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Chapitre 2 – Les promesses de l’utilisation des systèmes d’intelligence artificielle en santé

2. Des avenues prometteuses

2.3. Vers une médecine de précision

Le nombre grandissant de données disponibles (notamment en pharmacogénomique et pharmacogénétique – Ritchie 2012) et les avancées en apprentissage automatique ont permis le développement d’une médecine de précision aux retombées prometteuses pour la médecine comme pour la recherche en santé (Jameson and Longo 2015). Le terme de médecine de précision a succédé à celui de médecine personnalisée, bien que ces termes soient souvent utilisés de manière interchangeable (Jameson and Longo 2015), notamment suite au lancement de la Precision

medicine initiative48 en 2015 aux États-Unis (Ashley 2015; Larry Jameson et Longo 2015; Chambers, Feero, et Khoury 2016). Cette initiative vise au couplage de différents types de données personnelles (i.e. génomiques, cliniques, comportementales, environnementales) afin d’encourager le développement de soins de plus en plus ciblés relativement aux caractéristiques des patients (Chambers, Feero, et Khoury 2016). La médecine de précision est aujourd’hui une stratégie prédominante pour de nombreuses compagnies pharmaceutiques, instituts de biotechnologie ou centres de recherche médicaux (Ritchie 2012; Bayer et Galea 2015).

Si les termes sont parfois utilisés de manière interchangeable, Ashley (2015) présente la distinction entre médecine de précision et médecine personnalisée, faite selon l’auteur dans le rapport du National Research Council américain sur le sujet : « The authors explain that their use of “precision” was intended to avoid the implication that medications would be synthesized personally for single patients. Rather, they [the NCR] hoped to convey a broader concept that

47 Voir : https://www.withings.com/ca/en/health-institute

48 Lancée en 2015 par le président Obama et faisant suite à une publication du National Research Council annonçant

le terme de médecine de précision (Ashley 2015), cette initiative finance des projets tel que le projet All of us du National Institute of Health (NIH) qui a pour objectif de construire une cohorte nationale à grande échelle de participants afin d’étudier différents facteurs (e.g. environnementaux, biologiques, comportementaux) sur un échantillon qui reflète la diversité de la population. Voir : https://allofus.nih.gov/about/about-all-us-research-program

would include precisely tailoring therapies to subcategories of disease, often defined by genomics » (Ashley 2015, p. 2119). Les deux notions se distinguent donc essentiellement par leur portée : la médecine de précision renvoie à une conception plus large que le ciblage approprié des traitements pour l’individu-patient. Le développement de la médecine de précision vise à contrer les conséquences du fait que la plupart des traitements médicaux aient été développés jusqu’à présent pour le « patient moyen » (Jameson and Longo 2015). Les lignes directrices de mise en place d’essais cliniques tendent en effet à normaliser les ensembles de la population qui sont étudiés en appliquant les méthodes de réduction des biais, conduisant à la généralisation parfois excessive à l’ensemble de la population de résultats obtenus sur un petit échantillon d’individus. La médecine de précision pourrait en cette circonstance permettre une plus grande granularité dans l’identification des spécificités de chaque patient et tenir compte d’une plus grande variabilité dans les réponses aux traitements (Peck 2018; Manrai, Patel, et Ioannidis 2018).

La médecine de précision peut donc plus spécifiquement se définir ainsi :

Treatments targeted to the needs of individual patients on the basis of genetic, biomarker, phenotypic, or psychosocial characteristics that distinguish a given patient from other patients with similar clinical presentations. Inherent in this definition is the goal of improving clinical outcomes for individual patients and minimizing unnecessary side effects for those less likely to have a response to a particular treatment (Jameson and Longo 2015 p. 613).

La médecine de précision pourrait ainsi permettre d’augmenter les réponses à la médication en déterminant les interventions les plus efficaces et en diminuant les effets secondaires (Hamet et Tremblay 2017). Elle vise également à adapter le dosage de médicaments en définissant plus précisément les profils d’individus qui seraient susceptibles de réagir positivement à une molécule (Peck 2018; Manrai, Patel, et Ioannidis 2018). C’est par exemple le cas de certaines études en oncologie de précision qui visent à maximiser l’utilisation de traitements de chimiothérapie existants en ciblant de manière plus précise et plus appropriée les marqueurs génétiques des patients49. Utilisant notamment les méthodes de SVM, cette démarche est particulièrement utile lorsqu’il s’agit de thérapies moléculaires (Ding et al. 2018).

49 En effet certains patients ne sont pas sélectionnés comme des candidats potentiels à certaines thérapies moléculaires

L’apprentissage automatique joue un rôle central dans l’adaptation des traitements et diagnostics aux caractéristiques du patient (Azencott 2018; Jameson and Longo 2015) en combinant par exemple les EHRs et les données génomiques (Ashley 2015). Les systèmes d’IA dans ce contexte pourrait également permettre de découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques, comme l’a démontré l’utilisation d’algorithmes non-supervisés dans l’étude des interactions entre protéines (Hamet et Tremblay 2017). La médecine de précision vise également l’identification des patients aux caractéristiques rares qui possèdent des symptômes similaires ou la réduction du temps d’identification de nouvelles maladies par le biais de comparaisons entre séquences génomiques (Ashley 2015). En psychiatrie de précision, l’utilisation de réseaux de neurones et de méthodes de SVM est particulièrement pertinente pour la détection précoce des pathologies, l’identification de traitements individualisés, l’ajustement des doses et la classification des maladies mentales (Bzdok et Meyer-Lindenberg 2018). En médecine cardiovasculaire de précision, les algorithmes de prédiction automatisée des risques pourraient permettre d’orienter le soin clinique ou de préciser le phénotypage de maladies complexes (Shameer et al. 2018).

Ainsi, comme le reconnaissent Shameer et al. (2018) en ce qui a trait à la cardiologie de précision :

Various types of AI algorithms will be essential for understanding the nuanced individual risk factors, behavioural drivers and therapeutic pathways predictive of disease outcomes in specific patient cohorts and also for instituting early therapeutic interventions. The application of machine learning algorithms in prospective clinical trials would allow comparison with current standard of care practices with a goal of implementing precision diagnostics, risk stratification and personalised therapeutics (p. 1163).

Plus que la simple optimisation des traitements, la médecine de précision a parfois permis de définir de nouveaux syndromes (Ashley 2015). En conséquence, elle pourrait permettre de moderniser ou redéfinir la classification diagnostique actuelle, comme celle de l’OMS (Ashley 2015; Mirnezami, Nicholson, et Darzi 2012; Torkamani et al. 2017).

- est souvent trop inexacte (Ding et al. 2018). L’apprentissage automatique pourraient permettre de pallier ce problème en analysant les données génomiques à plus large échelle.

Les applications de systèmes d’IA en santé pourraient de plus soutenir la détection de risques sanitaires et aider à prévenir des maladies sur la base d’un « savoir collectif » (CNIL 2017) issu de l’analyse des données partagées par l’ensemble de la population. Les systèmes d’IA pourraient ainsi doter les professionnels de santé d’outils de prévention ciblée, via l’identification de sujets avec un historique familial de maladies héréditaires ou un risque accru de maladies chroniques (Hamet et Tremblay 2017). Ceci pourrait être réalisé par l’analyse de biomarqueurs ou de variants d’ADN liés à certaines pathologies ainsi que par l’étude de leur évolution (Hamet and Tremblay 2017). Dans cette perspective, l’avènement de « jumeaux numériques »50 permettrait la prédiction des trajectoires de santé, utilisées comme « useful benchmarks for defining the individualized optimal health range for specific health parameters as well as predictors of health outcomes overall » (Torkamani et al. 2017, p. 840).

Les systèmes d’IA en santé détiennent ainsi le potentiel de contribuer au développement d’une médecine hautement personnalisée en établissant des profils biologiques (caractérisation génomique ou moléculaire des individus et de leur maladie) pour individualiser les traitements et les stratégies thérapeutiques, avec un éventuel monitorage en continu des paramètres de santé de chaque individu (Torkamani et al. 2017; CNIL 2017; Hamet and Tremblay 2017; Peek et al. 2015).