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6 Terrain de recherche

6.4 Composition de la classe et sélection des élèves

Des critères ont dû être choisis pour pouvoir composer ces classes orchestre, ce qui a posé

un problème déontologique aux musiciens. Des explications, sur ce qu’est une classe orchestre,

ont été nécessaires et ont été fournies aux élèves et à leur famille. Il a fallu leur faire choisir un

instrument. Voici donc comment se sont déroulées l’information aux familles, la sélection des

élèves et leur répartition pour composer la classe.

- Invitation des élèves des classes de CE1 et de leur famille à une réunion d’information.

- Présentation des instruments avec, à titre d’exemple d’un résultat final, un petit concert des

enseignants devant les élèves et les parents, puis réunion d’information sur le

fonctionnement des classes et tests sur les élèves. Un questionnaire a été distribué aux

parents pour leur donner le choix d’inscrire ou non leur enfant.

- Essai-test d’instruments par les enfants pour lesquels les parents avaient répondu

favorablement.

Les critères de sélection ont été les suivants :

- Aucune dérogation n’est accordée aux élèves qui se situent en dehors du périmètre scolaire

de l’école Torigné.

- Pour commencer un instrument à vent, il faut que les enfants aient leurs dents définitives

(les incisives).

- Les enseignants musiciens détectent les aptitudes des enfants selon les critères propres à

chaque instrument et évaluent leur motivation par un entretien.

Répartition des instruments :

Pour l’école T. : douze flûtes, cinq clarinettes, cinq saxophones, pour un total de

vingt-deux élèves. La catégorie des instruments et leur nombre ont été décidés par le directeur, en dehors

de l’avis des enseignants qui trouvent cette décision inadaptée à la formation d’un petit ensemble

orchestral : trop de flûtes, pas assez de clarinettes (problème de tessiture). Par ailleurs certains

instruments sont des instruments transpositeurs (flûte en do, clarinette en si bémol, saxophone en

mi bémol) ce qui implique des apprentissages différents (le nom de la note ne correspond pas à

celle qu’ils entendent), et pose le problème du support pédagogique (partition), que les enseignants

doivent inventer au fur et à mesure.

Pour l’école G., vingt élèves ont été retenus : quatre tubas, cinq percussions, cinq

trombones et six cornets à pistons. Le choix des instruments est plus adapté au jeu collectif. Le

critère de réussite scolaire n’a pas été pris en compte. En effet, les remarques que l’on peut lire

dans le tableau de sélection, faites par les professeurs des écoles à propos de certains de leurs

élèves, le montrent clairement : I. « ce serait bien pour lui car il a des problèmes de

concentration » ; M. est une élève qui « a des difficultés scolaires » ; F. « ça lui fera du bien » ; M.

« bien pour elle, car elle est tête en l’air » ; S. « ça lui fera du bien » ; A. « élève très motivée, a

des soucis de comportement avec les autres. Ça lui amènera beaucoup. Elle travaillera chez elle »

57

.

Ces propos montrent déjà que les enseignants ont des attentes autres que purement

musicales, au sujet de l’effet de l’enseignement instrumental sur ces enfants. Le caractère de

thérapie par la musique auquel ces propos font référence est : thérapie personnelle (psychologie),

performance individuelle scolaire et sociale.

6.5 Ce qu’en disent les acteurs au début du projet

Cette partie

58

a pour but de situer les personnes engagées dans ce dispositif et de présenter,

certes de façon assez générale, ce qu’ils peuvent dire du projet en question. Ceci permettra

quelquefois de donner un éclairage à l’action d’enseignement et à la façon dont certains élèves la

reçoivent et d’autres fois d’en montrer la complexité. Les propos rapportés sont extraits de

questionnaires établis pour les élèves en début et en milieu de première année ou d’entretiens

« compréhensifs » (Kaufmann, 1996) auprès des élus, directeurs et enseignants des deux

institutions, ou encore de propos tenus de manière informelle. La transcription des entretiens, le

questionnaire et une synthèse de leur résultat sont consultables en annexe.

Le dispositif CHAM suit la circulaire du 2 août 2002. Celle-ci spécifie que les élèves

souhaitant entrer dans ces classes bénéficient d’une dérogation quand ils n’habitent pas dans le

périmètre de l’école choisie. Or, à Rennes et à l’école T., ces classes sont réservées aux élèves de

l’école. Un responsable de la direction de l’enseignement de la ville de R. explique : « Donc il

y a une double dérogation sur le périmètre d’abord avec l’aval de

l’inspection académique, et dérogation sur l’aspect pédagogique, avec

aval du conservatoire »

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(TdP 5). Ne pouvant être une classe CHAM à part entière,

57 Les do u e ts o t t o sult s su pla e, ous a o s pas pu les e po te ais ous a o s p is les otes ue ous ous o u i uo s.

58 Pou ga de l a o at des pe so es adultes da s ette pa tie, j e ploie ai s st ati ue e t le as uli . Noto s aussi ue le p ojet a o e e .

aucun projet pédagogique ni aucune convention entre l’école et le Conservatoire n’ont été signés

durant les trois années observées (jusqu’en 201θ), alors que ce dispositif existe dans une autre école

du même secteur depuis septembre 2009.

Revenons au début du projet. Les professeurs de musique, on l’a vu, ont été informés de

l’ouverture de cette classe au mois de mai précédant la rentrée scolaire 2010. Il a fallu organiser

l’information en toute hâte (présentation des instruments et tests). Tâche difficile quand les

objectifs pédagogiques ne sont pas explicites. Ceux-ci auraient dû apparaître dans un projet

pédagogique élaboré par leur direction. En mai 2011, ils l’attendaient toujours. L’une des

enseignantes l’exprime ainsi : «

Quand même il faut être honnête, ça a été un peu

précipité. C'est-à-dire que j’ai l’impression que c’était une demande très nette

de la ville très très forte et du coup, nous, on était le partenariat visé et

on nous a mis… On a mis… on nous a mis dans cette histoire un peu devant le fait

accompli, c'est-à-dire que nous, on aurait pu avoir un peu plus de recul ; réfléchir quand même sur la façon dont on allait faire les choses et finalement

on a eu un calendrier hyper serré entre le moment où on nous a parlé du projet

et le moment où le projet a été mis en place il y a un mois même pas

. » (Entretien

d’enseignant n° 1ζ, novembre 2010, Tdp θ, annexe 2)

Les enseignants ont fait un concert de présentation des instruments à l’école. La même

enseignante ajoute : « Alors on s’est trouvé vraiment dedans, à faire une

sélection des enfants pour pouvoir faire la classe. A faire un concert

de présentation, une séance de présentation tout ça, ça s’est fait dans

un timing vraiment heu… super resserré!» (Entretien d’enseignant n° 1ζ, novembre

2010, Tdp 7, annexe 2)

Ceci est confirmé par un Musicien Intervenant (DUMISTE) : « Ben c’est simple, mi-mai

on a demandé si quelqu’un était volontaire pour participer, il fallait

un musicien intervenant pour commencer des entretiens jusqu’à mi-juin,

il y avait 3 semaines où il fallait mettre le projet en place. Participer

à l’élaboration, faire le recrutement, etc… Nous c’est notre grosse

période d’autres projets, voilà moi j’étais volontaire pour participer

au projet parce que le projet m’intéressait. Mais j’ai dit que je ne

pouvais pas participer à l’élaboration du recrutement car j’étais pris

tous les jours avec les écoles et c’était prévu depuis 1 an. » (Entretien

Cependant, chaque enseignant a tout de même une idée de ce qui est implicitement attendu

par les responsables, et chacun a ses propres objectifs, qui sont, de ce fait, personnels. Aussi en

fonction de leur positionnement et de leur rôle, les acteurs responsables du projet (institutionnels

et politiques) n’ont pas tout à fait les mêmes objectifs ou bien les expriment de façons différentes.

Du côté de la municipalité, l’objectif est de favoriser un accès à l’enseignement musical

aux élèves socialement éloignés de ces pratiques culturelles : « Les objectifs de la ville

me semblent assez clairs : objectif de démocratisation de l’accès à un

enseignement musical.

»60

Le discours du politique s’en tiendra à cet énoncé. Si l’on suit,

cependant, l’ordre hiérarchique des responsables aux Directions Générales, ils énumèrent leurs

objectifs dans un sens que l’on qualifiera de « curriculum caché » Perrenoud (1994). Les intentions

ne sont pas toutes explicitées, puisque non contractuelles pour les actants (enseignants et élèves).

Leurs applications dépendent de tierces personnes. Ces objectifs sont plutôt d’ordre social. Ils

souhaitent améliorer chez la population définie comme défavorisée : une cohésion de groupe, le

respect d’autrui, l’estime de soi, la valorisation du travail, les compétences des élèves, les liens

école/ famille. Cependant un de ces acteurs institutionnels, non enseignant, s’est exprimé avec un

objectif secondaire : à partir de cette expérience, il souhaite amener les professeurs du

Conservatoire à changer leur approche pédagogique au sein même de cette institution.

61

Certains

interviewés sont émus en parlant de ces enfants, et d’autres ont un discours qui relève plutôt de

l’idéologie, plus ou moins égalitariste voire tiers-mondiste.

Du côté de l’Education Nationale, les objectifs sont clairement énoncés. Ils sont avant tout

égalitaires et sociaux. Selon les propos recueillis auprès d’un Inspecteur de l’Education Nationale,

de tels enseignements participent « à l’évolution, à la fois la découverte et une

entrée dans des repères culturels que les élèves n’auraient pas eus

spontanément et que l’Education Nationale ne pouvait pas leur offrir dans

ces conditions […] et d’autre part qu’il y ait aussi une corrélation

60 Cf. A e e , e t etie a e u espo sa le de la di e tio de l du atio à la ille de ‘. TdP .

61 Pe da t la du e de ette tude, effe ti e e t, au ou s de l a e et sa s o e tatio a e les e seig a ts, u e ou elle o ga isatio p dagogi uea t ise e pla e : t a sfo e les ou s i st u e tau i di iduels e ou s de g oupe. Le o e d l es da s u g oupe ta t assez i po ta t, u e telle o ga isatio duit le appo t te ps/ l es ui e istait aupa a a t. Le pa ado e est ue l e p ie e des lasses o hest e à l ole, ualifi e de ussite, a t u a gu e t pou dui e le te ps des ou s au Co se atoi e. Peut-o , alo s u il a pas assez de e ul pou e ti e , usi ale e t, des o lusio s, fai e de telles p opositio s? N est- e pas là, plutôt, u a gu e t o o i ue pou se i u e politi ue de est i tio ? O peut aussi se de a de pou uoi l o se se t de ette populatio pou teste u s st e du atif sa s u elle sa he, i sa s ue les e seig a ts sa he t u ils so t ai si test s.

avec, je dis bien corrélation et je ne dis pas conséquence, une

corrélation avec l’acquisition scolaire et un parcours de réussite de ce

pont de vue-là ». (annexe 4 TdP 23)

62

A ce point de notre exposé, nous voyons déjà ici, les différentes articulations entre le

politique, l’économique, le social, qui influent sur l’organisation de l’enseignement et ses

éventuelles transformations, non seulement dans les CHAM, mais aussi au Conservatoire.

Le choix de l’orchestre et de l’enseignement instrumental en groupe restreint de quatre à

six élèves sur une heure est un choix qui pose question. S’il permet de mettre en contact un plus

grand nombre d’élèves avec la musique, la courte durée du cours pourrait gêner la progression et

l’apprentissage d’une technique de base. Il nous a été difficile de déceler les véritables intentions

des décideurs dans le choix de l’enseignement en orchestre.

Les enseignants musiciens, quant à eux, trouvent que c’est une belle expérience pour eux

et pour les enfants, mais ils y voient une limite : celle de la qualité de l’apprentissage. Ils pensent

qu’il est nécessaire de pouvoir consacrer plus de temps à chaque élève, afin de leur apprendre la

maîtrise d’une bonne technique de base, ce qui, de toute évidence pour eux, n’est pas le cas dans

cette configuration. Ils se demandent quel sera l’avenir musical de ces enfants car, en si peu de

temps, disent-ils, ces derniers ont déjà de « mauvaises habitudes techniques ». Ils affirment qu’il

sera difficile aux élèves d’améliorer leur façon de jouer à la fin de leur scolarité en école primaire,

trois ans après, si les conditions d’enseignement ne changent pas. Il leur paraît évident que l’objectif

des politiques est de permettre aux enfants de se servir assez bien d’un instrument pour jouer

ensemble. Mais qu’adviendra-t-il de celui qui souhaiterait plus tard s’engager dans une voie

professionnelle ? Le pense-t-on, à la fin de sa scolarité primaire, suffisamment outillé pour le faire ?

Selon les propos recueillis au début des deux premières années, les élèves concernés

63

,

quant à eux, aiment tous la musique. Certains n’aimentpas l’orchestre parce dit l’un d’entr’eux :

« quand je joue avec les autres en orchestre quand je gonfle les joues

ça fait bizarre ça fait mal aux oreilles.» (TdP 227). La plupart préfèrent les

cours d’instruments en groupe restreint à ceux en orchestre : «Parce qu’on apprend là,

plein de choses» (TdP 277) et ils se retrouvent en face à face plus près du professeur. Dans

l’ensemble ils sont contents d’apprendre à jouer, et quelques-uns disent même que plus tard, ils

aimeraient être : professeur de flûte ou de clarinette, mais aussi maîtresse d’école. Leurs réponses

62 f. A e e , e t etie , ° , TdP .

sont intéressantes quand on se rappelle que le choix de l’instrument qu’ils jouent en classe est, pour

la plupart des élèves, le leur.

Quant à l’évaluation concernant cette expérience, ma question a été volontairement ouverte.

Certains ont pensé que je parlais de l’évaluation des élèves et d’autres (très peu) du projet. Dans

les deux cas cependant, il a été difficile aux enseignants de répondre faute de projet pédagogique

et conventionnel écrit. Quant à l’évaluation du projet, une réunion de bilan est prévue chaque mois

de juin entre les enseignants et les décideurs (Inspecteur de l’Education Nationale, la Direction du

conservatoire, le chargé de mission à la Direction de l’Education et de l’Enfance de la

municipalité).

Ces éléments, intentions politiques et pédagogiques, regards des acteurs et témoignages

d’enseignants et d’élèves, confortent l’orientation de notre démarche, celle d’aller voir in situ ce

7- DEMARCHE ET METHODE D’ENQUETE