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Intelligence artificielle et systèmes d’intelligence artificielle

Chapitre 2 – Les promesses de l’utilisation des systèmes d’intelligence artificielle en santé

1. L’intelligence artificielle et les données massives au cœur de l’innovation numérique en

1.2. Intelligence artificielle : différentes manières de valoriser les données massives

1.2.1. Intelligence artificielle et systèmes d’intelligence artificielle

Le terme « intelligence artificielle » est apparu en 1956, nommé ainsi pour la première fois par l’informaticien John McCarthy (Cardon, Cointet, et Mazières 2018). Il n’existe pas de consensus relativement à la définition du terme. Il peut être considéré que l'objectif des recherches en IA « est centré sur le problème de la modélisation artificielle de la gamme « complète » des capacités cognitives, interactives et sociales des humains ; avec un accent particulier sur l'apprentissage et l'interaction autonome » (Baillie 2016, p. 416, traduction libre). L’apprentissage étant largement considéré comme une des conditions requises de l’intelligence, l’apprentissage automatique (machine-learning) est une des branches majeures de l’intelligence artificielle (Kononenko 2001). Si l’IA peut parfois référer au développement d’algorithmes à « haut niveau

d’intelligence » (capables de la plupart des capacités cognitives humaines typiques) voire parfois de « superintelligents » (intellect qui excède grandement les capacités humaines) (Müller et Bostrom 2016; Bostrom et Yudkowsky 2011), le domaine est cependant encore loin d’avoir atteint cet objectif. Considérant l’ambiguïté entourant la définition des termes « intelligence » et « artificielle », il est difficile de prime abord de comprendre à quoi réfère concrètement l’IA. Afin d’identifier les technologies en jeu, il est nécessaire de se pencher sur l’historique de ce qui peut relever du « champs de l’IA ».

L’IA s’est historiquement développée autour de deux principales façons de concevoir et programmer le fonctionnement intelligent : les approches connexionnistes27, qui réfèrent aux

techniques d’apprentissage utilisant des réseaux de neurones et les approches symboliques qui réfèrent elles à différentes méthodes de calculs sur la base de symboles qui correspondent à une réalité matérielle (Cardon, Cointet, et Mazières 2018). Le regain d’intérêt pour l’IA des dernières années, et les discussions éthiques associées, sont principalement issus des récentes avancées majeures des approches connexionnistes (soit, celles qui fonctionnent sur la base de réseaux de neurones) qui souffraient d’un mal de popularité depuis plusieurs décennies (Cardon, Cointet, et Mazières 2018). Plus particulièrement, c’est dans le domaine de l’apprentissage profond (ou deep

learning) qui, grâce à la fois au nombre massif de données disponibles et à la puissance de calcul

des ordinateurs, a pu mettre en application avec succès des modèles développés dans les années cinquante (qui relevaient du champ de la cybernétique) et qui n’avaient pu jusqu’alors démontrer leur efficacité du fait des limitations techniques de l’époque (Cardon, Cointet, et Mazières 2018). C’est pourquoi le discours qui entoure aujourd’hui l’IA (incluant le discours éthique) réfère très souvent (sans toujours le nommer explicitement) aux méthodes et techniques qui relèvent des réseaux de neurones. Il est cependant important de noter que l’IA ne se résume pas seulement à la modélisation connexionniste. Il existe d’autres façon de modéliser l’intelligence, comme les approches probabilistes ou les approches à base de règles28. Certaines applications d’IA en santé qui connaissent relativement populaires relèvent d’ailleurs plutôt des approches symboliques

27 Telle est la distinction présentée par Cardon, Cointet et Mazières (2018). Il est également possible de distinguer les

approches statistiques (qui comprennent mais ne se limitent pas aux approches connexionnistes) des approches symboliques.

28 Il est à noter qu’il existe d’autre manière de distinguer les différentes approches de modélisation, comme par exemple

celle de Meunier (2017) qui propose une catégorisation sur la base de trois grands modèles : 1) le modèle formel ; 2) les modèles matériels ; et 3) le modèle conceptuel. Pour les fins de cette thèse, la distinction entre IA symbolique et connexionniste demeure suffisante et seule l’approche connexionniste sera présentée plus en détails.

comme, par exemple, les systèmes experts qui, basés sur l’encodage de connaissances humaines, font des prescriptions ou des recommandations de traitements de « la même manière » que le ferait un expert médical (Kattan 2001).

Pour les fins de cette thèse, le terme « systèmes d’IA » sera utilisé, définit comme « tout système informatique utilisant des algorithmes d’IA, que ce soit un logiciel, un objet connecté ou un robot » (Déclaration de Montréal IA Responsable 2018, p. 20). Si ce choix n’est peut-être pas, d’un point de vu informatique, le plus pertinent, il l’est d’un point de vu de l’éthique de l’IA, permettant de tenir compte de l’ambiguïté qui entoure le terme et de référer à un ensemble de techniques, de méthodes ou d’approches de modélisation, sans toutefois que celles-ci soient bien définies. Le terme systèmes d’IA permet de prendre en compte un large éventail de pratiques mais également d’explicitement nommer le terme « intelligence artificielle » qui, bien que polysémique, renvoie à un objet social présent dans l’imaginaire moral collectif, l’objectif étant de se pencher sur l’éthique de l’IA et le partage des responsabilités face à sa gestion plus que de résoudre les problèmes sémantiques associés à l’usage du terme. L’appellation « systèmes » revêt également un aspect dynamique et englobant, les systèmes d’IA évoluant dans le temps et notamment en fonction des données sur lesquelles ils apprennent (ce qui permettra de référer, dans les pages suivantes, tantôt aux enjeux relatifs aux données massives, tantôt à ceux relatifs à l’IA, les deux considérés comme indissociables en ce qui a trait à leur utilisation en santé).

Il est cependant essentiel de démystifier brièvement quelques-unes des méthodes, techniques et analyses à la base des avenues prometteuses associées à l’utilisation des systèmes d’IA en santé, ne serait-ce que pour bien comprendre les enjeux et préoccupations qui accompagnent ce troisième printemps fulgurant de l’IA. Ainsi, sera d’abord présenté l’exploration de données (ou data mining), champ qui a évolué en marge de l’IA sans se soucier du débat entre approches symboliques et connexionnistes, mais utilise des techniques d’apprentissage artificiel pour répondre aux nouveaux problèmes d’ingénierie (donner du sens aux ensembles de données massives) apparus avec la numérisation croissante de la société (Cardon, Cointet, et Mazières 2018). Seront ensuite présentés les principaux types de tâches d’apprentissage automatique (ou

machine learning); soit l’apprentissage supervisé, l’apprentissage par renforcement et

l’apprentissage non-supervisé; régulièrement mentionné dans les écrits qui ont trait à l’IA en santé. L’emphase sera ensuite mise sur la présentation de l’apprentissage profond, car il représente le

renouveau des approches connexionnistes – et par extension de l’IA – et se trouve à la source de nombreuses préoccupations éthiques subséquemment présentées.