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◊La sensation est la coïncidence accidentelle du moi et des affections localisées

L’affection est une expérience sans activité. Si la sensation en est distinguée, c’est parce qu’elle est composée de l’impression et du moi. Mais ce moi n’est pourtant qu’un « simple spectateur »1 8 7.

« […] j’appellerai sensations ces premiers modes composés où le moi s’unit à une impression sensible, et participe comme spectateur intéressé, sans concourir par son action propre […]»1 8 8

« Le moi s’unit à une impression sensible, sans concourir par son action propre ». Mais comment cela est possible « sans concourir par son action » ? C’est, écrit Biran, par une « simple coïncidence » de l’effort et des impressions. Cet effort, c’est du moi enveloppé.

« Les impressions purement affectives, qui se confondent d’abord avec un sentiment confus de la vie générale absolue, prennent un caractère de relation en s’unissant par simple coïncidence avec l’effort ou le moi. »1 8 9

Cependant il faut distinguer l’affection générale de l’affection partielle. Puisque l’affection générale, même si elle prend un caractère de relation par une coïncidence avec le moi enveloppé, perd très vite cette relation1 9 0. En revanche,

l’affection partielle a une possibilité d’être attribuée aux organes :

1 8 7 Biran, op.cit., p.203

1 8 8 Biran, op.cit., p.204 Biran souligne. 1 8 9 Biran, op.cit., p.231 N ous soulignons.

« Dans le second cas où l’impression vient affecter une partie déterminée du corps, mobile à volonté, le moi rapporte l’affection là où il sent une

résistance partielle et il perçoit l’impression sensible comme occupant le même lieu que la résistance organique, sans confondre l’une avec l’autre. »1 9 1

« Le moi rapporte l’affection là où il sent une résistance partielle ». Cela est exactement ce que Biran a écrit sur le primat du mouvement sur la sensation : « en se mettant hors de chacun [des termes mobiles], le moi apprend à les mettre les uns hors des autres, à connaître leurs limites communes et à y rapporter les

impressions. »1 9 2 Il attribue les impressions aux résistances organiques là où il

trouve qu’elles se passent.

Ici encore, Biran recourt à la spatialité déjà donnée du corps propre. Avant que le moi ne rapporte les impressions, il faut qu’il y ait déjà une sorte de spatialité. Et cette spatialité doit être hors de la connaissance du moi ; elle doit être antécédente au moi. Voici un autre exemple qui nous atteste que Biran suppose le corps propre comme un espace déjà donné. Il est important de souligner que le moi

agit sur le corps propre qui lui apparaît comme une étendue, même si son activité

n’est pas manifeste. C’est cette relation entre le moi et le corps propre qui forme la sensation. C’est donc sur la spatialité du corps que le moi localise les impressions, et trouve son point d’appui pour son développement.

Pour pouvoir savoir que telle impression occupe le même lieu que la résistance organique, il faut que le moi ait pu d’abord localiser cette impression. Mais dans ce sens, nous ne considérons pas que l’affection rapportée au corps en masse n’a pas le droit de s’élever au rang de la sensation, et que c’est l’affection partielle, ou plus précisément, la trace de l’affection partielle seule, qui peut devenir la sensation.

1 9 1 ibidem N ous soulignons.

◊L’intuition et l’habitude

Ainsi, le moi rapporte l’affection là où il sent une résistance partielle. Mais comment cela se fait-il ? C’est par la distinction faite grâce à l’habitude, entre la partie affective et de la partie perceptive dans l’affection partielle. Dans la répétition, la partie perceptive devient une intuition (sensible, et non intellectuelle).

« Mais nous avons vu que ces sensations particulières renferment en plus une partie perceptive que nous avons distinguée sous le titre d’intuition […]

Cet élément intuitif ressort de l’impression générale, à mesure que celle-ci perd son caractère affectif ou excitatif par l’influence de l’habitude, et l’on voit bien ici combien est réelle la distinction que nous avons établie entre l’affection et l’intuition, puisque toute sensation bornée à la première peut s’évanouir entièrement par effet de l’habitude sans qu’il en reste aucune trace sensible […], tandis que toute sensation qui renferme une partie intuitive prédominante s’éclaircit et se distingue de plus en plus à mesure que l’affection diminue. »1 9 3

Par l’influence de l’habitude, les éléments affectifs, qui sont donc excitants, peuvent s’atténuer. Par contre, l’intuition « s’éclaircit et se distingue de plus en plus à mesure que l’affection diminue ». Puisqu’il y a moins de partie excitante, il nous sera aisé de reconnaître cette « partie perceptive ». L’habitude distingue donc les deux parties de l’impression.

Ainsi, avec l’intuition formée comme telle, le moi ne sympathise point comme avec il l’a fait avec les affections.1 9 4 Il y a deux raisons. D’abord parce

1 9 3 Biran, op.cit., p.233

qu’il n’y a plus de partie affective. Et aussi parce que l’intuition contient la spatialité, que le moi ne possède pas :

« […] elle [intuition] conserve avec plus d’uniformité et de constance le nouveau caractère de relation qui lui est ajouté, puisqu’il y a un mode primitif de coordination dans l’espace […] »1 9 5

Comme l’intuition tient à l’affection partielle, elle garde toujours la coordination dans l’espace. Puisque l’affection partielle est limitée dans tel ou tel organe, la répétition de cette affection se produit toujours dans un même endroit. Or, le moi n’occupe point d’espace. Non seulement le moi n’est plus affecté, mais aussi il se détache de l’intuition.

Ce moi n’est encore ici « qu’un témoin passif »1 9 6. « Il la [l’intuition] reçoit

pour ainsi dire toute formée, et, en vertu des lois de l’organisme, étrangères à la puissance du vouloir. »1 9 7 Mais, le moi est là, la sensation résulte de la simple

coïncidence entre le moi et le sensible.

Ainsi, toujours sans activité expresse, dans le système sensitif, il y a un élément neutre, qui n’excite plus, mais qui tient à l’affection. De cette intuition, le

moi atteste, sans activité expresse. Nous trouvons ici deux termes qui forment le

rapport de la conscience.

◊L’effort non intentionné

Or, avant d’entrer dans le système perceptif, il faut éclaircir « l’effort » qui fait notre moi durable, et qui rend susceptible l’expérience de sensation que nous venons de voir. C’est ce que Biran appelle « l’effort non intentionné ».

« Il importe d’avoir présente ici une distinction que nous avons établie

1 9 5 ibidem 1 9 6 ibidem 1 9 7 ibidem

déjà d’une manière générale, entre deux modes d’exercice de l’effort qui diffèrent

l’un de l’autre, non par le principe ou la cause une, mais par les résultats ou les effets. En vertu du premier mode, tous les organes sur lesquels la volonté

peut agir ou qui font partie du sens de l’effort commun, sont rendus aptes à

percevoir leurs objets propres, quoiqu’il n’y ait point de perception actuelle. Cet

effort non intentionné qui s’étend à tous les muscles volontaires, constitue, avec le durable du moi ou de la personne identique, l’état de veille de ces sens divers qui concourent à la vie de relation ou de conscience. »1 9 8

Le domaine de cet effort est différent que celui de la vie organique. La vie organique dure aussi longtemps que nous vivons. A cette vie, c’est la mort absolue qui s’oppose. L’effort non intentionné, dont le sens « s’étend à tous les muscles volontaires », donc qui ne s’étend pas à tous les muscles non-volontaires, constitue « l’état de veille de ces sens », et rend les organes « aptes à percevoir ». Souvenons-nous que la volonté biranienne agit uniquement sur les muscles volontaires. L’effort non intentionné et l’effort voulu ne sont pas deux efforts différents, ils sont « deux modes d’exercice de l’effort ». Ainsi, comme nous le verrons plus tard, quand l’effort d’abord non intentionné change son mode et devient intentionné et voulu, l’activité se manifeste. Seulement pendant le système sensitif, il n’est pas encore intentionné (mais il existe).

Comme l’effort est non intentionné, le moi dans ce système est souvent rattrapé par un désir dont il ne connaît pas la cause :

« Lorsque nous sentons qu’une action est en notre pouvoir, nous ne la désirons pas, nous l’exécutons immédiatement par un effort constamment disponible. Nous désirons au contraire les choses ou les modifications dont nous ne disposons en aucune manière ; nous les souhaitons comme

événements étrangers sur lesquels nous ne pouvons rien […] »1 9 9

Selon Biran, nous exécutons le pouvoir par la volonté quand nous saisissons l’action. Nous ne désirons que quand nous ne connaissons pas les objets. Tracy, quant à lui, ne distinguait pas le désir de la volonté. C’est ainsi qu’il a pu supposer le jugement et l’effort avant la motilité. Il a pensé que l’effort peut être tendu vers l’inconnu, chez Biran, c’est le cas du désir, pas de la volonté.

« Celui dont nous sortons [le système sensitif] représente l’enfance de l’homme et des peuples, qui sont encore sous l’empire exclusif de la sensibilité, ou sous le charme de l’imagination et des passion. Nous allons voir succéder l’âge de la raison [le système perceptif], appliquée à l’étude et à la classification des phénomènes naturels, et plus tard, à celui de la réflexion, où l’homme crée les sciences abstraites et apprend à se connaître lui-même [le système réflexif]. »2 0 0