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Quelques notions relatives à l’innovation responsable

3. Cadre de référence théorique

3.1. Quelques notions relatives à l’innovation responsable

L’innovation responsable renvoie au terme d’innovation et recherche responsable (IRR),16 qui connaît un regain d’intérêt ces dernières années, en particulier en Europe (Owen, Macnaghten, et Stilgoe 2012) depuis, entre autres, que la Commission européenne s’est penchée sur la définition du terme (Barré 2011; Owen, Macnaghten, et Stilgoe 2012). Selon la définition de René von Schomberg de la Commission Européenne :

L’innovation responsable est un processus transparent et interactif par lequel les acteurs sociaux, les chercheurs et les innovateurs collaborent pour l’acceptabilité éthique, la durabilité et la pertinence sociétale (societal desirability) de l’innovation – permettant ainsi l’insertion des avancées des sciences et des techniques dans la société (tirée d’une conférence, dans Barré, 2011, p. 406)

16 Pellé et Reber (2016) distinguent la recherche et l’innovation essentiellement sur la base de leur temporalité : la

recherche est plus longue que l’innovation, notamment car elle ne répond pas à des impératifs de mise sur le marché des technologies développées et qu’elle nécessite beaucoup de temps pour produire des connaissances robustes. Parce- qu’il semble de plus en plus difficile de cloisonner distinctement les deux et qu’elles sont interdépendantes (cf. Chapitre 6), le terme « innovation » sera utilisé tout au long de la thèse, pouvant référer soit à la recherche, soit à l’innovation.

L’IRR tente ainsi de répondre aux préoccupations relatives à l’apparition de risques (éthiques) non anticipés, aux limitations de leur gestion, et à l’orientation de l’innovation vers des objectifs sociaux appropriés en vue du bien commun (Barré 2011; Owen, Macnaghten, et Stilgoe 2012). L’IRR est un processus en devenir pour aligner la recherche et l’innovation avec les valeurs, besoins et attentes de la société. Celui-ci en appelle à différents niveaux de responsabilité scientifique, celle-ci pouvant prendre plusieurs formes : une responsabilité qui relève plutôt de la déontologie ou plutôt de la responsabilité sociale de la science (broader impact) (Davis and Laas, 2014).

Relativement à la responsabilité qui relève de la « déontologie », elle fait écho au domaine de la conduite responsable en recherche (CRR), approche principalement nord-américaine qui fait joindre l’éthique de la recherche (principalement centrée sur les enjeux de recherches avec des participants) et l’intégrité scientifique (principalement centrée sur le chercheur), dans une vision globale de conduite éthique de la recherche (Voarino et al. 2019). Ce domaine s’intéresse particulièrement à la responsabilité et à l’intégrité des chercheurs et est souvent centré sur la définition et l’identification de manquements (comme la fraude ou la faute)17, régulièrement associé à trois méconduites classiques : la falsification, la fabrication de résultats et le plagiat (Resnik 2003; Steneck et Bulger 2007; Bouter et al. 2016). Ces domaines ont ainsi pour vocation de définir les déterminants d’une recherche dite « responsable », mais restent souvent cloisonnés à la définition de conduite exemplaire dans la pratique quotidienne de la recherche et s’adresse principalement aux chercheurs, étudiants et personnel de la recherche.

Cependant, la raison d’être des impératifs de la CRR, de l’éthique de la recherche, et de l’intégrité scientifique relève bien d’une certaine responsabilité sociale : ces impératifs permettent de préserver la confiance du public en la science (Koepsell 2017; Resnik 2017; Resnik 2011), et

17 Différentes lignes directrices de CRR visent cependant des approches positives, comme par exemple le Cadre de

référence des trois organismes sur la conduite responsable de la recherche (2016) qui défend une approche éducative et vise à favoriser la sensibilisation, ou la Politique sur la conduite responsable en recherche des Fonds de recherche du Québec (2014) qui promeut une vision positive de la conduite responsable et définit des pratiques exemplaires.

définissent la base d’un contrat entre science et société selon d’importantes valeurs morales et sociales et différentes obligations réciproques :

It is incumbent upon scientists to communicate with the public, and to interact in ways that are both educational and ethical because science and the public stand in mutually beneficial relationships to one another, and are also mutually dependent (Koepsell 2017 p. 85). Owen, Macnaghten, et Stilgoe (2012) décrivent trois principales caractéristiques émergentes de l’IRR :

1) la démocratisation de la gouvernance d’intention (une science pour la société) qui appelle à la délibération inclusive sur ce que la science doit apporter à la société, au-delà de simplement définir ce qu’elle ne doit pas faire ;

2) l’institutionnalisation de la capacité à satisfaire les attentes de la société (une science

avec la société) qui met l’accent sur l’intégration de ces mécanismes de délibération à

l’intérieur et autour des processus de recherche ; et

3) la redéfinition de la responsabilité scientifique selon de nouvelles obligations qui vont au-delà de celles de la CRR, qui ne se limitent pas à celles des chercheurs, et qui nécessitent une réflexion sur la constitution, le financement et la mise en œuvre de programmes d’innovation.

Parce-qu’elle est centrée sur « the consequences of techno-scientific applications to a

deliberate and continuous ex ante consideration of what we collectively want science and innovation to do or not to do” (Lehoux et al. 2018 p. 277), la mission de l’IRR revêt ainsi une

dimension éthique. Le terme recouvre cependant également une dimension juridique et politique relativement aux interprétations de la responsabilité (Barré 2011). C’est à la dimension éthique de l’IRR que s’intéresse la présente thèse.

L’engagement des parties prenantes de la société civile par l’entremise de processus de délibération inclusifs à toutes les étapes de l’innovation et de la recherche étant au cœur de la mission de l’IRR (Lehoux et al. 2018; Barré 2011; Pellé et Reber 2016), les discussions ayant eu lieu lors de la coconstruction citoyenne de la Déclaration de Montréal pour un développement

responsable de l’IA peuvent être mise à profit pour réfléchir à l’IRR dans le contexte de la présente thèse (voir section 4 : Collecte des données du présent chapitre).