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◊Un système de l’attention

Le système perceptif est caractérisé par l’attention. Comme la sympathie ou l’assimilation distingue l’affection de la sensation, l’attention distingue la perception de la sensation. Biran écrit :

« L’attention, telle que nous la considérons ici, est la base du nouveau système de faits psychologiques dont nous entreprenons l’analyse, et c’est par elle seule que ces phénomènes se distinguent de ceux qui

1 9 9 Biran, op.cit., p.257 2 0 0 Biran, op.cit., p.261

appartiennent au système précédent. »2 0 1

Comment l’attention, peut-elle être définie ? Dans le système sensitif, nous avons vu la naissance de l’intuition par l’habitude. C’est que l’affection partielle, en perdant sa partie affective, devient susceptible d’être reproduite spontanément, et commence à renforcer sa « partie perceptive ». Tout cela grâce aux « lois de l’organisme ». Mais cette intuition n’est encore qu’un élément neutre. Le moi est là, mais il ne participe pas avec la volonté. Il est « un simple spectateur ». Quand on passe de la sensation à la perception, il y a une participation active du moi.

« J’appellerai perception, toute impression non affective à laquelle le moi

participe par son action consécutive à celle d’un objet extérieur […]

Ce système comprendra aussi les phénomènes de l’ordre sensitif, cependant que le moi qui y était spectateur passif pourra y prendre une

part active. »2 0 2

Ce qui rend possible cette part active, c’est l’attention du moi, comme nous pouvons le constater comme suit :

« J’appelle attention ce degré de l’effort supérieur à celui qui constitue l’état de veille des divers sens externes, et les rend simplement aptes à percevoir ou à représenter confusément les objets qui viennent les frapper. Le degré supérieur dont il s’agit est déterminé par une volonté positive et expresse qui s’applique à rendre plus distincte une perception d’abord confuse, en l’isolant, pour ainsi dire, de toutes les impressions collatérales qui tendent à l’obscurcir. »2 0 3

Rappelons-nous qu’il y a deux modes de l’effort : l’effort voulu et l’effort non

2 0 1 Biran, op.cit., p.263 Biran souligne. 2 0 2 Biran, op.cit., p.205 N ous soulignons.

intentionné. L’effort mentionné ici comme ce « qui constitue l’état de veille », est l’effort non intentionné. Et l’autre qui est « supérieur » à cet effort non intentionné est l’effort voulu. L’attention, est dans ce cas, effort voulu et intentionné. Mais intentionné vers quoi ? :

« L’attention ne s’applique donc spécialement qu’aux sensations représentatives déjà coordonnées dans l’espace et le temps, et ayant pour siège des organes qui rentrent dans le sens de l’effort, tandis qu’elle n’exerce aucune influence directe sur des impressions affectives, qui s’exaltent où s’obscurcissent d’elles-mêmes suivant les lois d’une sensibilité spontanée. »2 0 4

Les sensations « coordonnées dans l’espace et le temps, et ayant pour siège des organes », ne sont autre chose que les intuitions. Comme Biran écrit que l’attention « n’exerce aucune influence sur des impressions affectives », l’attention ne concerne que la partie perceptive de l’impression. Cela est assez juste car elle existe pour « rendre plus distincte une perception d’abord confuse, en l’isolant de toutes les impressions collatérales qui tendent à l’obscurcir ». La partie affective de l’impression est celle qui vient pour voiler et obscurcir la perception, en excitant et irritant le moi. Dès qu’on a un élément neutre parmi les affections qui sont purement passives, le moi peut exercer son activité vers cet élément. Ici encore, le moi agit sur le corps propre qui apparaît comme étendu, mais plus manifestement et plus expressément que dans le cas de la sensation. La relation entre le moi et le corps propre contient maintenant davantage d’activité du moi. C’est ainsi qu’on peut dire que c’est avec l’attention seule que la perception se distingue de la sensation.

C’est en agissant sur les organes que l’attention tente d’éclaircir la

perception.

« Observons bien ici que l’influence de l’attention ne consiste point, comme on l’a dit souvent, à rendre l’impression plus vive. On peut s’assurer, dans tous les cas, qu’il n’y a point d’action directe de la volonté sur les organes sensitifs, dont les dispositions propres et bien indépendantes de tout exercice de la volonté, donnent à toutes les impressions reçues ces caractères si variables de vivacité ou de langueur, d’énergie ou de faiblesse.

Tout le pouvoir de l’attention consiste donc à fixer les organes mobiles à volonté […]»2 0 5.

L’effort « s’étend à tous les muscles volontaires »2 0 6, c’est-à-dire qu’il concerne les

organes mobiles dépendants de la volonté. Cela est nécessaire pour saisir le corps propre et l’utiliser comme un moyen de connaître le monde extérieur. Le chemin vers l’activité expresse, comme l’affection partielle et l’intuition, passe toujours par les muscles volontaires. Et c’est toujours par la prise de contrôle sur ces organes que le moi prend sa part active, qu’il se développe. En contrôlant son corps, qui est l’espace déjà donné, il assure son point d’appui.

Le sens de l’attention est donc, affirme Biran, celui de l’effort :

«[…] il n’y a point une faculté générale d’attention qui s’applique également à toutes les espèces de modes vaguement compris dans le genre sensation, mais que l’attention est une faculté spéciale, qui s’exerce pour un sens propre qui est celui de l’effort même […] »2 0 7

Voici quelques exemples. Nous savons bien, en effet, distinguer dans la vie quotidienne les deux cas de la sensation et de la perception. Comme Biran le

2 0 5 ibidem N ous soulignons.

2 0 6 Biran, op.cit., p.239 « Cet effort non intentionné, qui s’étend à tous les m uscles

fait remarquer, nous employons des mots différents pour distinguer les deux cas. « Sentir » l’odeur signifie l’expérience de sensation, tandis que le verbe « flairer » est un acte actif et perceptif. De même, nous avons le verbe « savourer » pour souligner l’activité du goût, « écouter » au lieu de « entendre », et « regarder » au lieu de « voir ». Si un amateur de musique écoute avec beaucoup plus de délicatesse musicale, c’est parce qu’il est attentif, et son attention est le fruit de ses expériences passées qui l’ont habitué à écouter une certaine sorte de musique. Plus il écoute, plus il apprend à écouter les détails ; il éduque son attention. Même si nous avons plus ou moins de différence entre nous selon la vie de chacun, notre conscience de la vie quotidienne appartient en principe au système perceptif.

◊La perception tactile et l’extériorité

Or, il faut remarquer une chose concernant ce système. C’est que la perception tactile ou le toucher actif comporte une spécificité par rapport aux autres. Parce que, c’est seulement par le toucher actif que nous pouvons avoir le jugement d’extériorité. Dans le toucher actif, s’unissent complètement le sentiment de résistance et celui de l’étendue tactile ou de la pression tactile. Si nous avons seulement le sentiment de résistance par rapport à notre effort, nous ne connaitrons jamais si cette résistance tient au corps propre ou au corps étranger. Il faut qu’il s’y ajoute une étendue tactile, qui est perçue par notre corps, soit la peau, soit l’ongle, pour arriver au jugement d’extériorité.

« L’existence de la force étrangère a besoin d’un signe pour se manifester. Ce signe naturel est la représentation d’étendue tactile, associée au surcroît d’inertie ou de résistance invincible, que l’individu ne peut attribuer à ses organes, ni sentir comme le résultat direct de son effort. En effet, dans l’exercice du toucher actif, le sens même de l’effort, le seul

par qui se manifeste une résistance, est le même qui reçoit l’impression […] »2 0 8

« Cette identité de force impersonnelle et résistante, ou plutôt cette association ou union intime de la résistance avec l’étendue tactile, ne peut évidemment être primitivement reconnue que par le sens du toucher »2 0 9

Voilà ce qu’il en est de la dualité du toucher actif. Il sert à connaître une résistance irréductible à l’effort du moi, en même temps qu’il nous apprend que cette résistance occupe une certaine étendue. De l’union de ces deux connaissances, il résulte le jugement d’extériorité.

A partir du jugement d’extériorité, non seulement nous attribuons différentes qualités à l’existence extérieure, mais aussi nous comparons les objets. « Dans l’exercice de la faculté d’attention, l’être actif qui compare apprend à connaître ce que les objets perçus sont entre eux et par rapport à lui »2 1 0.

Dans le système perceptif, le moi reconnaît certainement les objets extérieurs, et leurs rapports « entre eux et par rapport à lui », mais il ne se reconnaît pas encore lui-même. Ainsi, il nous reste à examiner le dernier système, qui est le système réflexif.