les auteurs n'ont

pas directement réalisé de test de médiation, mais une ré-analyse de leurs données montre que

contrôler statistiquement de l'utilisation de stratégies ne modifie pas le lien entre capacité de

MDT et compréhension verbale, z(147) = .14 ; p = .89. Ici encore, les résultats semblent

indiquer que l’utilisation de stratégies n’est pas impliquée dans la relation entre MDT et

cognition de haut niveau.

Dans une autre étude portant sur une question de recherche similaire, Friedman et

Miyake (2004a) ont utilisé une variante de la technique de la fenêtre mobile où les

participants choisissaient le temps qu’ils pouvaient consacrer à chaque essai. Dans cette étude,

la tâche utilisée pour mesurer la capacité de MDT était l’empan de lecture ; les mesures de

cognition de haut niveau étaient deux tâches de compréhension verbale issues du SAT.

Comme nous l'avons vu, les auteurs ont observé une corrélation positive entre les temps

d’observation du matériel et les scores d’empan de lecture. De plus, on observait également

une corrélation positive entre les scores dans l’empan de lecture et les scores de

compréhension verbale. Enfin, lorsqu’on contrôlait statistiquement pour le temps

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d’observation, les corrélations entre le score d’empan de lecture d’une part et les scores sur

les deux tâches de compréhension verbale d'autre part augmentaient (passant de .28 à .42 et

de .18 à .29 respectivement). Les auteurs ont conclu que non seulement l’utilisation de

stratégies n’était pas impliquée dans la relation entre MDT et cognition de haut niveau, mais

aussi que cette variance augmentait le bruit dans la mesure de capacité de MDT, masquant

donc la « vraie » relation entre MDT et cognition de haut niveau.

Afin de dépasser la méthode de contrôle statistique utilisée dans les études

précédentes, Turley-Ames et Whitfield (2003) ont testé de manière expérimentale l'hypothèse

d'une médiation par le comportement stratégique. L’objectif de leur étude était plus

précisément de déterminer l’impact d’instructions à propos de l’utilisation de stratégies sur la

corrélation entre la capacité de MDT et la cognition de haut niveau. Le protocole

expérimental mis en place consistait en la réalisation de deux versions consécutives de

l’empan d’opérations, la seconde réalisation étant précédée d’instructions sur les stratégies

d’encodage à employer. Trois groupes de participants étaient constitués en fonction des

consignes de stratégies qu’ils recevaient (Études 2 et 3) : consigne d'utiliser l’autorépétition

pour le premier groupe, l’imagerie pour le second groupe, et une stratégie sémantique pour le

troisième groupe. Un dernier groupe de participants recevait des instructions paraphrasant les

instructions originales et constituait donc le groupe contrôle. Après la seconde réalisation de

l’empan d’opérations en utilisant les stratégies indiquées, les participants réalisaient le test

Nelson-Denny. Les résultats ont montré que la performance dans l’empan d’opérations avant

instructions prédisait significativement la performance de compréhension verbale, tout

comme la performance dans l’empan d’opérations après instructions (pour les quatre

conditions expérimentales). Cependant, la corrélation entre empan d'opérations et

performance de compréhension verbale augmentait après instructions d’autorépétition, ce qui

n’était pas le cas pour les deux autres types d’instructions. Les auteurs en ont conclu que

l’évaluation de la capacité de MDT à travers l’empan d’opérations après instructions

d’autorépétition représentait une meilleure estimation du score vrai de la capacité de MDT.

L’observation d’une augmentation de la corrélation entre les scores mesurant la

capacité de MDT et la compréhension verbale en situation de contrôle des stratégies a amené

les auteurs à penser que la plus grande variabilité dans l’utilisation naturelle de stratégies dans

la condition contrôle diminuait la relation entre ces deux construits. Bien que cette explication

soit supportée par les résultats dans le cas de la stratégie d’autorépétition, elle ne semble pas

s’appliquer pour les stratégies d’imagerie et sémantique. Pour expliquer cette différence, on

peut supposer que tous les participants (peu importe leur capacité de MDT propre) sont

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capables de réaliser la stratégie d’autorépétition avec efficacité. Nous avons vu en effet qu’il

s’agit de l’une des stratégies préférentiellement utilisées par les participants avec une faible

capacité de MDT (voir par exemple Dunlosky & Kane, 2007). En revanche, les participants

avec une faible capacité de MDT utilisent habituellement peu les stratégies d’imagerie ou

sémantique. Il est donc possible que dans les conditions d’instructions d’imagerie et

sémantique, il existe des différences interindividuelles d’efficacité dans l’utilisation de ces

stratégies.

Dans tous les cas, les résultats des études précédentes suggèrent conjointement que

l’utilisation de stratégies constitue soit une source de variation n’intervenant pas dans la

relation entre MDT et cognition de haut niveau, puisque le comportement stratégique ne

modifie pas cette relation dans certaines études, soit une source de bruit dans la mesure de la

capacité de MDT, puisque contrôler la variabilité du comportement stratégique semble

augmenter le pouvoir prédicteur de la capacité de MDT dans certains cas.