• Aucun résultat trouvé

4 Eléments conceptuels

4.3 Systèmes sémiotiques et double sémiose

La sémiotique est l’étude des signes

43

et de leur signification. Elle a été travaillée à l’origine

autour de la linguistique et de l’écriture (de Saussure, 1964).

Un système sémiotique est un ensemble de signes (langagiers, symboliques ou matériels)

qui, par l’interprétation qu’en fontl’émetteur et le récepteur, ont une signification particulière, dans

une situation particulière. Dans la relation entre le professeur et les élèves, la double sémiotisation

de l’objet enseigné (Schneuwly, 2000) permet de faire porter l’attention des élèves sur l’objet

enseigné d’une façon qui est rendue matérielle. Elle est double dans le sens où premièrement, le

contenu est présenté et montré matériellement (par exemple dans le cas de l’enseignement d’une

langue le professeur montre une image représentant un objet dont il faut connaitre le nom).

Deuxièmement, l’attention des élèves est particulièrement attirée sur certaines dimensions de

l’objet enseigné. Voici la définition qu’en donne Schneuwly (2000) :

Un objet d'enseignement est toujours et nécessairement dédoublé dans la situation didactique : il est là, rendu présent, « présentifié », par des techniques d'enseignement, matérialisé sous des formes diverses (objets, textes, feuilles, exercices etc.) en tant qu'objet à apprendre, à « sémiotiser » (Moro, 2000), à propos duquel de nouvelles significations peuvent et doivent être élaborées par les élèves ; et il est là en tant qu'objet sur lequel celui qui a l'intention d'enseigner guide l'attention de l'apprenant par des procédés sémiotiques divers, sur lequel l'enseignant pointe ou montre des dimensions essentielles en en faisant un objet d'étude, ce guidage entrant d'ailleurs dans la construction même de l'apprentissage. Les deux processus - rendre présent l'objet et le pointer / montrer – sont indissolublement liés, se définissant mutuellement. (Schneuwly, 2000, p. 23)

Plus loin Schneuwly énonce quels types d’outils d’enseignement sont utilisés pour ce faire :

« Les premiers sont plutôt de l'ordre du matériau (textes, exercices, schémas, objets réels, et mille

autres choses), les deuxièmes plutôt de l'ordre du discours » (Ibid. p. 23). Dans son travail et dans

sa méthodologie, il propose de « centrer le regard sur les dimensions didactiques du processus

permettant la construction collective de l'objet à enseigner et à apprendre, abstraction faite ainsi

des dimensions relationnelles » (Ibid. p. 24). Cette double sémiotisation est intéressante dans notre

43 Selo Saussu e, da s so ou s de li guisti ue g ale: « ous appelo s sig e la o i aiso du o ept et de l i age a ousti ue[…] ous p oposo s de o se e le ot sig e pou d sig e le total, et de e pla e o ept et i age a ousti ue espe ti e e t pa sig ifi et sig ifia t» de Saussu e, , p. .

étude car nous assisterons à la construction de systèmes de signes favorisant les apprentissages de

la musique. Cependant, et c’est là que nous nous écartons de cette définition, le système de signes

produits par les professeurs et les élèves, lors de l’enseignement d’un instrument, seront

principalement des gestes corporels, sans support matériel et avec très peu de discours. De plus

dans l’action didactique conjointe, le professeur tente de faire éprouver un voir-comme par les

élèves mais il faut aussi voir à quel point l’action didactique conjointe est une action sémiotique,

ou, incessamment, l’on produit et déchiffre des signes.

C’est ainsi qu'en TACD, nous partons d’une définition simple de la sémiose (processus de

production et de déchiffrement de signes). Nous étudierons comment ce processus de sémiose se

concrétise dans la relation didactique en lien avec les notions de milieu et de contrat, de réticence

et d’expression. Nous étudierons principalement l’usage que les élèves et les professeurs font de

ce système de signe dans une action conjointe professeur/élève. En fonction du contexte ou de

l’histoire des personnes, en fonction de l’objectif poursuivi par les personnes, ce système évolue.

Ce système évolutif est en mouvement. C’est pourquoi nous parlerons plutôt de sémiose lorsque

nous aborderons les relations qui existent entre le professeur et les élèves dans l’action conjointe.

Ce terme privilégié par Peirce (2003)

44

, se rapproche davantage de l’étymologie grecque du mot

qui indique un mouvement, une relation entre celui qui émet un signe, la « chose » étudiée et celui

qui interprète ce signe en fonction de cette chose enseignée. Dans un processus inférentiel, il

implique la coopération des trois éléments suivants : un signe, un objet, un interprétant. La sémiose

est un « processus par lequel se construit l’usage d’un système sémiotique, c’est-à-dire le processus

par lequel ce système est mis en relation avec des objets matériels ou un autre système de

représentation. » (Sensevy & Mercier, 2007, p. 199)

En didactique et particulièrement en TACD, l’action est conjointe, l’objet est le savoir.

C’est un jeu à deux entre l’instance Professeur et l’instance Elève ; où chacun cherche à atteindre

l’objectif (certes fixé par le premier). Ce qui veut dire que les deux instances reçoivent et émettent

ces signes en réponse à l’autre (et réciproquement) à partir de l’objet enseigné. C’est la sémiose

réciproque. Quand ces signes portent une dimension contractuelle de l’action conjointe ou quand

ils proviennent de signes produits par la rétro-action du milieu, on parle de double sémiose

(Sensevy, 2011). C’est une relation dynamique entre le Professeur, l’Elève et le milieu, en musique,

44 Nous nous référons à Peirce (2003). Qui explique dans le texte original pragmatism écrit en 1907 mais publié après sa o t, t e au plus p s de l t ologie g e ue de e te e le uel s it e a glais ai si : semiosis.

dans deux institutions (l’école et la communauté des musiciens). On peut schématiser ainsi : le

Professeur, à partir du contrat, produit des signes, l’Elève les reçoit, les interprète et y répond par

des signes (souvent en lien étroit avec la situation d’apprentissage, le milieu). C’est la dimension

contractuelle de la sémiose. Dans le cas de l’apprentissage de la musique, certains de ces signes

peuvent être des sons, ils donnent des informations aux professeurs sur l’état de compréhension et/

ou d’avancée du savoir en jeu de l’Elève. C’est une dimension à la fois mésogénétique (les sons

relèvent de la rétroaction du milieu) et contractuelle (ils modifient le contrat)

Cette thèse étudie ce rapport aux signes, à leur fonction et à leur signification dans une

action conjointe entre professeurs et élèves. Cependant, dans les études de cas les élèves rencontrés

ne savent pas lire la musique ou n’ont pas besoin de la lire dans la situation étudiée

45

. Les signes

peuvent être institutionnalisés comme ceux du chef d’orchestre, mais être aussi des signes

contractuels ou des signes du milieu. L’ensemble de ces signes prennent sens pour les élèves dans

la pratique d’orchestre. Et c’est la signification que les élèves donnent à cet ensemble de signes qui

permet la construction d’une culture commune (Mili & Rickenmann, 200ζ)

46

à l’ensemble de la

classe et qui leur servira de référence dans les apprentissages suivants.

Nattiez (1987) propose un modèle tri-partite qui a trois objets : « les processus poïetiques,

les processus esthéisiques, l’œuvre dans sa réalité matérielle (production sonore, partition, texte

imprimé,etc…) c’est-à-dire la trace physique résultant du processus poïétique » (Nattiez, 1987,

p.34). Son modèle rejoint en partie notre pensée : « La sémiologie n’est pas la science de la

communication. Telle que nous la concevons, c’est l’étude de la spécificité du fonctionnement des

formes symboliques et des phénomènes de renvoi auxquelles elles donnent lieu » (Nattiez, 1987,

p. 34.). Cependant, dans ce modèle Nattiez présente la trace physique celle de la partition ou du

texte comme étant indispensable à la sémiologie musicale : « la notation musicale est en effet ce

qui rend la sémiologie musicale possible » (Nattiez, 1987, p. 35). Dans notre étude, les élèves ne

lisent pas tous, et en tout les cas ils ne lisent pas la première année. Nos analyses porteront sur les

intéractions entre les professeurs et les élèves, et non sur l’utilisation de la partition, même si

45 Sauf da s l tude . . où les l es sa e t li e la usi ue, ais où ette di e sio est pas p se te i e te e de suppo t g aphi ue, i e te e de f e e .

46 Mili et ‘i ke a d eloppe t ette id e de o st u tio d o jets ultu els à pa ti de sig es la gagie s. Da s ot e tude, ous so es da a tage da s la p ati ue i st u e tale, ue da s u ha ge la gagie , ais la d a he est si ilai e. C est pou uoi ous a o s ete u ette f e e.

quelque part elle existe, au moins dans l’esprit de l’enseignant. C’est pourquoi nous ne pouvons

pas prendre ce modèle dans notre cadre théorique.

Notre idée prend en compte la possibilité pour le professeur et les élèves, d’être aussi dans

une sémiose qui a sa place dans le processus de création, que ce soit une création artistique ou une

création relationnelle. La citation du texte de Fisette, qui parle du mouvement de la semiosis, trouve

son sens dans notre propos :

Je suggérerais que le rythme de la semiosis peut se scander à l’écart du cadre social du signe, mais non dans son ignorance totale ; ainsi, la créativité chez l’individu implique toujours par définition, un certain décrochage par rapport au rythme adopté par l’esprit de la communauté […] C’est qu’il y a là une dialectique à la fois irréductible et incontournable entre la possibilité de la création et le nécessaire lieu social qui est celui de la signification. (Fisette, 2009 [en ligne] p.8)

La création a un rapport à quelque chose de connu. Qu’elle aille à l’encontre ou bien qu’elle s’y

réfère, la création est prise dans un système de référence. « Ainsi la fiction, aussi fausse ou

extraordinaire soit-elle se rapporte à quelque chose » (Goodman, 1984/2009, p. 36). Cette sémiose

concerne certes des systèmes graphiques, mais aussi des systèmes gestuels, des systèmes sonores,

des systèmes de communication de l'action conjointe (donc des intentions, des affects, des

sensations etc.) et elle forme un tout dans une relation réciproque, et dans l’élaboration d’un milieu

pour une culture commune. Cette notion tissera un lien entre toutes les analyses, et nous

reviendrons sur son rôle dans l’interprétation musicale au chapitre 5.4.