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Des systèmes d’intelligence artificielle au contact direct avec le patient

Chapitre 2 – Les promesses de l’utilisation des systèmes d’intelligence artificielle en santé

2. Des avenues prometteuses

2.2. Des systèmes d’intelligence artificielle au contact direct avec le patient

L’autonomie croissante des systèmes d’IA s’accompagne de l’avènement de différents dispositifs qui se retrouvent au contact direct avec les patients, dépassant le cadre conventionnel des soins. Ici, le patient interagit directement avec des interfaces ou des « agents artificiels » qui ne nécessitent pas la présence directe d’un professionnel.

Le développement de robots sociaux à visée médicale s’inscrit dans cette lignée. Différents robots de soins ou carebots sont actuellement en développement ou d’ores et déjà utilisés pour des fins thérapeutiques. Certaines recherches se penchent par exemple sur le développement de robots conversationnels empathiques, embarquant des systèmes d’IA, capables de détecter les émotions des humains avec qui ils interagissent et de réagir de manière appropriée (Devillers 2017). Ces robots relativement autonomes ont donc parfois la possibilité de simuler l’empathie (ou affects) (Devillers 2017) et connaissent différentes applications thérapeutiques potentielles. Ils fonctionnent sur la base de capteurs qui collectent des données et de programmes qui les analysent, de manière à pouvoir agir sur leur environnement en conséquence (Devillers 2017). Par exemple le robot PARO34, développé par une entreprise japonaise, est un robot interactif thérapeutique d’assistance aux personnes âgées, lancé au Japon en 2005, utilisé dans les maisons de retraite en Europe depuis 2003 et certifié par la FDA aux États-Unis depuis 2009 (Devillers 2017). Ce robot à l’apparence d’un phoque en peluche et a pour but de donner un retour émotionnel aux personnes âgées, en particulier celles atteintes de la maladie d’Alzheimer, afin de limiter les effets négatifs de leur perte de lien social (Devillers 2017). Les robots de soins peuvent également intervenir dans la thérapie des troubles autistiques (Hamet et Tremblay 2017). Le robot NAO35, développé par le Centre Hospitalier Universitaire de Nantes, l’association française Robots ! et Stéréolux, est par

34 Voir : http://www.parorobots.com/

exemple utilisé par les chercheurs comme médiateur thérapeutique pour les enfants autistes et comme assistant de communication et d’enseignement afin d’améliorer l’apprentissage et le développement social de ces enfants (Devillers 2017).

Dans la même lignée, les softbots (avatars psychothérapeutiques émotionnellement sensibles) connaissent différentes perspectives d’usages en santé. Ils sont actuellement développés, entre autres, pour intervenir dans le contrôle de la douleur chez les enfants atteints du cancer, dans la détection précoce de perturbations émotionnelles chez les autochtones américains (incluant les tendances suicidaires) ou encore dans le contrôle des hallucinations paranoïdes (Hamet et Tremblay 2017). Les robots conversationnels (ou chatbots) ont également une place en santé. Par exemple, le chatbot d’assistance médicale Melody, développé par la société chinoise Baidu, collecte des informations sur les patients pour ensuite les relayer aux médecins dans le but de faciliter le diagnostic (Shakhovska 2017). Le Dr. AI bot collecte des informations sur les patients (ex. symptômes, historique de maladies, paramètres biologiques) pour ensuite classer les causes des symptômes par sévérité (Shakhovska 2017). L’ Insomno Bot a quant à lui été développé pour les personnes qui ont différents problèmes de sommeil (Shakhovska 2017). Ces agents conversationnels peuvent aider les professionnels de santé mais également directement améliorer l’expérience de soin du patient. Par exemple, des recherches en santé mentale ont démontré que certains chatbots pourraient augmenter l’adhérence des patients aux thérapies cognitivo- comportementales (Lovejoy, Buch, et Maruthappu 2019).

Enfin, avec l’avènement des objets connectés, et plus particulièrement des téléphones intelligents, les applications mobiles peuvent elles aussi devenir de nouvelles interfaces de soins. Celles-ci font partie de ce qui est communément appelé la santé mobile (ou mobile health), définie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme : « services and information provided through mobile technology, such as mobile phones and handheld computers » (OMS 2012, p. 79). L’usage des dispositifs mobiles peut par exemple inclure :

Data collection for surveillance and public health (e.g. outbreak investigation) ; real-time monitoring of an individual’s health ; treatment support, health advice and medication compliance ; health information to practitioners, researchers and patients ; health education and awareness programmes ; diagnostic and treatment support, communication for health- care workers (OMS 2012, p. 79).

De nombreuses applications mobiles se développent ainsi avec un but sanitaire. Par exemple, la compagnie DeepMind Health (Google) a développé en partenariat avec le National Health Services (Royaume-Uni) l’application mobile Streams36, avec l’objectif annoncé de « Helping clinicians get patients from test to treatment, faster »37. L’application AICure38 a elle pour but de mesurer l’adhérence du patient à son traitement par le biais d’une surveillance via la caméra de son téléphone intelligent. La compagnie Cogito39, qui développe des applications mobiles actuellement testées au Brigham et au Women’s Hospital à Boston, a pour but d’analyser l’activité des individus sur leurs téléphones (ex. les médias sociaux) afin de détecter des profils de dépression sur la base de leurs communications. L’application Companion de cette compagnie a par exemple permis de mettre en évidence de bons prédicteurs de symptômes de dépression et de stress-post traumatique (Lovejoy, Buch, et Maruthappu 2019). Le chatbot Mr. Young, un guide personnel de bien-être mental, est développé dans le but d’effectuer de la prévention en santé mentale en éduquant les utilisateurs, en examinant leurs données personnelles, en proposant des ressources et des traitements pertinents et en évaluant les progrès de l’utilisateur40. L’algorithme de Cardiogram41, développé par l’Université de Californie, est quant à lui capable de détecter les battements de cœur anormaux des porteurs de leur montre intelligente. Enfin, iCarbonX42, entreprise chinoise, a pour objectif affiché de « digitalizing everyone’s life information » et de construire un « soi digital » qui, en combinant différents types de données, pourrait recommander des programmes de bien-être personnalisés, des choix alimentaires et éventuellement des médicaments.

Les applications comme MoleScope43 et MoleMapper44 permettent quant à elles l’auto- examen et la détection de mélanomes via la caméra du téléphone intelligent des utilisateurs, et pourraient ainsi participer à la prévention du cancer. Elles sont également d’intérêt pour la recherche, comme c’est le cas de MoleMapper, utilisée pour la collecte et le partage des données collectées sur 2 069 participants dans le cadre d’une étude mettant en évidence les associations entre l’apparition de mélanomes et certains risques démographiques (Webster et al. 2017). Ces

36 Voir : https://deepmind.com/blog/scaling-streams-google/ 37 Voir : https://deepmind.com/applied/deepmind-health/ 38 Voir : https://aicure.com/ 39 Voir : https://www.cogitocorp.com/ 40 Voir : https://www.mryoung.co/ 41 Voir : http://cardiogr.am/about/ 42 Voir : https://www.icarbonx.com/en/ 43 Voir : https://molescope.com/ 44 Voir : http://molemapper.org/

données ont été partagées dans une publication scientifique de la revue Nature afin d’engager la collaboration multidisciplinaire de chercheurs pour mieux comprendre et prévenir l’apparition de mélanomes (Webster et al. 2017). Plus que des agents de soins, ces objets connectés deviennent alors de nouveaux outils de recherche et pourraient ainsi permettre d’augmenter drastiquement les cohortes de participants à la recherche (Brouard 2017). Ces données sont particulièrement intéressantes pour la recherche en tant que données collectées dans un contexte réel puisqu’elles sont maintenant obtenues par l’entremise de l’utilisateur lui-même et non du système de santé (Brouard 2017). Leur grande validité écologique comparé aux conditions de laboratoire est ici particulièrement intéressante pour la communauté médicale comme pour celle de la recherche en santé.

Certaines compagnies se développent même avec la double mission recherche-soin clinique. La compagnie AIFred Health45, au Canada, se penche sur la psychiatrie de précision en développant une technologie pour lutter contre la dépression. Combinant apprentissage profond, données scientifiques (dont médicales) et les données directement en provenance des patients (qui sont réutilisées au fur et à mesure pour l’apprentissage de leurs réseaux de neurones afin d’améliorer leur pouvoir prédictif), leurs applications visent à générer des recommandations personnalisées de traitements, effectuer un suivi des symptômes des patients et, sur la base de toutes les données du patient qui sont conservées, proposer des analyses et des recommandations et mener des recherches cliniques.

La santé mobile est ainsi particulièrement pertinente pour la prévention :

The potential for disease prevention through discreet, continuous monitoring and real-time, personalized feedback is significant. Moreover, because low physical fitness is a greater risk factor for all-cause mortality than smoking, diabetes, and obesity combined, and because physical activity is readily quantifiable through a mobile or wearable device, the prospect of measuring and testing intervention strategies in a large population in a randomized fashion is appealing (Ashley 2015, p. 2).

Les téléphones intelligents permettent en effet aujourd’hui de collecter des données telles que l’activité physique des individus de manière plus continue et plus précise qu’il n’avait été possible de le faire auparavant (Ashley 2015), ce qui représente un avantage non négligeable pour la santé publique (Brouard 2017). Par exemple, le Withings Health Observatory46, qui analyse les données 45 Voir : https://aifredhealth.com/

de plus de 100 000 utilisateurs en France, aux États-Unis et au Royaume-Uni, constitue un nouvel outil de veille en cartographiant des mesures telles que l’activité physique, le poids, ou la tension artérielle des individus impliqués (Brouard 2017). Les données sont collectées par le biais de leurs objets connectés et cet observatoire travaille et partage actuellement ses données avec différentes institutions de recherche (ex. Stanford Medicine), hôpitaux et compagnies privées47.